L'Empire occidental rêve d'une guerre mondiale contrôlée pour réinstaurer son millénaire
La guerre d’Ukraine semble démontrer qu’une nouvelle règle du jeu particulièrement dangereuse dans les relations internationales commence à se mettre en place, où la guerre conventionnelle entre puissances militaires majeures devient possible et même souhaitable pour les élites gouvernantes – comme à l’époque impérialiste avant 1914 et dans l’Allemagne du IIIème Reich – alors que tous les efforts de la diplomatie professionnelle consistaient justement à faire progresser les intérêts nationaux en évitant toute guerre majeure avec des adversaires vraiment redoutables.
On exprime en effet de plus en plus dans les médias mainstream qu’une telle guerre est inévitable et programmée, et il est manifestement sous-entendu par cette campagne de presse que même si elle se produit entre puissances nucléaires elle restera une guerre conventionnelle, en tout cas une guerre non-nucléaire. Après deux années de guerre acharnée sur le terrain ukrainien impliquant des pertes au combat de même ordre de grandeur que celles du premier conflit mondial, et sans atteindre de décision, la seule solution pour l’Occident qui refuse radicalement de traiter avec les Russes - au point que tous ceux qui font mine de le proposer sont immédiatement ostracisés - est une intervention directe, et la menace apocalyptique qu’elle implique forcément semble être complètement sortie de la tête du grand public.
S’il n’y avait pas la RPD de Corée pour la brandir résolument face aux empiétements impérialistes personne n’y croirait plus. Et ce n'est pas un hasard.
La confrontation directe en champ clôt entre superpuissances a déjà eu lieu dans le passé, circonscrite au territoire national de la Corée, entre 1950 et 1953, avec l’affrontement militaire entre les États-Unis et la République populaire de Chine. Une réédition de ce scénario exterminateur en Ukraine, puis sur d'autres territoires - Pays Baltes, Scandinavie, Taïwan, etc. est non seulement envisageable mais probable car on ne voit pas comment une désescalade pourrait avoir lieu quand l’Occident en est venu à jouer sa crédibilité sur sa capacité à faire céder ses adversaires sur des questions vitales, à traverser délibérément toutes leurs « lignes rouges » dans le seul but de montrer que lui seul à le droit d’en imposer, et à les faire reculer dans les cordes jusqu’à l’abandon de leur souveraineté. Seul l’envoi sur le terrain des troupes de l’OTAN, éventuellement sous la forme d’une coalition « ad-hoc », comme en Corée en 1950, peut empêcher l’effondrement du protégé ukrainien.
Dans cette situation bloquée où l’Empire occidental ne connaît plus comme stratégie que la fuite en avant, justifiée par un discours de croisade, les agressions militaires de l’OTAN et de ses alliés contre l’Iran ou contre la Chine sont quasiment inévitables, une fois que les conditions auront été réunies pour les justifier sur le terrain de l’opinion publique - et cela bien que les armées de l’alliance ne soient pas prêtes à un tel affrontement, sans parler des citoyens qui sont maintenus dans un état d'aveuglement complet.
L’Empire militarisé est en effet la condition de la prospérité matérielle du bloc occidental - dit du"milliard doré" - qui fonctionne maintenant ouvertement par l’exaction d’un tribut monétaire et par l’ingérence ouverte et continue en dehors de son territoire métropolitain. Il fonctionne aussi par la production d’un récit d’auto-légitimation qui imbibe totalement la culture mondialisée. Mais ce récit, comme la monnaie, n’a plus cours que parce que l’Empire fait de manière récurrente des exemples brutaux pour monter sa puissance. Il redoute (peut-être à tort d’ailleurs, car dans le passé, il a survécu à sa défaite au Viet Nam) qu’un contre-exemple entraîne l’effondrement de sa puissance comme un château de cartes. Elle n’est plus en effet étayée par une quelconque domination économique, technologique ou scientifique.
Le rêve d'une guerre mondiale conventionnelle est particulièrement illusoire, car l'Empire a encore moins de chance de la gagner qu'une guerre totale déchainant le feu nucléaire, ce qui risque donc d'être la marche ultime de l'escalade insensée voulue par les néoconservateurs qui dominent la politique étrangère en Occident, pour conserver au nom du libéralisme économique et sociétal sa domination cinq fois séculaire.
GQ, 2 février 2024
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire