« Haaretz », dernier bastion de l’opposition juive en Israël
mardi 5 décembre 2023
par Sylvain Cypel blog ANC
Haaretz, un journal "libre", ce qui n’existe pas en France ! Certains articles de ce journal seraient accusés d’antisémitisme par Darmanin. Cherchez l’erreur. Les propriétaires des journaux français obligent leurs journalistes à être plus "sionniste" que certains journalistes israéliens.(JP-ANC)
« Israël est à la veille d’une révolution de droite, religieuse et autoritaire », titre le quotidien Haaretz au lendemain des élections législatives israéliennes du 1er novembre 2022, qui ont confirmé l’ancrage d’une extrême droite fascisante et le déni de l’oppression en Palestine. Si les forces traditionnelles de gauche ont fait faillite, Haaretz, journal libéral, maintient une ligne d’opposition conséquente aux politiques officielles. Enquête sur un quotidien à nul autre pareil.
Arrivé en Israël, vous achetez le journal Haaretz et vous découvrez ce titre : « Jetez le matériau dans les puits. Des archives montrent que l’armée israélienne a mené une guerre biologique en 1948 » [1].
À la lecture, vous découvrez que des ordres ont été donnés pour
empoisonner les puits de villages palestiniens lors de la guerre civile
qui opposa les forces du Yichouv (l’implantation juive en Palestine) à
celles des populations autochtones dans la période qui précéda puis
suivit la création d’Israël, le 15 mai 1948. Conçue sous la houlette du
futur premier ministre David Ben Gourion et de son futur chef
d’état-major Ygael Yadin, cette opération nommée « Répands ton pain »
(« Cast Thy Bread » [2]), visait à empêcher tout retour des Palestiniens après qu’ils avaient été expulsés.
Les archives montrent que le général Yohanan Ratner demanda un ordre
écrit, qui lui fut refusé. Yadin écrivit à ses subordonnés qu’ils
devaient agir « dans le plus grand secret ». Les premiers
empoisonnements furent menés en avril 1948 près de Saint-Jean d’Acre et
dans des villages proches de Gaza. Finalement, cette tactique assez peu
efficace fut vite abandonnée.
Révélations sur les crimes du passé
Des révélations de ce type, portant sur la manière dont Israël
expulsa les Palestiniens de leurs terres, Haaretz, le « journal de
référence » israélien, en publie désormais à un rythme effréné. Il
s’appuie, souvent, sur les travaux d’un jeune historien, Adam Raz, qui a
créé en 2015 un groupe de travail, l’Institut de recherche sur le
conflit israélo-palestinien, nommé Akevot.
Le mot, en hébreu, signifie « traces ». Raz recherche les traces
enfouies du passé israélien que l’historiographie officielle a effacées
afin de masquer, précisément, les faits occultés par sa version
héroïque.
Ses révélations, Raz les publie systématiquement dans les colonnes de Haaretz.
Le journal emploie en effet quasiment à temps plein un journaliste
(Ofer Aderet) qui suit les travaux d’historiens qui « déconstruisent »
complètement les vieux récits officiels. Raz, qui a écrit plusieurs
ouvrages (dont en 2018 Kafr Qasim Massacre sur le massacre de Kafr
Kassem), a lui-même publié ces dernières années dans Haaretz ou vu ses
travaux y être rapportés par Aderet dans une série d’articles sulfureux
sur la Nakba, sur des massacres restés dans l’ombre, mais aussi sur des
enjeux comme l’intégration des nouveaux arrivants juifs orientaux dans
les années 1950.
« Ni Yedioth Aharonot (le quotidien le plus lu dans le pays) ni aucun autre journal israélien n’aurait publié ces articles », nous confie-t-il. Hormis Haaretz, tous les grands médias défendent le « récit officiel » » sur le passé d’Israël, affirme l’historien.
Mais il n’y a pas que le passé sur lequel ce quotidien révèle ce que
les autres masquent. Sur le présent aussi, Haaretz se distingue par une
couverture unique dans son pays. « On n’a pas peur de s’attaquer aux
sujets les plus conflictuels. Personne d’autre ne publie de manière
constante et systématique l’information que nous diffusons », explique Hagar Shezaf, une jeune reporter qui couvre les territoires palestiniens occupés.
