samedi 10 février 2024

 

En Allemagne, un nouveau parti populiste veut couper l'aide à l'Ukraine

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Lors de son premier congrès, le parti de gauche radicale de Sahra Wagenknecht a appelé à l'arrêt des livraisons d'armes à Kiev et à une reprise des importations de gaz et de pétrole russe. Son discours séduit des électeurs en Allemagne de l'Est.


Sahra Wagenknecht salue ses partisans après son discours. « Nous livrons des armes à l'Ukraine pour une victoire à laquelle même les généraux ukrainiens ne croient plus », a-t-elle déclaré.
Sahra Wagenknecht salue ses partisans après son discours. « Nous livrons des armes à l'Ukraine pour une victoire à laquelle même les généraux ukrainiens ne croient plus », a-t-elle déclaré. (MACDOUGALL/AFP)

Par Emmanuel Grasland

Publié le 28 janv. 2024 à 14:48Mis à jour le 29 janv. 2024 à 07:52

C'est au numéro 131 de l'avenue Karl-Marx, à Berlin, qu'ils se sont réunis. Dans un ancien cinéma construit au début des années 1970 par le régime communiste. Planté au milieu de grands bâtiments staliniens, tout droit sortis d'une BD d'Enki Bilal, le Kosmos était alors la plus grande salle de cinéma d'Allemagne de l'Est. Avec son architecture ovale, le lieu se voulait l'incarnation de la modernité communiste.

Mais ce samedi, il s'agissait surtout de souligner les racines est-allemandes du nouveau parti de gauche radicale et anti-immigration de Sahra Wagenknecht, à l'occasion de son premier congrès.

Une débatteuse redoutée

Pour un communicant français, Sahra Wagenknecht pourrait être un cas d'étude. Débatteuse redoutée, à l'aise dans les talk-shows, la dirigeante de 54 ans est une figure de la gauche populiste allemande.Outre-Rhin, tout le monde connaît ses tailleurs à couleurs vives et ses chignons à la Marie-France Garaud. Ce samedi, elle était accompagnée de son mari, l'ancienne star du parti social-démocrate, Oskar Lafontaine , qui avait décidé de sortir de sa retraite politique. Les deux ont affronté une myriade de flashs à leur entrée.

Pro-russe, anti-immigration

En 2005, l'ex-ministre-président de Sarre avait claqué la porte du Parti social-démocrate pour créer le parti de gauche radicale Die Linke. En octobre, Sarah Wagenknecht a fait de même . Elle a quitté Die Linke avec neuf autres députés, pour fonder l'Alliance Sahra Wagenknecht (BWS) - pour la raison et la justice.

Un parti à sa main, qui conjugue un programme très à gauche sur les questions économiques et un discours pro-russe, anti-immigration et une forte défiance vis-à-vis de l'Europe. C'est un millionnaire allemand de la tech, Ralph Suikat, qui gère les finances du parti.

De gauche à droite, la députée Amira Mohammed Ali, la leader du parti, Sahra Wagenknecht et son mari, Oskar Lafontaine, ancien ministre-président du Land de Sarre. 
De gauche à droite, la députée Amira Mohammed Ali, la leader du parti, Sahra Wagenknecht et son mari, Oskar Lafontaine, ancien ministre-président du Land de Sarre.Liesa Johannssen/Reuters

Tout habillée de rouge, Sahra Wagenknecht a pourfendu un gouvernement allemand qu'elle considère comme « le plus stupide de toute l'Europe » et a appelé à cesser les livraisons d'armes à l'Ukraine et à reprendre les importations de pétrole et de gaz russe.

« Cette guerre doit être terminée très rapidement »

« Nous livrons des armes à l'Ukraine pour une victoire à laquelle même les généraux ukrainiens ne croient plus […] Cette guerre doit être terminée et très rapidement par le biais de négociations », a déclaré la dirigeante de 54 ans, dans un discours d'une trentaine de minutes.

Se déclarant volontiers marxiste, Sahra Wagenknecht estime que son parti défend la justice sociale et « la paix et la détente, au lieu de la course aux armements et de toujours plus de guerre ».

Adepte des attaques populistes, elle s'est moquée du vice-chancelier Robert Habeck et de ses « amis verts » qui habitent dans des lofts ou des maisons modernes et qui pensent que tout le monde peut s'acheter une pompe à chaleur, et a fustigé Friedrich Merz, le leader de la droite allemande, un « lobbyiste de BlackRock qui sillonne l'Allemagne en avion privé ».

Sans oublier ses anciens collègues de Die Linke. « Nous ne sommes pas Die Linke 2.0 », a-t-elle martelé, appelant à créer des structures dans lesquelles ce ne sont pas « les plus irréfléchis et les plus intrigants » qui s'imposent.7 % d'intention de vote à l'échelle nationale

Sahra Wagenknecht s'est relativement peu exprimée sur l'immigration et s'est défendue d'être d'extrême droite. « Quand on prône la paix, on est estampillé d'extrême droite, quand on défend les fermes et les paysans, on est d'extrême droite […] quand on appelle à la limitation de l'immigration et qu'on s'inquiète des sociétés islamistes parallèles, on est d'extrême droite », s'est-elle étonnée, devant une audience conquise d'environ 400 membres fondateurs.

En Allemagne de l'Est, son discours populiste séduit des électeurs. Mi-janvier, des sondages Insa créditaient le parti de 7 % d'intention de vote à l'échelle nationale, mais de 17 % en Thuringe et de 13 % dans le Brandebourg. En Saxe, un sondage d'Infratest dimap la situait à 8 % devant les Verts et le Parti social-démocrate (7 %), mais nettement derrière l'AfD (35 %) et l'Union chrétienne-démocrate (30 %).

Alors que Sahra Wagenknecht avait déjà tenté de lancer un mouvement de ce type en 2018 , les élections européennes de juin et des élections régionales dans trois Länder de l'Est à l'automne, seront des tests décisifs pour le devenir du parti.

Sortir de sa retraite à 80 ans

La fin du congrès a été marquée par un discours d'Oskar Lafontaine, avec qui Sahra Wagenknecht est mariée depuis bientôt dix ans. Pourquoi a-t-il décidé de sortir de sa retraite, à 80 ans ? Sa femme lui a demandé de prendre la parole et « quand la femme d'un Sarrois lui demande quelque chose, il le fait », a plaisanté Oskar Lafontaine.

Le dirigeant a martelé que ce nouveau parti comblait un « vrai vide » dans un système politique allemand, où plus aucun parti ne « s'engage résolument pour de bons salaires et de bonnes pensions ». A ses yeux, tous ont basculé dans un discours de « guerre et de militarisation ». Un discours susceptible d'aggraver un peu plus les déchirements de la société allemande alors que l'économie est déjà en proie au doute.

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