Révélations : Qui sont les “experts” en géopolitique du journal l’Humanité ? par Franck Marsal
Franck Marsal poursuit une exploration indispensable de l’inféodation du journal l’Humanité à l’idéologie dominante insufflée par l’OTAN et la CIA. Il met en cause son directeur du service international Vadim Kamenka dont nous avons déjà souligné l’attitude équivoque (mais très révélatrice) dans une visite reportage en Russie. Il a le jour où il fait la UNE avec l’article dont nous avons déjà parlé, fait appel à des individus dont le profil que détaille Franck Marsal est très parlant, il s’agit de gens qui tous sont liés à la CIA et à l’OTAN et qui sont installés à Moscou comme des cinquième colonnes. Mais je vous laisse lire la démonstration, elle dit ce que nous cessons d’affirmer, l’Humanité et le secteur international du PCF sont désormais totalement immergés dans les narratifs de la CIA et de l’OTAN. Nul doute que ces gens-là sauront mener les élections européennes dans le sens dicté par les mêmes. On voit de la Grèce à l’Espagne mais aussi dans toute l’Europe comment les peuples préfèrent la vraie droite à cette fausse gauche devenue la marionnette de l’impérialisme, est-ce que ce qui reste de sain dans le PCF va continuer dans cette voie en tous les cas personne ne pourra dire qu’il ne savait pas ? (note de Danielle Bleitrach dans histoire et société)
Jeudi 25 mai, le quotidien communiste (confirmé tel par son directeur lors du récent congrès du PCF) L’Humanité a publié plusieurs articles sur le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine et à l’OTAN.
Un de ces articles, signé Alexis Exposito, et intitulé “En Ukraine, comment les civils se préparent à la contre-offensive”
a déjà été remis en cause (et à mon sens à juste titre) pour son
absence totale de prise de recul par rapport à la propagande de l’OTAN
et son parti-pris favorable à la contre-offensive des forces de Kiev…
Je me suis pour ma part intéressé aux autres articles publiés le même
jour. Deux articles sont notamment consacrés à la décision OTANienne
d’autoriser l’entraînement de pilotes ukrainiens sur des avions de
chasse F16 et le transfert de plusieurs dizaines de ces avions au
gouvernement ukrainien.
Dans le premier de ces articles, le
directeur du service international de l’Humanité, Vadim Kamenka a invité
M. Igor Delanoé, présenté comme “Spécialiste des politiques de défense et de sécurité russe”
à commenter la décision prise par l’OTAN d’engager la formation de
pilotes de chasse ukrainiens sur des avions F16 appartenant à des pays
de l’Alliance, le Danemark et les Pays-Bas s’étant proposés de fournir
ces avions à l’Ukraine.
Et Igor Delanoé n’y va pas par quatre
chemins : loin d’être une escalade dans la guerre, la livraison des F16
serait un facteur de paix : “À mon avis, cette flotte de F-16 a
plutôt vocation à rentrer dans l’équation de la consolidation d’un
hypothétique futur cessez-le-feu en jouant un rôle de garantie de
sécurité pour l’Ukraine par substitution.” Formulation que la rédaction de l’Huma a choisi de reprendre dans le titre de l’article : “Igor Delanoë : « L’acheminement de F-16 en Ukraine rentre dans l’équation de la consolidation d’un cessez-le-feu »”
En lisant cela trop vite, on serait à deux doigts d’approuver cette
escalade majeure dans un conflit géopolitique déjà très meurtrier. Qui
n”a pas envie qu’un cessez-le-feu ramène la paix, stoppe la litanie des
morts inutiles, arrête la dangereuse escalade de cette terrible guerre ?
Mais pourtant, comment sérieusement penser que l’envoi de nouvelles
armes, franchissant ce qui avait été établi il y a peu encore comme une
ligne dangereuse, fasse autre chose que précipiter une nouvelle escalade
? Après l’artillerie, les chars, après les chars les avions, après les
avions ce sera quoi ? Les armes nucléaires ?
Quel est l’argument (unique) développé par Igor Delanoé ?
Igor Delanoé part tout simplement du constat suivant : “Les F-16 permettront-ils à Kiev de reconquérir les territoires sous contrôle de la Russie ? J’ai de sérieux doutes”.
De ce point de départ que l’on peut volontiers partager, il conclut,
d’une logique que M. Pangloss ne désavouerait pas, que, si les F16 ne
sont pas utiles à la victoire de l’OTAN, c’est donc qu’ils vont servir
la cause du cessez-le-feu (cessez-le-feu qui n’est pourtant pas du tout à
l’ordre du jour des commanditaires de l’opération, et dont Igor Delanoé
est bien obligé de reconnaître qu’il est tout à fait hypothétique) : “À
mon avis, cette flotte de F-16 a plutôt vocation à rentrer dans
l’équation de la consolidation d’un hypothétique futur cessez-le-feu en
jouant un rôle de garantie de sécurité pour l’Ukraine par substitution.”
Entrer dans l’équation de la consolidation d’un hypothétique futur
cessez-le-feu !!! Que de contorsions pour un mauvais tour de passe-passe
! Jeter de l’huile sur le feu tout en prétendant l’éteindre.
