lundi 4 mars 2024

 

La prise de conscience de la réalité risque d’aller vite, très vite…

Je ne sais qui a pu suivre l’émission sur la 5C politique de hier dimanche, c’était riche d’enseignements … Précisons d’abord le statut de cette émission C politique est une émission de la télévision publique française consacrée à la politique française diffusée sur la chaîne 5 publique, mais elle est Co-produite par la société privée Together Media appartenant à l’homme d’affaires Renaud Le Van Kim et détenue en partie par la holding Banijay Group du milliardaire Stéphane Courbit, l’émission est animée par Thomas Snégaroff. Paradoxalement il semble que ce statut lui permette d’échapper à la propagande pro-gouvernementale qui règne sur la quasi-totalité des médias français. L’émission revendique peut-être une sorte d’héritage au magazine de Serge Moati Riposte qui tout en militant pour les choix d’un PS mitterrandien laissait parfois filtrer un débat contradictoire, en tous les cas tenait suffisamment à son statut de journaliste du service public pour ne pas apparaitre comme une simple courroie de transmission d’un gouvernement et des intérêts privés.

L’émission de hier 3 septembre que vous pouvez écouter en replay avait un titre dénué d’ambiguïté

https://www.youtube.com/live/TM-VDcJNJsk?si=exKisP3wQ2BWdRs7

Comment arrêter Poutine ?

Ceux qui auraient pensé qu’il s’agissait d’arrêter les Etats-Unis ou l’OTAN n’avaient donc pas voix au chapitre…

le plateau comprenait :

Elsa Vidal correspondante à Moscou pour RFI en langue russe

Guillaume Ancel, es-officier de l’armée française

Isabelle Lassere, journaliste au Figaro

Léon Deffontaines, porte parole du PCF

Jean de Glianasty, ex ambassadeur de France à Moscou

Pierre Lellouche ex-secretaire d’Etat

Notons sans insister que ceux qui pensent que toutes les femmes sont des anges de paix, ont reçu un démenti en la personne d’une très envahissante Isabelle lasserre et d’une tout aussi jusqu’au boutiste Elsa Vidal qui avaient toute deux un côté Thatcherien tranchant sur le débat passionné mais argumenté du plateau. Dommage…

En fait, au bout de quelques minutes il y a eu un accord – en dehors de ces deux charmantes dames – sur le fait que la déclaration de Macron était pour le moins mal venue puisqu’elle avait immédiatement provoqué un refus général des partenaires européens et même masqué les résultats d’un sommet qui était conçu pour marquer l’unité de l’UE et de l’OTAN en soutien de l’Ukraine.

Le paradoxe du débat a été que celui qui était le plus chaud partisan de fait de la position de Macron, Guillaume Ancel était aussi celui qui en dévoilait le plus l’enjeu réel : il disait deux choses, d’abord ne nous racontons pas d’histoire, nous sommes déjà en Ukraine quasiment en guerre contre l’expansionnisme de Poutine. Les Etats-Unis ne veulent pas continuer à assumer notre défense, celle-ci ne peut exister qu’à l’échelle européenne et il faut en finir avec l’idée d’une défense nationale, c’est la proposition de Macron en finir avec la souveraineté nationale tabler sur l’intégration dans l’UE. Confronté par Pierre Lellouch, à l’état réel de cette “défense” en particulier la désunion du couple franco-allemand et les nombreux états européens eux mêmes divisés, l’ex-militaire a bien voulu reconnaitre que faire la guerre à la Russie serait pure folie. Bref que la déclaration de Macron d’envoi de troupes au sol non seulement n’apportait rien de plus que ce que pratiquaient déjà les membres de l’UE mais qu’il s’agissait enfin de renoncer totalement à une défense nationale qui n’avait plus de sens depuis le passage de la France à une armée de métier.

C’est alors qu’on a assisté sous l’influence de deux intervenants courageux et réalistes qu’étaient Léon Deffontaines et Pierre Lellouch à une évolution de la nature même du débat et une esquisse de mise en cause des responsables réels de la situation.

