Le retour des pue-la-sueur
Riss ·
Et voilà qu’on découvre, à l’occasion d’une
épidémie d’un autre siècle, ce qui est en réalité indispensable. De la
nourriture, et donc des agriculteurs pour la produire, ainsi que des
caissières de supermarché pour nous la vendre. De l’hygiène, et donc des
éboueurs pour nous éviter d’être envahis par la vermine. De l’eau
courante, et donc des employés des services des eaux pour ne pas
attraper la gale. Manger, rester propre et ne pas se faire contaminer.
Tout le reste devient brusquement secondaire.
Nous découvrons la rusticité. Même si les plus riches dans leur
résidence secondaire auront plus de facilités que les plus pauvres
entassés dans 30 m2, elle s’impose à 67 millions d’habitants d’un même
pays, soudain préoccupés par des problèmes identiques.
L’argent s’est arrogé le droit de donner une valeur à toute chose
Cette rusticité à laquelle nous sommes confrontés
depuis un mois a mis sur le devant de la scène des créatures dont on
avait fini par négliger l’existence tant elle semblait due à notre
confort de vie. Les caissières, les agriculteurs, les éboueurs, les
manutentionnaires et une multitude de métiers manuels, physiques qui ne
peuvent être accomplis qu’avec de la sueur sous les bras et des
chaussettes qui puent à la fin de la journée. Les pue-la-sueur sont de
retour. La sueur, depuis longtemps bannie de notre société de
déodorants et d’after-shave. Et voilà qu’on découvre qu’ils ont nos
vies entre les mains, leurs grosses mains calleuses jamais manucurées,
pendant qu’on tape dans les nôtres bien propres chaque soir à nos
fenêtres pour les remercier de mettre les leurs dans la boue.
Réapprendre la rusticité, celle de la transpiration
et des mains écorchées, c’est réapprendre à hiérarchiser la société
différemment. Ou plus exactement à ne plus la hiérarchiser. Car le
mépris dont les métiers physiques et manuels sont l’objet depuis des
décennies résulte d’une classification sociale violente, imposée par la
puissance de l’argent. L’argent s’est arrogé le droit de donner une
valeur à toute chose, mais cette valeur est bidon, comme le démontre
l’effondrement de la Bourse et du PIB. La seule valeur sûre, c’est
l’humain et ses mains moites qui travaillent, c’est l’individu et son
corps fatigué qui sue. Sans ces organismes vivants et primitifs, aucune
société ne tiendrait debout. En affirmant cela, il ne s’agit pas
d’aduler d’autres dieux, après ceux de l’argent et du pouvoir, comme le
fit l’URSS en glorifiant la classe ouvrière d’une manière aussi
théâtrale qu’hypocrite. Car il n’y aura plus rien à vénérer quand nous
serons sortis de cette crise. Simplement avoir à l’esprit que tous les
organismes vivants sur cette terre, l’humain, l’animal ou le végétal,
devront se respecter les uns les autres, s’ils veulent avoir une chance
de survivre. Des koalas aux caissières, des hippopotames aux
journalistes, des musaraignes aux ministres de la Santé, tous jouent un
rôle vital pour que la totalité ait une chance d’exister.
Les
pue-la-sueur nous auront non seulement sauvés en nous aidant à manger et
à nous laver, mais aussi en nous rappelant cette loi fondamentale.
1 commentaire:
salut Pedrito
très beau texte un vrai plaisir de lire (et/ou écouter) et tellement vrai de simplicité et de vérité qu il en est même émouvant. un chemin pour l avenir? PS 13300
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