« Un journaliste comme Nir Hasson a fait depuis une décennie un suivi
exceptionnel de la judaïsation de Jérusalem et de l’incroyable
ségrégation des résidents palestiniens qu’elle génère. Il incarne le
changement qu’a connu le journal », poursuit l’une de ses stars internationales, Amira Hass, qui couvre les territoires palestiniens depuis 1993.
Le « changement » qu’elle évoque se déploie dans trois directions, explique Noa Landau, directrice adjointe de la rédaction : « Nous sommes d’abord un journal libéral » — dans le sens anglo-saxon du terme : inclinant vers le progressisme. « Et clairement, nous sommes leaders de l’information sur l’occupation des Palestiniens, le traitement des immigrés et les droits humains ». Comment cela est-il advenu dans un journal qui, après son rachat en 1933-1934 par les Schocken (une famille de riches juifs allemands ayant fui le nazisme), a été très longtemps porteur d’un sionisme revendiqué et politiquement de centre droit ?
La radicalisation coloniale de la société
Pour expliquer cette évolution, ses journalistes soulignent deux tendances convergentes. D’abord le renforcement constant de la colonisation israélienne des territoires occupés, ensuite la radicalisation dans un sens colonial tant de la société israélienne que de sa représentation politique. Ces tendances ont progressivement poussé la rédaction vers des formes de « résistance » plus ou moins vives, dues au sentiment d’un danger croissant, pas tant pour les Palestiniens que pour la « démocratie israélienne ».
Amos Schocken, PDG du journal depuis 1992, incarne la version
modérée, mais sans concession de cette évolution. Au sein de la
rédaction, tous soulignent le rôle déterminant du PDG actuel dans le
parcours qu’a suivi Haaretz. D’abord en ayant fait en sorte de préserver
le caractère familial de sa structure financière, permettant ainsi de
résister aux tentations des prédateurs. Ensuite en trouvant non
seulement des actionnaires minoritaires qui ne menaçaient pas le futur,
mais en créant aussi un supplément financier (nommé The Marker) qui,
ancré dans un libéralisme économique bon ton, a beaucoup contribué au
rétablissement de la santé financière du journal, en grosse difficulté
il y a une décennie.
Enfin, Schocken est la poutre essentielle qui a assuré le maintien de l’indépendance du titre.
Quant à son engagement politique : « Oui, je suis sioniste. Et
quand on croit au sionisme exprimé dans la déclaration d’indépendance
d’Israël, on ne peut pas accepter la loi sur l’État-nation du peuple
juif, une loi à caractère fasciste », dit aujourd’hui Schocken.
Votée en 2018, cette loi dite « fondamentale » (à vocation
constitutionnelle) désigne deux catégories de citoyens : les Juifs, qui
ont tous les droits, et les autres (donc les Palestiniens), qui, même
citoyens, n’en jouissent pas en totalité. « Elle nous mène à la catastrophe », répète Schocken. Haaretz s’est opposé à la loi sur l’État-nation dès 2011, dès sa première présentation au Parlement.
2011, c’est précisément la date de prise de fonction de l’actuel directeur de la rédaction, Aluf Benn. Mais « le processus de libération de la parole concernant les Palestiniens avait commencé sous le précédent directeur de la rédaction » (Dov Alfon, aujourd’hui directeur de Libération), souligne Gideon Levy, un des chroniqueurs les plus engagés (il soutient le mouvement Boycott désinvestissement sanctions — BDS). Selon lui, « longtemps, il a été impossible de dire dans Haaretz que le sionisme en lui-même induit un suprémacisme juif.
Sous l’égide de Benn, les termes « crime de guerre », « apartheid », « suprémacisme juif », etc., sont devenus légitimes » au sein du journal. On assiste depuis à un paradoxe : les gouvernants israéliens tentent de convaincre le monde entier que l’usage du terme apartheid pour qualifier le régime imposé aux Palestiniens est une manifestation d’antisémitisme. Mais au sein de la publication israélienne la plus connue, dit Anat Kam, une jeune journaliste qui travaille aux pages opinions du site web du journal, « il y a un débat profond sur l’utilisation du terme apartheid. Mais il ne peut exister que parce qu’il est fondé sur un accord collectif : le droit à l’expression est sacré ».
Ces changements sémantiques s’accompagnent de nombreux autres.