Pas question au départ, ni pour les uns, ni pour les autres de remettre en cause la volonté belliciste de Poutine, le thème du débat n’était pas contesté mais peu à peu le couvercle du consensus a sauté, l’ex-ambassadeur a balbutié sur le caractère quasi-identique des peuples russes et ukrainiens. Pierre Lellouch s’est contenté de dénoncer l’utopie d’une “défense” européenne confondue avec l’UE et a dénoncé le caractère “irréaliste” de ce péril “imaginé : Si Macron est réellement convaincu de l’imminence du péril et du fait que la Russie dont on dit qu’elle s’épuise face à l’Ukraine veut prendre Paris, très bien alors décrétons la patrie en danger et rassemblons la nation sur cet unique sujet qui passe par une économie de guerre, la reconstruction d’une industrie, d’une armée capable de faire face à l’agression supposée de Poutine, mettons tous nos moyens pour construire une industrie de l’armement… ne passons pas au gré des jours de la patrie en danger, à l’inscription de l’avortement dans le constitution, à l’agriculture cause nationale… La patrie est en danger soit : on agit… Ou alors la provocation qui divise les “alliés” sans prendre les mesures d’une économie de guerre est une stupidité, un leurre.

Là dessus, Léon Deffontaines, au nom de la jeunesse qui devra faire la guerre, prend la position de Jaurès et s’y montre inexpugnable. C’est d’une grande habileté parce que l’image de l’ennemi supposé, tout ce que le PCF a laissé s’installer depuis trente ans n’est pas prise de front mais s’estompe devant ce qu’éprouvent les Français à savoir le refus de la guerre à près de 80%. Mieux la sortie de Macron qui devait isoler l’adversaire favorite du rassemblement national limiter son audience tout en nous conduisant de plus en plus vers une intégration européenne vassalisée aux Etats-Unis, réveillait une population française bercée d’illusoires victoires de notre champion ukrainien.

Léon Deffontaines parlait au nom de ce réveil et du refus de la guerre comme un communiste sans la moindre complaisance à l’extrême-droite.

Et c’est là que peu à peu, malgré la colère de la journaliste du Figaro (le marchand d’armes) et d’Elsa Vidal représentant sans doute la collaboration pro-occidentale totalement minoritaire en Russie, celle d’un Kamenka dans le journal l’Humanité, celle de LCI … a commencé à se dévoiler un historique réel du refus de négocier malgré la bonne volonté de Poutine… L’ancien ambassadeur de France s’est enhardi, encore un débat de ce type et on finira par se demander comment arrêter non seulement l’OTAN, mais les bellicistes qui ont forcé Zelensky à ne pas négocier… à même dénoncer les traités signés…

Mais là où Leon Deffontaines a été très fort c’est qu’il a ouvert une perspective politique qui correspond à celle que nous défendons ici : à savoir que cette guerre “européenne” inquiète la majeure partie de l’humanité, un monde émergent comme le Brésil mais aussi la Chine. Il faut s’appuyer sur cette volonté de paix. Il ne s’agissait plus de savoir si nous étions en 1918 ou aux accords de Munich, ce jeune homme refusait la guerre au nom de la réalité de 2024.

Jusqu’ici personnellement j’avais fait un choix résigné de voter pour la liste dirigée par le PCF et ce jeune homme que je ne connaissais pas, sans enthousiasme mais parce que c’était la seule qui offrait une perspective non seulement pour les communistes, pour la gauche, mais pour mon pays, avec cette perspective les raison de voter devenaient plus offensives et l’adhésion dépassait peut-être la résignation.

Ce que l’on peut en tirer de leçon c’est que ce choix communiste de la paix devrait s’ancrer sur quelques fondamentaux qui relèvent à la fois de la tradition communiste mais aussi de la conscience de la nouveauté de la situation en 2024. Ce qui dépasse l’analyse de qui ou n’est pas Poutine, même si aboutir à une démystification de la propagande atlantiste et USA n’est pas sans importance.

la première nécessité c’est celle qu’a réussi à me faire partager Marianne, c’est de redonner sens à l’idée de sécurité. D’abord bien sûr en défendant les multiples formes de sécurité dont les individus et en particulier les couches populaires ont besoin, mais aussi la sécurité en matière de défense. La sécurité de chaque nation est lié à la sécurité de son voisin, cela passe par la diplomatie et pas les jeux de la CIA, les coups fourrés, la déstabilisation permanente et les coalitions. Les communistes ont toujours porté cette conception du droit international et elle était présente dans les affirmations de Léon Deffontaines. Il faut pousser en ce sens là.

La seconde nécessité est de bien mesurer la réalité du monde de 2024.

