dimanche 24 juillet 2022

La crise climatique au secours du capitalisme

Un article qui ne devrait pas laisser indifférent tant la question du réchauffement climatique est de l'ordre du sacré, relevant de la religion.

Je suis athée.

Pascal Dubellé alias Antoine Grangeac.

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 Depuis la disparition du grand rival communiste et soviétique en 1991, le monde s’est installé dans l’économie capitaliste et libérale. Après cette date historique qui succéda à la chute du Mur, ce système économique et social ne semble plus connaître d’alternative pour régner en maître. Toutefois, chacun sait bien que rien ne saurait être éternel. C’est pourquoi, comme Cassandre, je peux annoncer sans crainte de me tromper que le capitalisme aura une fin, ce dont chacun de nous a plus ou moins conscience, même si nous nous laissons bercés par l’illusion d’éternité des institutions. Mais pour ceux qui maîtrisent l’ordre des choses et pour ceux à qui profite le système, imaginer l’après capitalisme est une réelle inquiétude, et tenter d’y apporter des adaptations significatives avant terme est une obsession dont rend compte, entre autres, la publication du Great Reset de Klaus Schwab.

 Deux périls menacent l’avenir du capitalisme, le premier concerne la production en raison de l’épuisement des réserves naturelles de la planète, le second concerne la croissance quand recule la pauvreté dans le monde. Si chacun perçoit le premier des dangers, pour le second, le rapport entre pauvreté et croissance peut sembler moins évident et cela mérite de s’y attarder.

 Le capitalisme repose sur la notion de profit que traduit la croissance économique  ; sans cette croissance, dont rend compte le PIB, le système ne fonctionnerait plus ou serait pour le moins grippé, comme on le dit d’un moteur. Or, pour alimenter la croissance en volume de production, il faut augmenter en proportion le volume de la consommation. Cette donnée essentielle est clairement rappelée par les économistes et fait l’objet d’un chapitre entier du Great Reset où est évoquée la crainte d’une baisse de ce que les auteurs appellent la consommation ostentatoire du fait, notamment, d’une prise de conscience des dégâts occasionnés sur la planète par ce type de comportement. Il y a, en effet, une contradiction de fond entre les exigences du système capitaliste et celles d’une planète à sauvegarder. Ainsi, suivre l’exemple d’un sage comme Pierre Rabhi, récemment décédé, est sans doute profitable à la planète, mais cela mettrait assurément à terre le système économique autour duquel s’organisent le monde et nos existences. Le message de sagesse délivré par le père fondateur de Colibris que l’on peut résumer en cette formule : « N’achetez que ce dont vous avez besoin  » est sans aucun doute profitable à l’environnement, il est aussi une invitation à se détacher du matérialisme de l’époque pour accéder à d’autres valeurs, mais il est surtout proprement révolutionnaire, car il n’y a pas plus anticapitaliste que cette consigne.

 Accroître le niveau de consommation pour soutenir la croissance répond à la dynamique inspirée par le système. Et le souci des économistes, et de ceux qui nous gouvernent, est de savoir comment favoriser cette dynamique. Parmi les actions requises, ce peut être de veiller au maintien du pouvoir d’achat des consommateurs dont on nous rebat les oreilles en ce moment  ; ce peut être aussi d’inciter à dépenser plutôt qu’à épargner ainsi qu’on a pu s’en rendre compte quand, du fait du confinement dû à la Covid, ont été engrangés des milliards d’euros d’économies, une épargne qui loin d’être valorisée, était convoitée pour la relance d’une économie post-covidienne. Un mot d’ordre : dépensez !

 Mais toutes ces mesures aussi classiques qu’éculées ne sauraient suffire et elles ne sont ni sans conséquences ni sans contreparties. En réalité, le meilleur moyen d’augmenter le niveau de croissance est de faire en sorte que ceux qui n’ont rien et qui, comme les désigne très justement le philosophe Alain Badiou, sont des laissés pour compte, entrent dans le système en devenant des consommateurs à défaut d’être également des travailleurs, un principe qui se retrouve notamment dans l’idée défendue par certains d’établir un revenu universel. On peut donc dire, ce qui peut paraître étonnant, que les pauvres sont l’avenir du capitalisme ; ils constituent une réserve de consommateurs indispensable au soutien de la croissance.

