vendredi 8 mars 2024

 

La vierge, la mère, la courtisane, et le 8 mars

8 Mars 2024 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Théorie immédiate, #GQ, #classe ouvrière, #Front historique, #Qu'est-ce que la "gauche"

Le 8 mars 1917 à Pétrograd

Le 8 mars 1917 à Pétrograd

La vierge, la mère, la courtisane, et le 8 mars

Il y a des hommes et des femmes et ils sont différents. Biologiquement, historiquement, culturellement.

Depuis les révolutions bourgeoises de l’époque de Lumières en France et en Amérique, ils sont déclarés égaux et ils ont droit également à la « poursuite du bonheur ».

Le bonheur qui est poursuivi passe grandement par l’atteinte d’un statut social et l’accomplissement d’une existence digne de respect qui se reflète dans le regard des autres membres de la société – l’être de l’homme n’est qu’en tant qu’être reconnu, dit Hegel. Certes le bonheur peut être recherché ailleurs et trouvé en dehors des conventions et même de la société humaine mais sa forme la plus authentique réside dans la reconnaissance sociale : ce genre de bonheur qu’on éprouve intensément lorsqu’on tient en main sa première fiche de paie, quand on reçoit les clefs de son premier logement, quand on se marie, ou quand on donne naissance à un enfant.

Dire qu’ils sont « égaux » signifie en réalité que l’on se réfère à un système juridique qui pose leur égalité comme principe. C’est un choix politique et moral, mais cela ne résout directement aucun problème concret de l’existence, une fois que les obstacles légaux que les sociétés traditionnelles ont opposés à la promotion et à la poursuite du bonheur individuel des femmes ont été levés.

Le concret se situe au niveau des mentalités et celles -ci sont déterminées par le mode de production, ou plutôt par les legs idéologiques des modes de production successifs qui ont sédimenté depuis la préhistoire jusqu’à l’actualité la plus récente (car les mentalités semblent redoutables par leur inertie mais peuvent changer d’un coup).

Décréter qu’ils sont égaux ne change rien au fait que l’espèce humaine existe avec un dimorphisme sexuel biologique qui a aussi des conséquences majeures sur la division du travail. A grands traits, dans les sociétés fondées sur l’exploitation, les femmes sont distinguées par le surtravail aggravé auquel elles sont contraintes, qui est fortement orienté vers la reproduction et vers la production des conditions de la reproduction des générations futures (voir dans Une histoire du travail, de Paul Cockshott, une mesure précise de ce surtravail, et dans quelle mesure le capitalisme moderne l’a atténué).

A l’intérieur de chaque groupe sexuel les humains se sont polarisés en des sortes de castes. A l’échelle du temps historique au cours de la succession des modes de production. Il y a divers modèles-types masculins, du travailleur au maître et du soldat au prêtre (ces deux-là tendanciellement homosexuels), qui sont assez étroitement calqués sur la hiérarchie sociale des sociétés précapitalistes et qui se conservent partiellement dans la nôtre. On y reconnaît l’empilement horizontal des ordres de l’Ancien Régime.

Quant à la fonction sociale des femmes il y aurait trois modèles-types dominants également hérités du passé qui semblent plutôt s’appliquer verticalement et se surimposer à la division de la société en classes sociales : la vierge, la mère, et la courtisane. Elles se définissent par le nombre théorique de partenaires sexuels masculins auquel elles ont droit - ou , dans l'ordre traditionnel, auxquels elles appartiennent : zéro, un, ou beaucoup. On peut les trouver dès la mythologie païenne, et dans le manifeste fondateur de l’Occident, le Nouveau Testament.

Dans les mythes qui remontent du fond des âges les types féminins apparaissent ambigus et difficile à saisir, ils renvoient à l’imaginaire plutôt qu’au réel et plutôt à l’imaginaire masculin archaïque qu’à celui des femmes elles-mêmes : les fées, les Amazones, les sorcières, les princesses et les reines de cœur, telles qu’on les devine par exemple dans l’iconographie des arcanes du jeu du tarot de Marseille, des images qui ont été réactivées par l’esthétique surréaliste, au XXème siècle, et l’idéologie irrationaliste qui va avec. Dans la réalité on n’en rencontre guère mais certains auteurs féministes les érigent comme modèles et précurseurs.

Mais la loi du désir n’est pas de ce monde. Bien que le Marquis de Sade ait tenté de la réaliser.

La vierge est bien sûr principalement la jeune fille au fort potentiel reproducteur, convoitée par les clans précapitalistes pour accroître la quantité et définir la qualité de leur progéniture. Mais c’est aussi la femme particulièrement douée à titre personnel, intellectuellement moralement ou physiquement qui est en quelque sorte « repêchée » hors du pool matrimonial pour exercer une fonction professionnelle, culturelle, artistique exceptionnelle. Au prix du sacrifice (réel ou apparent) de leur sexualité, elles vont exercer des professions et assumer des fonctions sociales indispensables et parfois mais rarement des fonctions héroïques et politiques réservées habituellement aux hommes à l’instar de Jeanne d’Arc ou de la Reine Élisabeth 1ère d'Angleterre.

Le choix du style de vie lesbien qu’illustra, par exemple, Virginia Woolf est de plus en plus souvent associé au XXème siècle à cette carrière couronnée de prestige social.

