« Amis paysans, ne vous trompez pas de cible ! »
samedi 27 janvier 2024
par Hervé Kempf Blog ANC
Le capitalisme, qui est aussi agricole, est l’ennemi de l’homme et de la nature, par essence. Il ne cherche qu’à exploiter, exploiter et exploiter encore jusqu’à ce que mort s’en suive. Il faut changer de système économique pour changer d’agriculture ! Et quoi qu’en dise Hervé Kempf, tous les écologistes ne sont pas de son avis. Hélas. Et je pense que les agriculteurs ont en partie raison de cibler les "écologistes" élus à Bruxelles, qui votent avec la droite et n’ont d’écologiste que le "dossard vert". (JP-ANC)
La colère des agriculteurs ne devrait pas cibler les écologistes, mais le gouvernement et sa politique agro-industrielle, écrit Hervé Kempf dans cet éditorial. « Qui chasse des paysans ? Les écologistes ou le gouvernement ? »
Amis paysans, ne vous trompez pas de cible !
Selon beaucoup d’entre vous, d’après les manifestations agricoles de ces
derniers jours, la racine du problème se trouve dans les normes
environnementales. Pourtant, ceux qui vous conduisent à la détresse ne
sont pas les écologistes, mais le gouvernement allié aux multinationales
avec la FNSEA.
Je ne vous parle pas de nulle part : dans ma famille et ma
belle-famille, je compte six paysans. Ils me racontent les difficultés
de ce métier et ce sentiment qu’ils ont toutes et tous, malgré la
passion qu’ils éprouvent, d’être en permanence en mode « survie »,
quelle que soit la longueur des semaines de travail.
À Reporterre aussi, nous nous passionnons pour l’agriculture depuis toujours, et c’est un thème essentiel de notre média.
Pourquoi ?
Parce que l’agriculture est une activité d’avenir, et que c’est
notamment par elle que nous pouvons refaire une société écologique,
respectueuse des humains comme de la nature que nous aimons comme vous
l’aimez.
Alors que les néolibéraux n’ont eu de cesse de réduire le nombre de
paysans en France — de 1,6 million en 1982 à 400 000 en 2019 et encore
100 000 fermes disparues depuis 2010 —, nous soutenons de longue date
l’idée qu’il peut y avoir 1 million de paysans en France, qui vivent
bien de leur métier et dans la dignité.
« Qui laisse dans l’indifférence les installations paysannes ? »
Et c’est pourquoi je peux dire : amis paysans, ne vous trompez pas de
cible ! Qui a fait passer l’accord de libre-échange avec la
Nouvelle-Zélande, qui va créer une nouvelle concurrence à l’agriculture
européenne ?
Les écologistes ou le gouvernement et les partis de droite ?
Qui favorise l’accaparement des terres par des sociétés financières,
chassant des paysans et développe des pratiques agro-industrielles ?
Qui laisse dans l’indifférence les installations paysannes ?
Les écologistes ou le gouvernement ?
Qui promeut une agriculture « high-tech », sans paysans ?
Les écologistes ou le gouvernement ?
Qui favorise l’élevage industriel, multipliant les maladies, telle la grippe aviaire, ruinant les petits éleveurs ?
Qui laisse bétonner les terres, chassant les paysans à coups d’entrepôts, d’autoroutes et d’un urbanisme incontrôlé ?
Les écologistes ou le gouvernement ?
Et qui s’allie depuis des années avec ce gouvernement proche de
l’agro-industrie, sinon la FNSEA, présidée par un homme qui, après un
cursus à l’European Business School de Paris, a fait carrière dans le
négoce, avant de prendre la tête d’une exploitation de 700 hectares ?
Croyez-vous, amis paysans, que cet homme défend vos intérêts, ou qu’il défend ceux de l’agro-industrie ?
Impasse productiviste
La réalité de la crise agricole découle en réalité de la poursuite inexorable du projet néolibéral de l’agriculture : un marché mondialisé, des firmes prenant le contrôle des principales productions, le mépris de l’environnement et des équilibres biologiques, le choix délibéré de réduire le nombre de paysans pour ne plus garder qu’une minorité d’agri-managers employant une main-d’œuvre prolétarisée (et souvent immigrée), tandis que subsisterait une frange d’agriculteurs fournissant des produits haut de gamme pour les riches.
Nous sommes en fait engagés dans une impasse productiviste, d’autant plus folle qu’elle néglige profondément le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, dont les effets retentissent de plus en plus fort. Toutes les alertes lancées depuis des années, et l’appel non moins ancien à développer une agriculture biologique respectueuse des territoires et créatrice d’emplois, l’ont été en vain.
Le complexe regroupant agro-industrie, FNSEA et gouvernements (depuis Jacques Chirac) veut continuer en accroissant l’industrialisation de l’agriculture, avec de nouveaux OGM (organismes génétiquement modifiés), des mégabassines pour grands exploitants tournés vers l’exportation, des productions végétales pour les avions — arrosées de pesticides et gérées par des ordinateurs —, des exploitations immenses aux champs dénudés favorisant les inondations et exigeant d’énormes tracteurs gros consommateurs de fioul.
Rien qui relève le revenu moyen agricole, rien qui favorise l’installation de jeunes paysans, rien qui réponde aux enjeux écologiques, et tout pour une dépendance alimentaire et une nourriture bourrée de pesticides aussi toxiques pour les consommateurs que pour les agriculteurs qui les utilisent.
Il est temps de repenser l’agriculture à l’aune des défis d’aujourd’hui. Qu’on le veuille ou non, le climat et la biodiversité s’imposent à tous. Et plutôt que de chercher à y échapper, l’agriculture pourrait être l’outil qui permet de les modérer et de faire un monde nouveau. Amis paysans, soyez écologistes.
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