 Dans une économie mondialisée, accorder du pouvoir d’achat à ceux qui n’en n’ont pas, nécessite la mise en œuvre d’actions politiques plus ou moins complexes, locales ou globales. Au niveau des États, ce sont, par exemple, les aides attribuées aux nécessiteux qu’ils soient originaires, immigrés ou réfugiés. Plus globalement, c’est le recours à des plans comme fut le plan Marshall pour l’Europe dans l’après-guerre ou, plus général encore, l’établissement de règles permettant l’ouverture au monde de la production et des échanges. C’est la ligne politique et économique qui fut élaborée et mise en place dans les années 1944-45, suivie dans un premier temps par le monde non communiste avant d’être élargie au reste de la planète après l’effondrement de l’URSS. C’est la mondialisation des années 90 qui connaît son plein essor en ce début de siècle, aidée en cela par les acquis techniques. 

 Le plan Marshall a permis à l’Europe de l’Ouest, comme on l’appelait, de se relever des ruines laissées par la guerre et de devenir un partenaire (obligé) de l’économie américaine  ; c’était du win/win, du gagnants/gagnants, pour l’Amérique qui affirmait son leadership économique, mais aussi politique et culturel et pour l’Europe qui allait connaître la période bénie des Trente Glorieuses. Quant à la mondialisation ou globalisation de l’économie, elle a permis à d’immenses pays comme la Chine et l’Inde, entre autres, de s’extraire du tiers-monde pour devenir des pays en voie de développement avant d’être de véritables puissances économiques, voire des rivaux pour l’Amérique et peut-être même, pour le système.

 Cette organisation planétaire de l’économie réalisa, à partir de la fin des années 80, une gigantesque opération de redistribution des richesses qui, naturellement, s’est faite au détriment des pays où était concentrée cette richesse. Durant cette période, l’Europe est sortie cruellement des Trente Glorieuses pour entrer dans une crise dont elle ne perçoit toujours pas la sortie et la classe moyenne américaine souffre, une situation dont a su profiter Donald Trump en 2016. D’ailleurs, en termes de classes, on peut dire que si cette redistribution des richesses a profité à la masse de pauvres - ainsi qu’à une infime partie de riches devenus archi-milliardaires -, ce fut grâce à la classe moyenne et aux petits possédants. Cette moitié de la population mondiale a supporté le coût de la redistribution non par philanthropie, mais parce qu’elle est captive et l’obligée d’un système qui lui permet de rêver d’enrichissement, mais qui, également, lui fait craindre de sombrer dans la pauvreté ; servile, elle en est la variable d’ajustement.

 En quelques décennies seulement, la mondialisation de l’économie a eu pour effet de réduire singulièrement la pauvreté dans le monde, comme elle a contribué à restreindre les réserves naturelles de la planète, toutes choses qui, demain, feront cruellement défaut au système capitaliste. On pourrait considérer alors que la dynamique du système le conduit inéluctablement à sa perte, ce dont beaucoup d’économistes se soucient. Mais comme tout système contraint par sa dynamique propre, le capitalisme ne saurait emprunter une autre voie, étant réduit à quelques adaptations comme celles envisagées par le Great Reset. Pas d’alternative, proférait à l’envie Madame Thatcher. L’expansion étant l’essence même du capitalisme, il lui faut absolument atteindre les « laissés pour compte » pour en faire des consommateurs. Ceux-ci sont environ deux milliards dont une partie est concentrée sur le continent africain qui, on le constate, après une trentaine d’années de mondialisation de l’économie, échappe au système. Ni les aides accordées au développement (mesurées et souvent détournées), ni les politiques en faveur de l’immigration visant à pousser ces déshérités vers les pays riches comme le préconisent certains responsables européens qui souhaitent accueillir 60 millions d’immigrés et autres réfugiés, n’ont porté leurs fruits. Si une telle masse d’immigrés est pour l’Europe un apport démographique considérable qui n’est pas sans poser de multiples problèmes, celle-ci est notoirement insuffisante au soutien de la croissance mondiale au moment où la politique de mondialisation de l’économie atteint ses limites. Il faut donc trouver et mettre en place une organisation de niveau planétaire qui permette d’exploiter cette réserve de pauvreté qui échappe au système. 

 Mais ceci suppose aussi qu’il faille encore solliciter la classe moyenne et les petits possédants quand ceux-ci ont déjà été largement mis à contribution par la mondialisation et sont inquiets pour leur avenir. Comment amener cette population à accepter d’autres sacrifices après avoir subi de plus ou moins bonne grâce les méfaits d’une mondialisation qui a notamment accru le chômage de masse ? La mondialisation était censée réguler et stabiliser les prix pour le plus grand bénéfice des consommateurs ; elle était aussi une garantie de paix substituant à l’enchaînement tragique qui veut que la misère fasse le lit des conflits et des guerres qui, eux-mêmes, engendrent à leur tour plus de misère, un cercle vertueux qui, inversement, veut que le développement économique favorise la paix, celle-ci permettant à son tour le développement. Lutter contre la pauvreté n’a pas seulement pour objet le soutien du système par la consommation, c’est aussi préserver la paix  ; mettre en cause cette politique, c'est mettre en danger le monde, c’est risquer l’embrasement des conflits qui, s’ils venaient à concerner les puissances nucléaires, pourraient avoir des conséquences apocalyptiques. Telle est la caution morale d’un système auréolé d’un rôle de bienfaiteur mis en avant par les moralistes et autres propagandistes alors que, bien entendu, un système économique n’a que faire de la morale ; il roule pour lui-même. Loue-t-on le moteur d’une voiture pour le bienfait qu’il nous apporte en nous transportant sans peine  ? 

