Quand de Pétain à Macron l'esprit demeure , par Jean-Luc Quilling
Macron invoque l'esprit de de Gaulle à Montcornet tout en songeant à Pétain
A propos de la commémoration du 80ème anniversaire
de la bataille de Montcornet
M. Macron, contrebandier de mémoire en pièces détachées
de la bataille de Montcornet
M. Macron, contrebandier de mémoire en pièces détachées
Il
apparaît passablement excité lorsqu’il se déconfine, M. Macron. Les
fiascos de sa gestion de crise sanitaire ne le complexent nullement. Il
n’en retire aucune modestie. Le voici qui téléphone au pitre incendiaire
Zemmour (mais pas à l’acteur Vincent Lindon qui a plaidé l’instauration
d’une taxe « Jean Valjean »). Le voilà qui autorise par fait du prince
(et par texto) la réouverture rapide du parc d’attraction
contre-révolutionnaire du Puy du Fou, afin de satisfaire M. Philippe
Marie Jean Joseph Le Jolis de Villiers de Saintignon. Le « Méprisant du
Peuple », celui qui a choisi Valeurs Actuelles, se montre sous son vrai
jour : et de droite, et d’extrême-droite.
Le
17 mai dernier, M. Macron a repris de l’exercice dans l’une de ses
activités favorites : la récupération mémorielle. Commémorant le 80e
anniversaire de la bataille de Montcornet, le voici s’essayant à placer
ses pas dans ceux du général de Gaulle qui, selon lui, « incarne
l’esprit français ».
EN ATTENDANT « LES JOURS HEUREUX »
L’
« esprit français » de M. Macron a pourtant très peu à voir avec
l’esprit de la Résistance ou avec celui de la France Libre(1).
Faut-il
rappeler que le programme Les Jours Heureux, préparé dans la
clandestinité par des gens qu’on étiquetait « terroristes », prévoyait
par exemple de rendre à la presse sa « liberté », « son honneur et son
indépendance à l'égard de l'État, des puissances d'argent et des
influences étrangères » ? Commémorant (en 2004) le 60e anniversaire du
Programme du Conseil national de la Résistance, treize anciens
Résistants réaffirmaient ne pas accepter «que les principaux médias
soient désormais contrôlés par des intérêts privés, contrairement […]
aux ordonnances sur la presse de 1944. »
On
cherchera en vain un seul acte de M. Macron qui pourrait donner le
début d’un semblant d’illusion de « retrouver les Jours Heureux ». Nul
n’est capable de trouver dans sa politique la moindre trace de «l’esprit
français de résistance» qu’il a exalté ce 17 mai, ni aucune mesure qui
annoncerait « l’instauration d’une véritable démocratie économique et
sociale, impliquant l'éviction des grandes féodalités économiques et
financières de la direction de l'économie » (selon les mots du programme
du Conseil National de la Résistance.
ON AURA LES JOURS PEUREUX
Le
cynisme de la référence éhontée de M. Macron aux « Jours heureux » dans
son ʺdiscours de guerreʺ du 13 avril dernier a été (à juste titre)
largement commenté. On a hélas moins remarqué le discret mais non moins
cynique pied-de-nez que M. Macron a réussi à envoyer en glissant
seulement quatre phrases plus loin à la fin de la même allocution une
seconde référence historique : « Nous tiendrons ». Autre guerre, et
histoire toute autre. Ou comment une citation historique est conçue pour
torpiller la précédente. Car c’est bien avec les mots de Clémenceau que
notre amateur de carabistouille conclut son discours (2).
M.Macron
se réfère au Clémenceau de 1918, celui qui allait bientôt marteler en
grondant : « Je fais la guerre… je fais toujours la guerre… je continue
de faire la guerre ». Le contexte importe : revenu au pouvoir fin 1917,
alors que des grèves et des mutineries avaient jeté le doute sur l’unité
guerrière, Clémenceau fit montre de sa poigne en menaçant les députés
récalcitrants, en pointant les têtes qui dépassent, en pourchassant les
traîtres présumés et les pacifistes supposés, qu’il traitait de «
défaitistes ».