Paradoxalement, ce sont souvent certains trotskistes comme WSWS qui sont les plus clairs là-dessus, ceux qui tout en n’ayant aucune complaisance pour le bellicisme impérialiste en appellent à l’union des peuples en train de se libérer dans le sud avec les combats de la classe ouvrière dans le nord. Il n’acceptent pas et c’est tout à leur honneur la thèse des deux impérialismes renvoyant dos à dos agresseur et agressés. Ils ne cèdent ni aux sirènes d’autres trotskistes ou groupes orphelins historiques à la recherche du sauveur suprême: qu’il s’agisse de ceux qui ont besoin d’inventer une nouvelle URSS camp du bien contre le mal type le KKE, voire faire de l’antisémitisme de fait leur anti-impérialisme des imbéciles ou – le cas existe ceux qui cherchent dans le Hamas, le nouveau messie qui grâce à l’antique propriété palestinienne va incarner Marx- alors qu’il faut battre Netanyahou impérativement sans pour autant ne pas mesurer l’état réel de toutes les forces en présence… toutes ces catégories existent y compris les utopies localistes… chacune avec ses errances et son apport…

Ce dont il faut avoir conscience c’est que nous en sommes en 2024, dans une histoire en train de se faire

Le passé, ses leçons nous sont indispensables mais l’essentiel nous est largement inconnu, la capacité de Marx, mais aussi de Lénine et tous les révolutionnaires s’inspirant du marxisme à voir surgir l’inconnu. On peut imaginer ce qu’un Fidel Castro, lui qui entendait pousser l’herbe et savait immédiatement le levier et le point d’appui à partir desquels agir, emporter les convictions collectives… ce qu’il verrait dans un tel contexte, encore aujourd’hui le peuple cubain au cœur de la pire des oppressions, manifeste un positionnement qui inspire les résistances, les prises de conscience… Que sommes-nous capables de percevoir pour mieux transformer? … D’où la nécessité de ne pas se tromper sur la réalité et ce qu’elle présente déjà de possibles en matière d’union entre peuples luttant contre l’impérialisme, voire leurs propres oppresseurs, et mettant en minorité ce qui a jusqu’ici imposé sa loi planétaire et la classe exploitée souvent aliénée au sein de l’impérialisme.

La confusion a toujours été la règle dans le basculement fondamental des modes de production, coexistent nécessairement des états divers de consciences, des temps entrelacés : quand on est passé de la féodalité à un embryon de capitalisme, la main mise sur les “Amériques”, certains ne voyaient avec la chute de Constantinople que la fin de l’empire romain, les grandes découvertes scientifiques coïncidaient avec les buchers des sorcières, c’est pourquoi l’essentiel aujourd’hui est de bien faire percevoir ce qui est déjà là et qui transforme la nature de nos combats. C’est sur ce plan que la prise de conscience de nos amis de WSWS est encore en retrait.

Oserai-je dire que c’est aussi une question de méthode, la rationalité de l’analyse, l’observation des faits est indispensable, mais il s’agit de plus que ça, de logique dialectique, celle capable de voir l’unité des contraires, celle qui voit le mouvement, le devenir… celle qui crée l’unité entre théorie et pratique…

Cette discussion sur ce plateau de télévision reflétait à la fois les limites dans lesquelles le monde mediatico-politique français est enfermé, un consensus atlantique autour d’un déclin, un petit groupe de pays “développés, en train de perdre leur capacité d’être le principal voire le seul acteur de l’histoire et qui va jusqu’à envisager la destruction de la planète pour ne pas perdre son pouvoir de nuisance mais se dessinait aussi la vague conscience que ce monde-là va devoir compter avec ce qui est déjà là. La jeunesse doit en prendre conscience parce qu’elle va être aux premières loges de cette réalité. Léon Deffontaines a su incarner à sa manière ces temps nouveaux éclairés par l’histoire d’un parti qui a toujours privilégié une sécurité basée sur la paix et le respect de la sécurité de chacun.

Il va falloir rassembler, faire des choix à partir de réponses concrètes et aujourd’hui rien de plus concret que le fait de découvrir dans quelle impasse nous mène le pari de Macron, cette gesticulation aussi ridicule que dangereuse.

Peut-être est-ce mon optimisme indécrottable qui me fait espérer à partir de ce que j’ai entendu de ce débat, il y a lieu de “s’engager”: le fond est un peuple français qui découvre la réalité de ce qui le menace, l’irresponsabilité de ceux qui l’ont conduit là… mais à partir de là monte aussi la nécessité de très vite prendre pied sur la réalité et pas sur un narratif qui joue aux dés avec l’anéantissement. Et là on ne peut pas faire l’économie de ce monde multi-polaire qui voit monter des aspirations mais aussi des intérêts concurrents, et qui a comme leader de fait la Chine dans son mode de transition, une modernité qui prétend économiser à la planète les voies du capitalisme à l’occidental, flanqué d’une Russie qui reste profondément marquée par la révolution bolchevique matrice de toutes les expériences… mais dirigée également par une oligarchie contrerévolutionnaire… Une situation totalement inusitée.

Danielle Bleitrach

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