Que
les F16 (comme avant eux, les missiles Patriot, Storm Shadow, les tanks
Abrams et Leopard, les canons Caesar et les lance-roquettes Himars,
entre autres) puissent servir à prolonger un conflit qui rapporte des
dizaines de milliards de dollars au complexe militaro-industriel
états-unien (et quelques miettes à ses affidés européens) et d’affaiblir
la Russie (qui entre en contradiction avec les intérêts néo-coloniaux
étasuniens sur plusieurs terrains) au prix de la destruction de
l’Ukraine ne lui a visiblement pas effleuré l’esprit. Pas davantage, le
fait que, si on avait voulu un cessez-le-feu, pourquoi aurait-on, dès
mars 2022 fait capoter les négociations entre Ukraine et Russie,
pourquoi aurait-on formé et armé des dizaines de milliers de soldats de
l’armée ukrainienne, pourquoi refuserait-on de discuter sérieusement du
plan de paix chinois, de l’initiative africaine etc, etc.
Je me suis alors demandé qui était cet expert auquel l’Huma a ouvert ses colonnes.
Qui est Igor Delanoé ?
Arrêtons-nous quelques instant sur le parcours d’Igor Delanoé, que
l’Huma nous présente comme un “Spécialiste des politiques de défense et
de sécurité russe”.
L’Huma nous signale également qu’Igor
Delanoé est “Directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe à Moscou”,
sans plus de précisions. Commençons par cela.
L’Observatoire
franco-russe situé à Moscou n’est pas un institut de recherche
scientifique indépendant. C’est une émanation de la Chambre de commerce
franco-russe, une entité française, effectivement basée à Moscou, dont
il est le centre d’analyse. Il a pour mission de “produire une
expertise approfondie sur la Russie et de sensibiliser les décideurs et
relais d’opinion russes aux enjeux de la France d’aujourd’hui”
(source : https://fr.obsfr.ru/). La Chambre de Commerce et d’industrie
Franco-Russe (propriétaire de cet “observatoire”) est, comme elle le dit
elle-même, la représentante de la “communauté d’affaire franco-russe : “Avec
plus de 320 entreprises membres, dont 30 entreprises du CAC 40 et des
centaines de PME issues de divers secteurs d’activité, la CCI
France-Russie est aujourd’hui le premier réseau d’entreprises françaises
en Russie. Elle suit une croissance dynamique et est devenue une des
cinq plus grandes chambres de commerce françaises à l’étranger..”
La
personne que l’Huma a choisi d’inviter comme “expert” est donc le
directeur de l’institut d’analyse des entreprises du CAC 40 présentes en
Russie.” (source :
https://www.ccifr.ru/fr/ward/presentation/on_the_chamber)
Mais ce n’est pas tout : Igor Delanoé a d’autres cordes à son arc :
Selon sa page sur le réseau social professionnel Linkedin, Igor Delanoé fut “Research
Scholar – Harvard University janv. 2013 – déc. 2013 · 1 an Région de
Boston, États-Unis – Research Scholar at Harvard Ukrainian Research
Institute and at National Security Program (Harvard JFK School of
Government). .”
En français, cela signifie qu’Igor Delanoé
fut en 2013 (donc un an avant le coup d’état qui porta au pouvoir les
forces pro-occidentales en Ukraine) chercheur post-doctoral à
l’Université de Harvard aux USA, plus précisément au sein de l’Institut
de recherches ukrainiennes et au Programme de Sécurité nationale (US).
Il eut été intéressant d’informer les lecteurs de l’Humanité que la
personne présentée comme “experte” avait travaillé au cœur des
structures chargées de former les élites américaines et – souvent – de
contribuer à en élaborer la pensée.
Mais, ce n’est pas encore
fini. Selon la biographie diffusée par le Réseau d’Analyse Stratégique,
une structure canadienne, Igor Delanoé ” a été consultant pour les
ministères français des Affaires étrangères et de la Défense, pour le
DCAF (Geneva Centre for Security Sector Governance) ainsi que pour le
Centre pour le Dialogue humanitaire (Genève). Il intervient au Collège
de Défense de l’OTAN (Rome) et à l’École de Guerre (Paris), et enseigne
la politique de défense de la Russie à l’école Iris Sup’ (Paris).”
(source : https://ras-nsa.ca/fr/expert/igor-delanoe/). Encore une
information qu’il eut été utile de porter à la connaissance des lecteurs
plutôt que de présenter M. Delanoé comme un simple “expert”.
Et dans les autres articles ?
Maintenant que nous sommes bien au fait du CV de M. Delanoé,
remarquons que, dans cette fameuse édition de l’Humanité du 25 mai, le
service international de l’Huma a publié 5 autres articles sur la guerre
d’Ukraine dont un porte sur ce même sujet de l’envoi d’avions F16 par
des pays de l’OTAN. Intitulé “Guerre en Ukraine. L’envoi de F-16 fera-t-il basculer le conflit ?“, il est signé de Vadim Kamenka, le chef du service international himself.
