samedi 14 janvier 2023

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La réforme des retraites est un détournement de fonds

À l’heure où nous sortons d’un été apocalyptique, d’élections moroses décidées par les abstentionnistes avec un président élu sans programme, de hausse des prix, où nous sommes sous la menace d’une guerre totale avec une surenchère d’arguties guerrières de chaque côté et à la veille d’entrer dans un hiver dans lequel une grande partie des gens se demandent s’ils vont pouvoir se chauffer ou payer leurs factures, le président Macron pense que la priorité des priorités, c’est de reculer l’âge de départ à la retraite alors même que les années 2021 et 2022 ne sont pas déficitaires et que le rapport du COR n’est pas spécialement alarmiste pour les cinquante prochaines années malgré ce que nos médias des milliardaires nous rabâchent plusieurs fois par jour. Naturellement, le fait que 70 % des Français se disent prêts à aller manifester n’égratigne pas sa détermination, ceux-ci n’étant, pour un néolibéral, qu’une masse atomisée d’individus interchangeables. Une fois encore, nous vérifions que la démocratie néolibérale se fait contre le peuple… pour son bien (mais il ne le sait pas puisqu’il est ignare). Alors que l’an dernier, seulement 2 500 logements ont été rénovés thermiquement et qu’à ce rythme il faudrait 2000 ans pour rénover tout le parc, Macron n’a qu’une idée fixe, celle de réformer le système de retraite. C’est ce qu’il appelle « avoir du courage ».

« Après avoir enregistré des excédents en 2021 et 2022, le système de retraite serait déficitaire en moyenne sur les 25 prochaines années », explique le COR, soulignant « les fortes incertitudes qui entourent les travaux de projection [du rapport]. L’évolution du contexte économique des prochaines années dépendra notamment étroitement de celle de la situation internationale ainsi que celle de la situation sanitaire. » En fait, les projections dépendent d’hypothèses fragiles comme le COR le reconnaît lui-même.

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Tout d'abord, voyons les arguments qui justifieraient une réforme des retraites.

L’espérance de vie augmente

La vérité est que l’espérance de vie n’a pas progressé depuis 2014. Le pire est que certains pays développés ont une espérance de vie qui a régressé comme aux Etats-Unis ou dans le Royaume Uni, par exemple. En France, le système de santé n’est plus aussi bon qu’il l’a été, faute à la casse des services hospitaliers et au numerus clausus et différentes catégories de personnes comme les étudiants ont du mal à se soigner. Cela pourrait entraîner les mêmes conséquences.

Nos voisins l’ont fait

Le taux de fécondité pour renouveler une population est de 2,1 enfant par ménage. Mais en tenant compte de l’immigration, le taux baisse à 1,7 ou 1,8. La France étant à un taux de 1,8 ou 1,9 depuis plusieurs décennies (taux le plus élevé de l’UE), sa population augmente d’année en année. Elle n’a donc pas ce problème que nos voisins connaissent.

Car, en effet, leurs taux de renouvellement de population ne permettent pas le financement des retraites. Ils n’ont donc d’autre choix que de repousser l’âge de départ. La Belgique avec un taux de 1,57 a repoussé l’âge de départ à 66 ans. De même que l’Allemagne (1,54) et l’Espagne (1,29). Le Portugal (1,43) l’a repoussé à 66 ans et l’Italie (1,27) à 67 ans.

En France, le problème est inverse puisqu’avec 500 à 600 000 jeunes arrivant sur le marché du travail chaque année, le différentiel entrants/sortants est bien moins important que chez nos voisins. La priorité est donc de créer des emplois avant de penser à repousser l’âge de départ à la retraite.

Le système doit être préservé

Le taux de cotisation est de 6,9 % plafonné et de 0,4 % déplafonné. Fin 2021, le déficit est d’environs 2 milliards mais comme on nous dit qu’on va vers le plein emploi, ce « trou » sera comblé sans difficulté. Ils ne se rendent même pas compte que si celui-ci se réalisait, il n’y aurait pas de problème de financement des retraites. Il faut pourtant continuer à affirmer que ce système est à préserver, car il est basé sur la solidarité entre les générations et qu’il est sûr. Solidaire parce que l’actif paye la retraite de ses aînés qui a lui-même contribué à celle de ses prédécesseurs. Et sûr parce qu’il y a toujours des actifs qui cotisent, ce qui est très différent de la retraite à points qui individualise et peut vous faire perdre toute votre retraite si votre assurance fait faillite. Et cela se voit dans les pays qui ont adopté ce système et qui se retrouvent avec beaucoup plus de retraités pauvres que nous n’en avons en France (cette pauvreté étant dû à des pensions trop faibles).

Dégager des moyens pour financer d'autres grands chantiers

Faire travailler les Français plus longtemps, dit le président, c'est dégager des moyens pour financer d'autres grands chantiers. La santé, l'éducation, la dépendance, la transition écologique... Tout en remboursant la dette et sans augmenter les impôts. Au-delà de l'aspect purement budgétaire, la réforme des retraites est bien un choix politique.

Rappelons-nous tout de même d’une chose : nos retraites sont financées par nos cotisations. Cela veut dire que nous cotisons pour avoir l’assurance de bénéficier d’une retraite qui nous mette en sécurité sociale. Cela veut dire que nos cotisations nous appartiennent et donc qu’elles n’appartiennent pas à l’État comme le sont les impôts et taxes. Cela constitue un véritable détournement de fonds ! « Et, de toute façon, on voit bien le déni du gouvernement en matière de transition, car économiser 10 à 12 milliards d’euros par an, soit moins de 0,5 % du PIB, n’est qu’une goutte d’eau face aux 5 % nécessaires par an pour la financer » (JM Harribey).

Que peut-on proposer ?