 Pourtant, comme on peut le voir, servir une grande cause est un argument essentiel à qui veut mobiliser les foules. Sauvegarder la paix entre les nations a été un thème largement utilisé lorsqu’il s’est agi de créer l’Union européenne que nous connaissons. Aussi, invoquer la sauvegarde d’une planète menacée par les activités humaines est, au même titre que le maintien de la paix du monde, de ces grandes causes qui autorisent, en les justifiant moralement, les sacrifices demandés à près de la moitié de la population mondiale.

 Notre planète brûle. La Terre se réchauffe parce que nous émettons du CO2, un gaz à effet de serre. Nous devons réagir vite et fort. Le temps nous est compté. L’avenir de nos enfants est en question. Réagir, c’est lutter contre le réchauffement et favoriser la transition énergétique. Il nous faut réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Sont principalement concernés les pays ayant une économie avancée, en Amérique du Nord et en Europe, là où est concentrée la richesse. Sur eux se concentrent les efforts à consentir par le biais d’incitations à dépenser plus pour l’acquisition de produits propres (la voiture électrique par exemple), ou en payant pour l’installation d’éoliennes, de panneaux solaires… ainsi que pour une énergie plus chère, ou encore, par le biais d’impôts et autres taxes comme la taxe sur le CO2 qui était de 22 euros la tonne en 2016 et qui devrait atteindre demain, en 2030, les 100 euros la tonne. En revanche, comme le préconise les COP pour le climat, les pays les plus démunis, et notamment ceux de l’Afrique subsaharienne où, selon un rapport de 2015 fourni par la Banque mondiale, résident près de la moitié des pauvres du monde, seront aidés massivement pour aller vers un développement vertueux. À cet effet, se sont près de 90 mille milliards de dollars qui sont provisionnés par la Banque mondiale, une somme record mise à disposition pour lutter contre le réchauffement climatique et pour financer la conversion énergétique ce qui, par le biais de programmes planétaires, générera une gigantesque redistribution des richesses au profit des “laissés pour compte”. 

 Ainsi, la lutte à engager contre le réchauffement climatique et la sauvegarde de la planète est une véritable aubaine pour l’avenir du capitalisme ce que ne démentent ni ses principaux acteurs ni ses soutiens réunis en forum mondial à Davos. Que ce réchauffement soit ou non aussi important et durable qu’annoncé et qu’il soit ou non lié à l’activité humaine, peu leur chaut, grâce à lui et aux moyens mis en œuvre à l’échelle du monde, le capitalisme pourra repousser l’échéance de sa finitude. On comprend mieux pourquoi cette thèse climatique lui tient à cœur alors que, par nature, sa visée lui est antinomique. On comprend aussi pourquoi sont, disons-le sobrement, écartées les contradictions apportées à la thèse officielle sur l’origine et la gravité du réchauffement. La survie du système est en jeu à défaut de survie de la planète ; il s’agit de gagner de précieuses années avant que n’interviennent, espèrent les économistes et autres responsables, de nouvelles avancées techniques offrant de nouvelles perspectives. La maîtrise de la fusion nucléaire, qui est en route, pourrait être de ces avancées essentielles en mettant fin à notre dépendance à l’égard des énergies fossiles tout en limitant nos émissions de CO2. Mais d’ici là, le système capitaliste devra tenir bon en alimentant sans cesse la croissance tout en tentant de limiter les conséquences désastreuses de la mondialisation pour l’environnement  ; il lui faudra continuer à compter sur la classe moyenne et conserver son soutien malgré les sacrifices imposés ; il lui faudra assumer les répercussions démographiques, sociologiques et politiques des solutions retenues ; il lui faudra, enfin, surmonter les problèmes occasionnés par l’effacement voulu des prérogatives des États-nations, par la migration de masse et par la paupérisation croissante des populations des pays “riches” mis à contribution par les nouveaux plans climats tout en continuant d’être soumis à la concurrence mondiale engendrée par la globalisation de l’économie.

 En guise de conclusion, je dirai, paraphrasant Winston Churchill, que le capitalisme libéral est le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres. 

 

 

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