« Longtemps, admet Aluf Benn, nous avons pensé que l’occupation [des
Palestiniens] serait temporaire. Or il est clair qu’elle est devenue
pérenne. Il y a 30 ans, quand les soldats tuaient un enfant, on pouvait
s’attendre à une enquête. Aujourd’hui, l’armée avalise tout. Les
enquêtes ont disparu. Cela explique l’avènement de Breaking the
Silence » — une ONG de soldats de réserve qui témoignent des agissements de l’armée en Territoires occupés.
C’est aussi ce qui a amené Haaretz à évoluer : « La plupart des journaux ne publient rien sur la réalité de l’occupation. À l’inverse, nous occupons une position unique dans ce domaine ».
Autre changement important : le traitement de la discrimination des
Israéliens d’origine orientale s’est beaucoup développé. Iris Leal, qui
contribue aux pages littéraires, se présente comme « l’Orientale de
service » du journal. Très critique de « l’aveuglement » historique des
dirigeants travaillistes ashkénazes (juifs d’Europe centrale) à l’égard
des juifs orientaux, elle écrit le plus souvent sur son thème favori.
« Les lecteurs de Haaretz, dit-elle, sont très majoritairement
ashkénazes (donc plus riches et mieux éduqués). Ils me respectent parce
que je suis de gauche » [sous-entendu, pas parce que je suis orientale]. En fait, « nombre de lecteurs du journal me traitent de “pleureuse”, m’écrivent que “la question des Orientaux est dépassée”. Ceux-là sont presque toujours ashkénazes ».
Mais, poursuit-elle, « j’ai le soutien de la direction, qui tient à
ce que ce qui est advenu et advient encore aux juifs orientaux en Israël
soit amplement traité ».
Elle crédite son journal d’avoir empêché que « l’affaire des bébés yéménites soit balayée sous le tapis ».
Cette affaire, qui remonte aux premières années 1950, reste un foyer de
tension très brûlant. Des centaines de bébés nés de parents
principalement issus du Yémen et d’autres pays musulmans auraient été
faussement déclarés mort-nés à leurs parents pour être secrètement
donnés en adoption à des couples ashkénazes en incapacité de procréer
(dont des rescapés des camps de la mort). Entre ceux qui dénoncent un
« crime d’État » d’une ampleur insoupçonnée et ceux qui contestent une
fabrication « imaginaire », le débat fait rage depuis 50 ans, sans avoir
été tranché.
Haaretz, dit Leal, a beaucoup donné la parole aux dénonciateurs d’un
fake. Mais Alon Idan, le patron des pages débats qui les a ouvertes aux
« voix discordantes », a octroyé une large place aux tenants du crime
d’État.
L’arabisation de la rédaction
Mais le changement sans doute le plus spectaculaire qu’a connu
Haaretz est indiscutablement le début d’ « arabisation » de sa
rédaction. En 2000, Noa Landau a lancé le projet Haaretz 21. Objectif :
recruter des journalistes palestiniens (citoyens israéliens).
« La situation ne pouvait plus durer. Il nous fallait des
Palestiniens dans la rédaction pour deux motifs : être conforme à nos
principes, basés sur l’égalité des droits des citoyens israéliens, et
plus important, pour donner à nos lecteurs la vision de l’autre, que les
Israéliens n’entendent presque jamais. Or, pour un Palestinien, il n’y
avait aucun moyen de se former au journalisme dans le système israélien.
On a pris les devants. Haaretz 21 est un incubateur. La première
promotion a réuni 20 personnes, dont cinq travaillent aujourd’hui au
journal ».
La seconde sortira dans un an, et 5 à 6 nouveaux journalistes palestiniens seront embauchés.
Sheren Falah Saab a fait partie des premiers élus. De manière rarement abordée par la presse, elle couvre essentiellement la société et la culture des Palestiniens citoyens israéliens. Ses papiers sont souvent publiés dans le supplément culturel Galleria. Quand on l’interroge sur son identité, elle répond qu’elle est « complexe ». Sans renier sa citoyenneté israélienne, elle se sent « parfois palestinienne, parfois arabe, et souvent les deux à la fois ». De plus, elle est druze, une identité qui revient au premier plan dans certaines circonstances. Bref, elle vit « les conflits identitaires intérieurs de la plupart des Palestiniens citoyens israéliens et qui sont pour beaucoup dus à la politique qu’Israël nous impose ».
Une Palestinienne écrivant dans un journal israélien ?