Si on considère que « la retraite n’est pas l’antichambre de la mort, mais une phase de la vie où, encore en relative bonne santé, nous pouvons nous adonner à des activités sociales libres » (JM Harribey), cela veut dire qu’il faut la prendre tant qu’on est encore en bonne santé. Or, en 2020, l’espérance de vie en bonne santé à la naissance est de 64,4 ans pour les hommes et de 65,9 pour les femmes. D’ores et déjà, on comprend que repousser l’âge de départ à la retraite à 65 ans aura pour conséquence de multiplier les départ à la retraite en mauvaise santé, mais aussi :

– de maintenir au chômage les seniors sans emploi tandis que les actifs s’useront au travailleur ce qui alourdira la facture des prestations sociales.

– de multiplier les départs en retraite décotée et donc multiplier les retraités pauvres

– de faire disparaître un nombre important de retraités par décès anticipés.

De plus, sachant que plus de 500 000 jeunes arrivent sur le marché du travail chaque année, il faut que l’addition des emplois libérés et des emplois créés soit à la hauteur de ce chiffre. Une raison de plus pour libérer la place plus rapidement.

Augmenter le taux de cotisation sur le salaire brut

Gardons à l’esprit que la cotisation aux régimes sociaux sur nos salaires se transforme un jour en salaire reporté aussi bien lorsqu’on a besoin de soins médicaux que lorsque nous prenons notre retraite. C’est une sorte d’assurance garantie par l’État. Il n’est pas inutile ici de préciser que ce sont des fonctionnaires qui s’occupent de gérer nos cotisations. Cela veut dire que le coût de ce travail est bien moins coûteux que si la gestion était confiée au secteur privé, car en ce cas, il faut rémunérer les salariés à un tarif plus élevé auquel il convient d’ajouter une part de dividendes à verser aux actionnaires.

Alors, imaginons d’augmenter le taux de cotisation sur le salaire brut. Il existe deux taux de cotisation : l’un, plafonné à 3 428 € (équivalent plus ou moins à 2 800 € nets), est de 6,9 % ; l’autre déplafonné est de 0,4 %. On comprend immédiatement que cette part de 0,4 % reste constante quelle que soit la hauteur du salaire qu’on gagne 3 450 € ou qu’on gagne 20 000 € par mois.

Imaginons maintenant qu’on déplafonne et que, quel que soit le salaire perçu le taux de cotisation pour la retraite est de 6, 9 %, quelles seraient les personnes concernées par cette augmentation ?

Ceux qui sont en dessous de 3 428 € bruts ne seraient pas concernés par cette augmentation, ce qui représente 80 % des Français. Jusqu’à 6 000 € bruts mensuels, soit 16 % des Français auraient une augmentation de cotisation de 200 € maximum tous les mois. Cela reste encore acceptable à ce niveau de salaire. Ceux qui seraient beaucoup plus impactés, c’est-à-dire ceux qui gagnent plus de 6 000 € bruts mensuels représentent 4 % de la population (ces gens n’attendent évidemment pas la retraite sécurité sociale).

On peut imaginer que les personnes qui vont voir leur cotisation augmenter de 200 € seront peut-être d’accord si cela peut leur éviter de partir à la retraite à 65 ans. Cela voudrait dire que 96 % des salariés seraient d’accord pour le déplafonnement du taux de cotisation (dont quelques grincheux qui seraient certainement compensés par la bonne volonté de quelques-uns qui gagnent beaucoup plus) à condition que l’âge de départ à la retraite ne soit pas repoussé.

Un joueur de foot qui signerait pour 100 millions par an, cotise actuellement à hauteur de 370 000 €. Si la cotisation était déplafonnée, il paierait 7 millions d’euros, ce qui représenterait la vente de quelques produits dérivés en plus et participerait à la bonne santé du système de retraite pour tous.

Le déplafonnement du taux de cotisation apporterait aux recettes de cotisation un apport d’environs 8 milliards d’euros. Avec la réforme de Macron, l’économie réalisée serait plus faible.

Certes, d’aucuns diront que les riches partiront. Rengaine connue des partisans du néolibéralisme. C’est tout de même oublier que cela ne concerne qu’une infime minorité car tous ces gens-là ont leur vie ici.

Cet apport pourrait servir à combler le déficit dans un premier temps puis pourrait permettre d’augmenter les petites retraites et/ou de baisser les cotisations patronales.

Ce détournement de nos fonds n’est rien d’autre que le fait du prince

Le COR annonce que le système des retraites est excédentaire en 2021 (900 millions) et en 2022 (un surplus estimé à 3,2 milliards), pour la première fois depuis 2008, grâce au rebond de la croissance française après le Covid. La baisse du chômage observée entraîne mécaniquement une hausse des cotisations retraite, ce qui explique cet excédent.

Pour rappel, en 2020, le déficit était estimé entre 13 et 14 milliards d'euros, dû notamment à la crise sanitaire et la hausse du chômage à ce moment-là. Le COR explique également que son rapport "ne valide pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l'idée d'une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite", comme a pu le suggérer Elizabeth Borne. Enfin, le Fonds de réserve des retraites, chargé de couvrir les déficits est actuellement de 36 Mds €.

Pour un gouvernement soucieux du bien-être de ses concitoyens, les choix politiques ne peuvent donc pas être de repousser l’âge de départ à la retraite. Or, c’est ce que veut précisément le président Macron en plus de diminuer les pensions. Sa violence ne s’exprime pas seulement contre les manifestants mais aussi contre les plus faibles.

 

Ressources :

Baudinprof.TV La retraite à 65 ans, est-ce la bonne solution ?

Christiane Marty, Jean-Marie Harribey, Pierre Khalfa : Derrière la réforme, des retraites au rabais

 

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