Quels sont les experts cités dans ce deuxième article ?
- Olivier Kempf, présenté par l’Huma comme “directeur du cabinet de synthèse stratégique la Vigie” revient à plusieurs reprises dans l’article. Qui est Olivier Kempf ? Selon le réseau K2, dont il est visiblement membre, Olivier Kempf est “stratégiste et géopolitologue. Il a conduit une carrière militaire riche et variée, alternant commandements, opérations (Koweït, ex-Yougoslavie, Côte d’Ivoire, Tchad) et postes en État-major, en France comme à l’étranger (ONU, OTAN, UE). Simultanément, il a mené une carrière académique puisqu’il est chercheur-associé à l’Institut des Relations Internationales et de la Stratégie (IRIS) et qu’il enseigne (Sciences Po Paris, Lille, Strasbourg, Paris II, École de Guerre, IHEDN). Il est Saint-Cyrien et breveté de l’École de guerre, Docteur en Science politique, titulaire d’un DEA de Sciences économique et d’un DEUG de Droit.”
- Le général Dominique Trinquand intervient également et est présenté comme “ancien responsable de la mission militaire française auprès de l’ONU”. Là encore, une simple recherche sur internet permet d’en apprendre davantage : le site intervenants.fr nous indique que : “Diplômé de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr de l’école supérieure de guerre du Staff college de Camberley et du Royal College of Defense Studies de Londres, le Général DOMINIQUE TRINQUAND, occupe, tout au long de sa carrière, des postes au sein de régiments, d’Etats-majors et d’organisations internationales. Il participe ainsi à plusieurs opérations, au Liban, en ex-Yougoslavie et en Afrique. Il a une longue expérience des relations internationales en milieu multinational à l’ONU, l’UE et l’OTAN.”
Sont également citées dans cet article des personnalités bien connues : Volodymir Zelenski, président ukrainien, Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, Frank Kendall, secrétaire de la force aérienne états-unienne. Face à ce concert de représentants de l’establishment otanien, Igor Delanoé est à nouveau là avec sa théorie de la “consolidation de l”hypothétique futur cessez-le-feu.
Troisième article, intitulé “Guerre d’usure” et signé Catherine Dos Santos. Personnalité citée ? Dmytro Kuleba, chef de la diplomatie ukrainienne.
Quatrième article publié le même jour : “Avec Wagner, Evguéni Prigojine devient le nouvel homme fort en Russie”, signé Vadim Kamenka. Outre une courte citation d’Evgueny Prigojine lui-même, et deux citations anonymes (un diplomate dont la nationalité n’est pas précisé et un journaliste russe) l’article contient deux citations d’Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire Franco-Russe, le même institut dont Igor Delanoé est directeur adjoint… Il n’est pas besoin d’aller chercher très loin pour constater qu’Arnaud Dubien a fait également carrière dans les cercles de l’influence occidentale dans l’espace post-soviétique. Le site de l’Iris (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) nous indique que : “Arnaud Dubien a été, de 1999 à 2006, chercheur Russie/CEI à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Il a ensuite dirigé plusieurs publications consacrées à l’espace post-soviétique, notamment l’édition russe de la revue Foreign Policy et les lettres confidentielles Russia Intelligence et Ukraine Intelligence. Arnaud Dubien a par ailleurs été consultant des ministères français de la Défense et des Affaires étrangères, du Parlement européen, du GIFAS et de grands groupes industriels. Depuis 2010, il est membre du Club de discussion Valdaï. Il est également conseiller du président de l’Institut Choiseul pour la Russie.”
Expertise, politique et point de vue de classe :
Résumons :
1) L’Humanité présente, par deux articles, une théorie abracadabrantesque, visant à faire passer la livraison d’avions F16 comme une mesure pacifiste.
2) Dans aucun des deux articles consacrés à ce sujet, cette décision ne fait l’objet d’une condamnation claire.
3) Presque tous les intervenants et experts sollicités par l’Huma dans ces 5 articles consacrés au conflit ont partie liée avec des structures officielles de l’OTAN et des différents gouvernements occidentaux, ou ont été formés par l’appareil de propagande qui gravite autour de l’OTAN et sert ses intérêts.
La combinaison de ces 3 éléments prive complètement le lecteur de ce qu’il peut attendre d’un journal communiste. Le parti-pris du journal se place dans une position de commentateur. Le lecteur ne dispose pas d’une information objective et indépendante, permettant d’acquérir une vision d’ensemble de la situation. L’intervention des prétendus experts, loin d’apporter de la hauteur et des éléments nouveaux par rapport à la propagande de l’idéologie dominante rabaisse le lecteur et l’enferme dans les éléments de langage. Le lecteur ne dispose même pas de points de vue contradictoires à partir desquels il pourrait se forger sa propre opinion. L’absence d’analyse des intérêts de classe et des intérêts impérialistes qui motivent le développement de l’OTAN depuis la fin de l’URSS empêchent de faire le lien entre la politique internationale du gouvernement, en faveur de l’OTAN et sa politique nationale en faveur des milliardaires et des multinationales.
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