Au début ses amis l’ont regardée avec suspicion. Maintenant, « c’est
fini ». Elle dit aussi « ne pas se sentir étrangère » dans la rédaction.
L’un de ses derniers articles, « La vie tragique de Ghassan Kanafani » [3],
portait sur celui qui reste une effigie du combat palestinien.
Kanafani, poète et dirigeant du Front populaire de libération de la
Palestine (FPLP), fut assassiné à Beyrouth par un commando israélien le 8
juillet 1972.
Falah Saab lui consacre trois pages dans le supplément hebdomadaire, à
partir du livre d’un ancien journaliste de Haaretz, Danny Rubinstein. À
l’époque, tout Israël avait jugé légitime l’assassinat d’un
« terroriste ». Aujourd’hui, il écrit que Kanafani « n’avait pas de
gardes du corps. Il ne changeait pas non plus de domicile. Il
n’imaginait même pas qu’Israël pouvait le considérer comme un
terroriste ».
Sheren expose juste l’histoire d’un homme en qui une société voit un monstre et l’autre un héros.
« Rien de tout cela ne serait possible sans le propriétaire », Amos Shocken, ce magnat progressiste souvent insulté par la droite israélienne comme Georges Soros peut l’être par les cercles trumpistes américains, clame Gideon Levy.
« Si Yediot Aharonot disparaissait, Israël continuerait d’être le
même. Si Haaretz disparaissait, plus personne ne parlerait des
territoires palestiniens, ni des dangers environnementaux ni de
l’oppression de la femme ».
Aluf Benn exprime une idée similaire. « Sommes-nous devenus le seul pôle d’opposition dans le pays ? D’une certaine façon, oui. » La question, s’interroge-t-il, est :
- Pourquoi est-ce advenu ? Est-ce l’expression d’une lassitude ? Hormis les colons et les militaires, les gens ne vont pas dans les territoires occupés. En ce moment il y a une insurrection lourdement réprimée à Jénine et Naplouse.. Ni le gouvernement ni l’armée ne donnent la moindre explication. Mais personne ne pose de questions. Idem d’ailleurs pour les bombardements israéliens permanents en Syrie. En fait, quinze ans après la fin de la seconde intifada, la plupart des gens se désintéressent de ce qui advient aux Palestiniens.
Alors, conclut le directeur de la rédaction, « si révéler les faits que personne ne veut connaitre nous rend uniques, c’est aussi parce que pas mal de choses ont changé ces dernières décennies ». En termes différents, la journaliste Anat Kam abonde : « Oui, Haaretz constitue de facto la seule opposition aux gouvernants israéliens, mais cet état de fait en masque un autre : le journal ne convainc que les convaincus d’avance ».
Une critique de gauche
Si Haaretz suscite des réactions souvent outrées chez la majorité des
Israéliens, le journal est parfois critiqué du côté des médias
alternatifs adversaires de l’occupation. C’est le cas, par exemple, du
site d’informations « Le lieu le plus chaud de l’enfer », ou encore de
la chaine télévisuelle Democrat TV, dirigée par Lucy Aharish, une
Palestinienne citoyenne d’Israël.
Mais le site le plus actif se nomme Local Call (Appel local), et sa
version anglaise +972.com. Certains, parmi ses journalistes et surtout
ses visiteurs, critiquent la propension de Haaretz à préserver une forme
de modération dans la critique des agissements des autorités
israéliennes.
Surtout, note la cinéaste Anat Even, Local Call est le seul média
« réellement binational ». Ses plumes comme ses dirigeants se nomment
Hagaï Matar, Orly Noy, Meron Rapoport, Yonit Mozes, etc., mais aussi
Basil El-Adra, Fatima Abdul Karim, Vera Sajraoui, Baker Zoubi, Samiha
Houreini, etc.
Bref, on y compte autant de journalistes palestiniens que juifs.
Par ailleurs, à l’intérieur de Haaretz, des voix critiques se font
aussi entendre. Correspondante dans les territoires palestiniens occupés
où elle vit depuis 1993, Amira Hass reconnait que son journal n’a pas
d’égal en Israël.