Mais la transformation en la mère de famille, qui devient dans l’ordre traditionnel la matrone qui dirige la maison, l’espace intérieur, est le destin de la plupart des filles, pour lequel elle doivent sacrifier une part bien plus longue de leur vie que ne le font leurs conjoints, qui semblent trouver plus de satisfaction à la palabre politique qu'aux soins du ménage – on ne se refait pas. Cette spécialisation conduit néanmoins à développer des compétences professionnelles typiques de la femme moderne, employée efficace des bureaux du capitalisme, le modèle de l’assistante, secrétaire et organisatrice ou directrice artistique.

La courtisane, modèle type qui va de la prostituée des bas-fonds réduite en esclavage , à la femme adultère, mais aussi à l’actrice star de l’opéra, théâtre, cinéma, médias, show-biz etc offre aussi son type d'épanouissement professionnel. L’idéal féminin rêvé par les hommes – mais rarement réellement poursuivi à part chez les privilégiés de la fortune et du pouvoir va surtout les chercher dans cette direction.

Ces trois carrières, le féminisme commercial à la manière de la revue Elle prétendait – et prétend encore - qu’on pourrait les vivre toutes à la fois en en suggérant aux femmes de la petite bourgeoisie d’arborer une façade joyeusement émancipée improbable et exténuante.

Les femme sont donc historiquement surexploitées, réduite en esclavage, traitée comme des objets sexuel, ou à des signes extérieurs de prestige. Mais il faut remarquer que dans les sociétés traditionnelles elles ne sont pas soumises à cet ordre par les hommes en tant que tels mais par la structure clanique dont elle font elles-même partie. Cela change quelque peu quand les hommes des Lumières sont devenus des individus libres, tout en cherchant, ces gros malins, à conserver certains avantages acquis des ordres anciens, parce que l’on sait que dans une société de classe la liberté concrète des individus libres se mesure à la quantité du travail d’autrui qu’ils parviennent à s’accaparer, à « commander » comme dit Adam Smith, et d’autant plus s’il est gratuit.

Le programme féministe rencontre le problème de devoir déterminer l’essence de cette catégorie humaine, la femme, que l’on cherche à libérer et à promouvoir. Et à déterminer si on doit s'orienter soit vers la réduction de ses différences caractéristiques, soit vers la facilitation de leur épanouissement – en fait si on veut agir dans l’intérêt concret des femmes telles qu’elles existent aujourd’hui dans leur différence radicale d'avec les hommes ou si l’on veut créer une « Eve future » quelque peu asexuée – et qui à la limite remet en cause la légitimité à l’avenir du sexe masculin. Les deux démarches ont leur logique, leurs défenseurs et leur développement contradictoire est une nécessité historique sans doute, mais elles ne se concilient pas aisément dans la réalité.

Mais lorsque l’on dit que « le patriarcat est mort et que c’est la capitalisme qui l’a tué », qu’est ce qu’on veut dire ?

On veut dire que le mode de production qui ne recourrait plus que secondairement à la force physique et à l’agressivité développerait maintenant des individus des deux sexes homogènes physiquement et moralement dans leurs fonctions de producteur et de consommateur et n’a plus tant besoin des différences biologique et psychologiques qui subsistent entre eux pour organiser la division du travail – et relayer l’ordre social (mais jamais complètement. Au dernier kilomètre, on finit par toujours par retrouver le prolétaire irremplaçable qui porte les cartons).

Le 8 mars n’est donc pas la journée de la femme en général mais celle de l’ouvrière, car elle commémore une grève ouvrière new-yorkaise de la fin du XIXème siècle. L’ouvrière salariée de la métropole industrielle, avec sa machine à coudre, matérialisait en effet le premier type sociologique féminin qui ne dépendait plus d’aucun homme en tant que tel pour sa survie économique, qui pouvait sortir des cadres contraignants des mentalités collectives et malgré ses conditions d'existence très difficiles se trouvait dans la même situation riche de promesses révolutionnaires que le reste de la classe ouvrière.

Mais le point important après plus d'un siècle de développements est que le rôle social de la mère de famille est de plus en plus déprécié dans une société qui planifie la décroissance de la population et l’appauvrissement qui l’accompagne comme horizon, au nom d’un écologisme superficiel et malthusien.

Si la reproduction de la population continue tant bien que mal à l’avenir, c’est à dire si l’espèce humaine ne disparaît pas, ce rôle conservera sa nécessité, et si le socialisme n’est pas instauré sur la planète, la vie ne sera pas facile pour celles qui le rempliront. Le sort actuel peu enviable des mères célibataires qui doivent survivre avec un revenu bien en dessous de la valeur de leur force de travail risque de s’étendre à toutes les femmes qui font des enfants, sauf les plus riches qui peuvent déléguer les tâches à la domesticité, avec la dissolution ou l’affaiblissement des liens familiaux qui accompagne le programme d’émancipation individualiste égocentrique et narcissique de la bourgeoisie du nouvel âge du capitalisme.

En attendant, les symboles traditionnels des deux sexes, les armes de Mars et le miroir de Vénus révèlent comment les hommes et les femmes restent piégés l’un à l’autre dans une dialectique de la violence et du narcissisme, où la libération des individus se renverse en son contraire, quand on renonce au dépassement du capitalisme.

GQ, 8 mars 2024

PS Contrairement à ce que se figure l’imaginaire malthusien, loin de diminuer, la richesse per capita s’accroît avec la population, car elle est proportionnelle non aux ressources naturelles, ni au nombre d’individus n, mais au nombre d’interactions entre les individus qui accroît leur productivité et leur créativité, donc sauf erreur à 2 puissance n).

Le processus de crash démographique peut être irréversible. La croissance atteint forcément un plafond physique, tandis que la décroissance brutale après l’explosion d’une population est un mode de la disparition d’une espèce vivante des plus courants.

 

Aucun commentaire: