Recherche fondamentale et SARS-Covid-2 – Par Christophe Pouzat
D’où je parle
Je
suis chercheur en neurophysiologie au CNRS affecté à un laboratoire de
mathématiques appliquées. Je vais qualifier ici de « fondamentale » une
recherche qui n’est pas entreprise en vue d’application immédiate, mais
dont la principale motivation est « la connaissance pour elle-même » ;
ce qualificatif est descriptif, pas normatif, il ne sous-entent en aucun
cas qu’il y a une recherche « noble » car fondamentale, supérieure à
une autre « appliquée », les deux sont en fait liées et s’enrichissent
mutuellement. Je m’intéresse, en amateur, aux maladies infectieuses
depuis ma lecture du livre « Le temps de la peste » de William Mc Neill ;
je suis donc plus compétent pour parler de recherche fondamentale et de
biologie, que du SARS-Covid-2.
Recherche fondamentale et SARS-Covid-2
Dans un contexte épidémique où l’urgence domine, le virus ayant déjà causé la mort de plus de 14000 personnes en France à la mi-avril — nombre à comparer au 21000 décès provoqués par l’épidémie de grippe 2016-2017
—, la recherche fondamentale fournit un cadre et des pistes. Le « cadre
» nous permet de situer ce nouveau virus dans « le portrait de famille »
des maladies infectieuses. Nous savons ainsi que c’est un virus à ARN dont l’information génétique est stockée sous forme d’une séquence d’acide ribonucléique (ARN) comme le virus de la grippe et non sous forme d’ADN comme le virus de la varicelle.
Le « support ARN » fait que ce virus dépend pour la copie de son
information génétique et donc pour sa multiplication, d’une protéine
spécifique (au nom barbare d’ARN polymérase ARNdépendante),
il fait ensuite synthétiser par ses cellules hôtes une longue chaîne
protéique qui doit être coupée aux bons endroits pour donner des
protéines fonctionnelles (voir l’article Coronavirus
de Wikipédia qui est clair et pas trop technique). La mise en évidence
de ces étapes clés, identifiées par un patient effort hautement
collectif de recherche fondamentale, fournit des pistes pour des traitements antiviraux
: il s’agit d’interférer avec une ou plusieurs 1 des étapes en
employant des molécules connues pour leur activité dans des contextes
similaires. Le fait que nous avons un coronavirus nous dit aussi
immédiatement que nous avons affaire à un virus au génome « long », deux
fois plus long que celui de la grippe et trois fois plus long que celui
du SIDA, ce qui nous fournit quelques espoirs pour le développement
d’un vaccin. Ce sera de toute façon long à venir, mais un vaccin a, par
exemple, été développé contre le coronavirus canin
; alors les virus de la grippe et du SIDA sont connus pour muter vite —
ce qui a conduit à l’échec, jusqu’à présent, du développement d’un
vaccin contre le second et ce qui rend, comme chacun sait, les vaccins
annuels contre le virus de la grippe plus ou moins efficaces. Les
génomes longs sont connus pour évoluer / muter moins vite et les
coronavirus font de plus synthétiser des protéines de corrections de
mauvaises copies de leur génome. Moins bonne nouvelle, des sept
coronavirus maintenant connus pour infecter l’homme, quatre sont
responsables de 15 à 30 % de nos rhumes et, comme nous l’apprenons tous à
nos dépends, le temps ne fait rien à l’affaire et nous ré-attrapons des
rhumes tous les ans ou presque, ce qui suggère fortement que l’immunité
acquise après l’infection par un coronavirus n’est pas d’aussi longue
durée que celle qui fait suite à une varicelle.
Je
n’ai fait jusqu’ici que survoler certains aspects moléculaires et
cellulaires du coronavirus, mais il pose, comme toutes les maladies
infectieuses émergentes, d’autres questions nécessitant un effort de
recherche fondamentale : le passage d’une espèce « réservoir du virus » à
l’homme est du ressort de la dynamique des populations, de l’étude des
conséquences de la destruction des habitats et des questions évolutives,
c’est-à-dire, de l’écologie. La maîtrise du précédent coronavirus, le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient, fait quand à elle intervenir l’anthropologie, puisque l’espèce réservoir semble être le dromadaire
dont le lait est commercialisé non stérilisé dans 80 % des cas ; or il
est très délicat de « mettre en cause » un animal symbole de statut
social — le lecteur qui trouve cela étrange pourra faire un parallèle
avec la voiture chez nous.
Mais
pour être fiable et donc utile dans une situation comme la présente
épidémie, la « recherche fondamentale » doit être ouverte et conduite
dans une perspective « à long terme » ; c’est malheureusement l’opposé
qui nous est maintenant imposé avec le financement systématique sur
projets (de deux à cinq ans) et le « darwinisme social » prôné, par exemple, par le PDG du CNRS.
Christophe Pouzat
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