vendredi 23 février 2024

 

Avec deux ans de recul, l'interminable guerre en Ukraine

23 Février 2024 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Ukraine, #Russie, #États-Unis, #L'Europe impérialiste et capitaliste, #Royaume-Uni, #GQ

Potemkine, pas le cuirassé, l'autre

Potemkine, pas le cuirassé, l'autre

Article mis à jour, la première version ayant été rédigée le 11 novembre 2022, et qui reste d'actualité, la ligne de front ayant peu bougé depuis - bien que la Russie ait gagné plusieurs batailles d'attrition et que la situation militaire de l'Ukraine se dégrade de jour en jour - la Russie et l'OTAN redoutant les conséquences d'un engagement décisif, chacun pour ses raisons, chacun à sa façon. Au prix de la vie de centaines de milliers de soldats.

La guerre civile qui a lieu en Ukraine entre slaves historiquement et culturellement très proches a été provoquée par la prétention des autorités ukrainiennes fantoches de l'impérialisme occidental, issues du putsch du Maidan en 2014 d'effacer l’héritage russe dans le pays et d'interdire l'usage de la langue russe, qui est pourtant la langue maternelle d’une forte minorité de la population ukrainienne, si ce n’est la moitié, et la langue de communication et de culture de presque tous, pour la remplacer à cet effet d'ailleurs davantage par l’anglais que par l’ukrainien. Cette intolérance s'est étendue aussi  aux fidèles de la religion orthodoxe relevant du patriarcat de Moscou.

Les crimes et les actes de répression politique des néonazis qui ont infiltré le régime de Kiev n'expliquent pas à eux seuls la rébellion armée du Donbass de 2014 et sa résistance jusqu’en février 2022, c’est la volonté de génocide linguistique et culturel et d'épuration ethnique, appuyée sur la terreur, et exercée par les nostalgiques des génocidaires – au sens propre du terme - des bandes de Bandera des années 41- 44, qui a déclenché le soulèvement puis l'intervention russe. La cause de l’Ukraine est la plus mauvaise qui soit, quelques soient les préférences politiques, et les mauvaises causes, à force militaire comparable, finissent par perdre les guerres. L’Ukraine sera vaincue, et chaque retard signifie qu’elle le sera plus complètement. Des centaines de jeunes soldats seront sacrifiés tous les jours pour rien, ou plutôt pour l'OTAN, en attendant, par leurs chefs nazis et corrompus, dont les crimes sont protégés par l'omerta des médias occidentaux.

Ses défenseurs hystériques feraient bien de s'en aviser. Mais à vrai dire ils s’en fichent. Ce qui compte pour eux c’est la poursuite de la suprématie occidentale qui passe par une guerre par procuration prolongée pour affaiblir la Russie et intimider la Chine.

En attendant les fascistes ukrainiens savent qu’ils peuvent commettre n’importe quelle atrocité, et qu’ils seront couverts par les médias globaux et les ONG qui devraient les dénoncer et qui au lieu de cela les imputeront aux Russes. Ce qui  en fin de compte ne fera qu’aggraver leur cas et approfondir la catastrophe nationale qu’a déjà provoqué l’équipe de gangsters de leur clown-président.

 

Mais les objectifs de la Russie depuis le début de la guerre ouverte qu’elle a été contrainte de lancer avec une certaine improvisation le 24 février 2022 contre le pouvoir de Kiev, guerre qu'elle se refuse d’appeler par son nom, ne sont pas cohérents : dénazifier et démilitariser l’Ukraine signifierait s’emparer de Kiev pour y installer un gouvernement favorable à Moscou, comme Staline le fit en Pologne en 1944. Cela signifie qu’il fallait aider et organiser le parti ukrainien pro-russe au lieu de le laisser se désagréger en remettant en cause la légitimité même de la nation ukrainienne. Mais pour ce faire il aurait fallu favoriser la gauche ukrainienne qui dominait ce camp idéologique, et par ricochet la gauche en Russie, ce que les nostalgiques de Nicolas II - quelle référence ! - au pouvoir à Moscou ne voulaient pas faire – et qu’ils vont devoir faire finalement, forcés qu’ils sont par les difficultés militaires imprévues qu'ils ont rencontré.

Le fait est que la Russie de Poutine, contrairement à l’URSS de Staline n’a tout simplement pas de projet politique. Alors qu’en face, l’Ukraine est le nouveau laboratoire du néolibéralisme fascisé, le nouveau Chili de Pinochet.

La Russie - comme ses dirigeants le reconnaissent maintenant - paye les hésitations de 2014 où elle aurait pu occuper au moins les territoires qu’elle contrôle encore aujourd’hui, après l’évacuation de Kherson, à moindre perte, et où elle aurait pu aussi installer un gouvernement ukrainien contestant la légitimité de la clique de la CIA issue du Maidan, et elle paye aussi avec retard la facture de l’impardonnable dissolution de l’URSS en 1991, perpétrée de concert par les oligarques des deux pays dont les héritiers sont toujours au pouvoir - dans les deux pays. L'Union Soviétique était devenue en 70 ans d'histoire épique un État-nation légitime qui aurait dû persister au minimum sur la base d’une triple union Russie - Ukraine – Biélorussie, et sans doute d'autres républiques. La remplacer par un soi-disant "monde russe" ne mène à rien d'autre qu'à recréer les conditions de la débâcle des Romanov.

Annexer - quelques semaines après avoir solennellement reconnu leur indépendance - plusieurs provinces ukrainiennes, certes indubitablement ethniquement russes contredit le projet de dénazifier, démilitariser et neutraliser toute l’Ukraine, puisque cela affaiblit d'autant le parti ukrainien "pro-russe", en fait néo-soviétique. Il s’agit de la mise en œuvre précipitée d’un plan B dont la poursuite signifie le renoncement, non assumé mais de facto, du grand plan. Organiser des plébiscites pour le justifier est encore plus maladroit, car pour quelle raison des Russes à qui on empêche de parler leur langue voteraient-ils contre leur rattachement à la Russie ? Les plébiscites ne font que semer le doute, et on les fait avant une guerre, ou après, mais pas pendant.

L’échec du plan A provient d’avoir sous-estimé le nationalisme ukrainien, à avoir nié les Ukrainiens comme les Ukrainiens niaient leurs compatriotes russophones, et aussi d’avoir sous-estimé la capacité militaire d’une armée fortement réorganisée depuis 8 ans par l’OTAN. Mais cela il faut l’admettre ne pouvait pas être connu à l'avance. A la guerre, comme disait Napoléon, on s’engage, et puis on voit, et les Russes se sont engagés, et ils ont vu, on ne peut pas leur retirer ça.

Enfin la propagande russe fait fond sur les soi-disant « valeurs traditionnelles » dont la plupart se fichent éperdument, y compris en Russie, pour lesquelles en tout cas personne n’est prêt à mourir . Elle tente de se présenter comme un combat de la tradition contre la globalisation, au prix d’une « satanisation » caricaturale de l’adversaire (même Adolf Hitler ne pouvait pas être compris ni combattu en en faisant une incarnation du mal) alors que la vraie question n’est pas la globalisation, qui est un fait objectif économique et culturel du monde contemporain à laquelle on ne peut résister qu'à ses périls, mais de savoir si les États-Unis et leurs vassaux vont continuer à l’utiliser pour étendre leur Empire.

Ainsi les autorités russes n'avaient rien de mieux à faire pour préparer leur retraite de Kherson que de déterrer les ossements du Prince Potemkine? Ce qui soit dit en passant semble bien trahir leur intention de ne pas revenir de si tôt.

Certes tout ne se passe pas sur le champ de bataille. La guerre économique qui se développe en parallèle à la guerre tout court a tourné pour le moment beaucoup plus favorablement qu’on s’y attendait pour la Russie, mais il n’en reste pas moins que c’est sur le terrain militaire que les choses vont se jouer, et qu’il ne faut pas s’attendre à un mouvement populaire en Occident, à une insurrection des Gilets Jaunes ou des camionneurs canadiens pour empêcher l’escalade contre la Russie, ni à l'action d'une extrême droite vocale contre les migrants mais muette contre l'impérialisme quand il se montre dangereux, et qui est fondamentalement anti-russe parce que fondamentalement anticommuniste. Car ce que les "russophobes" reprochent à la Russie au bout du compte c'est principalement la Révolution d'Octobre et ses immenses conséquences. Il n'y a pas grand chose à attendre non plus d'une éventuelles réélection de Donald Trump qui n'est rien d'autre qu'un démagogue sans principes.

La Russie gagnera la guerre moins parce que sa cause est juste que parce qu'elle y sera contrainte par les jusqu'au-boutistes enragés qui dominent le camp occidental qui ne lui laisseront aucun autre choix.

Quant à l'OTAN, dirigée par des irresponsables et des idéologues dangereux, elle s'est engagée dans un combat qui risque bien de conduire à sa désagrégation, plus rapidement que prévu.

Avoir provoqué la Russie à la guerre est sans doute perçu par les plus cyniques des néo-conservateurs occidentaux comme un brillant succès car il est toujours très couteux sur le plan diplomatique et sur celui de la propagande de donner l'impression d'avoir pris l’initiative de la guerre. Mais ce n’est pas le cas : en sous-estimant l’économie russe qui est sortie renforcée du cycle de sanctions lancé en 2014, et sa capacité à approvisionner la population et à fournir des équipements militaires, elle a provoqué une crise artificielle mais profonde en Occident même et un engagement militaire à un degré imprévu dont ils se seraient bien passés. Les sanctions économiques basées sur la spoliation des avoirs russes, et les atteintes aux droits élémentaires de particuliers russes ont miné à terme le crédit occidental, le crédit d’un groupe de pays qui, justement, vit à crédit au dépens du reste du monde. Et elle a engagé un processus de radicalisation anti-impérialiste, de discrédit des partisans de l’Occident, et de réévaluation de l’héritage soviétique qui n’en est qu’à ses débuts, et qui aura de l’influence bien au-delà des frontières russes.

Les tentatives d'isoler la Russie se sont retournées contre leurs auteurs qui se retrouvent eux-mêmes isolés et comme ils contrôlent encore les médias les plus diffusés, ils tentent de se rassurer par la méthode Coué, mais ils ont réveillé le Dragon à leur grand dam. Le clivage colonial entre l'Occident et le reste de monde, qui remonte à l'époque des voyages de Christophe Colomb et de Magellan, touche à sa fin.

La guerre de Gaza, le rapprochement entre l'Iran et l’Arabie Saoudite, la débâcle de la Françafrique, la rupture du blocus de la RPD de Corée, l'expansion des BRICS, sont des signes parmi d'autres du déverrouillage général, gros d’opportunités et de risques, que l’initiative audacieuse de la Russie a déclenché partout dans le monde

La montée des enchères place soudain les sociétés occidentales en difficulté dans une guerre Imprévue à cette échelle, qui soumet ses forces armées à des stress matériels avant même leurs premiers combats. Il est probable maintenant que les troupes de l’OTAN vont devoir se résoudre à affronter directement l’armée russe dans les mois qui viennent sur le territoire ukrainien, pour éviter l’effondrement de leur protégé qui risquerait de décrédibiliser complètement l'alliance -  et dont les succès épisodiques sont illusoires - comme les États-Unis ont affronté la Chine sur le territoire coréen de 1950 à 1953 - en courant le risque d'une défaite encore plus retentissante, sans parler de celui considérable de l'escalade nucléaire.

Ils ne pensaient pas en être conduits si rapidement à une guerre décisive où la survie de l’Empire lui-même est en jeu, d’autant plus que dans leur schizophrénie certains parmi les impérialistes les plus fanatiques nient même qu’il existe un empire.

Il faut se rendre à l'évidence : si pas grand monde en Russie n’est prêt à mourir pour les "valeurs traditionnelles", c'est à dire pour empêcher la tenue de la Gay Pride ou les manifestations des Pussy Riot à Moscou, encore moins de gens seront prêts à mourir à Paris, à Londres ou à New York pour imposer les mœurs posts-modernes d'un Zelinsky aux Russes. Ou pour toute autre raison que le mercenariat et la corruption.

Le caractère impérialiste et les vrais responsabilités du conflit vont donc devenir de plus en plus claires, pour de plus en plus d’observateurs intéressés, et dans le monde entier, malgré le black-out total de la part des médias occidentaux, qui contribue finalement à les discréditer et à égarer ceux qui les contrôlent.

 

GQ 11 novembre 2022, relu le 15 février 2024

 

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