« Nous publions aujourd’hui des articles et des informations qui ne
seraient jamais parus auparavant et offrons aux Palestiniens une
exposition médiatique qu’ils n’ont nulle part ailleurs dans les grands
médias ». Mais elle ajoute :
- Haaretz donne le sentiment d’en faire beaucoup. Comparé aux autres, c’est une évidence. Mais il se passe tellement plus de choses que ce qui est rapporté, que ce soient les tueries d’enfants par des soldats, les attaques de colons contre des fermiers palestiniens ou les méthodes israéliennes pour s’emparer des terres. Peut-être qu’avec dix journalistes supplémentaires, on y parviendrait, si par ailleurs le “rating” [4]le permettait.
Il faudrait aussi, suggère-t-elle, s’intéresser autant à la société palestinienne qu’aux affrontements quotidiens. Elle n’est pas seule à évoquer ce manque. Plusieurs de mes interlocuteurs ont évoqué ceux qu’ils appellent les « telaviviens », et qui restent numériquement très dominants dans la rédaction.
Le terme vise une sorte de « gauche bobo » certes globalement
progressiste, mais peu encline à réellement s’intéresser à la vie des
Palestiniens. Amira Hass insiste aussi sur le « vocabulaire » qui, pour
ce qui concerne les Palestiniens, « n’est pas suffisamment émancipé du
langage officiel » à la rédaction.
Un exemple : si le nombre des tirs palestiniens s’accroit, le terme
« escalade », immédiatement martelé par le porte-parole militaire, est
souvent repris machinalement tel quel dans le journal.
« Mais l’accélération de la colonisation, le processus le plus constant et agressif de tous, n’est jamais qualifié d’escalade ».
Autre exemple : « Une ville ou un village palestiniens sont souvent désignés dans la presse, Haaretz inclus, en fonction de leur proximité avec une colonie. Cela donne une fausse impression de coexistence et de normalité. Plutôt que d’écrire que la ville de Salfit est proche d’Ariel (une grosse colonie israélienne), moi j’écrirais qu’elle est au sud-ouest de Naplouse et qu’Ariel a été bâtie sur ses terres”. En même temps, insiste-t-elle, à Haaretz « on jouit d’une liberté d’écriture inexistante dans les autres grands médias israéliens, qui tous pratiquent une autocensure massive » dès qu’on touche à l’occupation et à la colonisation ».
Un impact à l’international
À cet égard, quel impact Haaretz a-t-il sur sa société ?
Là, les journalistes divergent quelque peu. Sheren Falah Saab croit parvenir à « faire un peu bouger les choses ».
Elle le voit dans les messages qu’elle reçoit, même s’ils incluent
aussi pas mal d’insultes (« je n’en tiens pas compte »). Hagar Shezaf
répond que « quelquefois, on enregistre des microsuccès. On oblige
l’armée à modifier une déclaration. Mais si je faisais mon travail dans
l’espoir de changer les choses, je crois que j’entrerai dans une
profonde dépression ».
Gideon Levy pense, tristement, que l’influence de son journal sur la
société israélienne est « quasi égale à zéro ». En revanche,
poursuit-il, son impact international est désormais acté. La hausse
constante des ventes de sa version anglaise (en coopération avec le New
York Times) et des connexions sur son site internet en anglais en font
foi. Dans le monde entier, dirigeants politiques, hommes d’affaires,
diplomates, universitaires, tous ceux qui s’intéressent au Proche-Orient
« savent qu’il n’y a pas d’autre lieu qu’ Haaretz pour disposer d’une information fiable ».
À défaut de modifier les rapports de force internationaux ou d’empêcher
les succès diplomatiques d’Israël, le journal est devenu une source
importante de la dégradation continue de l’image de cet État dans le
monde.
Enfin, Noa Landau juge prématuré d’établir un réel bilan de
l’évolution de Haaretz. Son plus important succès, à ses yeux, est
d’avoir contribué largement à faire obstacle à la tentative des
gouvernants de « rayer la Nakba du débat public », comme Benyamin
Nétanyahou avait tenté de le faire. Mais elle pense, surtout, que le
succès le plus probant de son journal n’est pas encore sensible, mais
que « des groupes judéo-arabes se forment ».
Comme Standing Together (Debout ensemble), une association qui lutte pour l’égalité salariale entre Juifs et Arabes. « De
plus en plus de gens, à gauche, comprennent qu’il n’y a pas d’avenir en
Israël sans tenir compte de l’opinion arabe. La tendance à œuvrer en
commun, Palestiniens et Israéliens, se renforce, et va se poursuivre ».
L’avenir le dira, mais c’est en tout cas la voie que Haaretz entend promouvoir.
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