En
novembre 2018, alors qu’il rendait hommage au maréchal Pétain, M.
Macron déclarait s’être lui-même « toujours opposé au défaitisme
français ». Il assurait à cette occasion avoir « toujours regardé
l'histoire de notre pays en face ». Quand M. Macron regarde l’histoire
en face, c’est assurément en s’emplissant de la jouissance, indigne à sa
fonction, d’en embrouiller la compréhension. M. Macron adore rendre
l’histoire inintelligible en la décontextualisant. C’est la jouissance
narcissique et perverse de celui qui aspire à dominer un peuple en le
rêvant inculte.
La
petite cuisine de mots de M. Macron traduit fort bien ce qu’Alain
Damasio a décrit comme « une petite politique de la peur » en temps de
confinement : il s’agit de « médiatiser sans cesse la menace et sa
gestion dans le bon dosage entre foutre la trouille et rassurer. […] En
passant, on détruit le code du travail […], on fait sauter tous les
garde-fous sociaux, on appelle à la remobilisation générale pour le
salut de l’économie, et hop, ça repart ! (3) »
Ce
que préfigure la nostalgie du gouvernement de choc de Clémenceau, c’est
la tentation de la dictature à la mode républicaine, c’est le tracking,
ce sont les jours peureux. Mieux vaut en être conscients. La peur sape
les défenses immunitaires, biologiques comme politiques. La sidération
et la peur sont des armes efficaces pour un pouvoir aux aguets capable
de vouloir contrôler une société jusqu’à la nécroser.
QUAND L’ESPRIT FRANÇAIS SERVAIT L’EUROPE NAZIE
M.
Macron aspire à embrouiller la mémoire collective. Le 17 mai, à
Montcornet, c’est l’air de rien qu’il a neutralisé l’esprit de la
résistance en prétendant l’exalter,
en
l’engluant sous une bonne couche d’ « esprit français » de mauvais aloi
et de culte des chefs. Les appels réactionnaires à l’esprit français
ont souvent pour première finalité celle de l’oripeau (4) : ils ne
traduisent pas une affirmation de la nation, dont ils sont le leurre ou
le zombi. Ils peuvent être serinés de façon d’autant plus insistante
qu’ils accompagnent l’abaissement et l’humiliation de la nation, sa
vente aux intérêts d’une idéologie qui la dompte. Les propagandistes
savent particulièrement bien tirer sur les ficelles colorées de
l’esprit, de l’âme éternelle, des valeurs et de la tradition, pour
donner le change au moment même où le pouvoir qu’ils servent livre
l’intérêt national au hachoir des logiques du capital. Pour tout dire,
la glorification de « l’esprit français » peut se chanter de façon
d’autant plus tonitruante qu’elle dissimule la réalité d’une mise à
l’encan de la souveraineté nationale.
La
période de la collaboration en fournit de précieux exemples. En même
temps que les trompettes vichystes sonnaient l’heure du redressement
moral du pays et de la Révolution Nationale, placés sous les auspices
d’un « esprit français » immémorial et quasi génétique, en même temps
que la jeunesse était priée de redécouvrir « les antiques vertus qui
font les peuples forts (5)», la sphère de la collaboration œuvrait à la «
construction européenne ». L’Ordre nouveau était conçu à l’échelle du
continent.
Au
printemps 1942, Pierre Laval déclarait souhaiter la victoire de
l’Allemagne dans une guerre d’où « surgira[it] inévitablement une
nouvelle Europe ». « Pour construire cette Europe, disait-il,
l'Allemagne est en train de livrer des combats gigantesques. » Chantre
d’ « une révolution d'où [devait] surgir un monde nouveau », enfumeur
comme pas deux, Laval promettait en même temps l’éclosion d’ «une
République plus jeune, plus humaine, plus forte». Laval, celui qui
vendait la France aux intérêts des nazis, ne s’interdisait pas, bien au
contraire, de couvrir sa politique de « collaboration ouverte »
d’oripeaux patriotiques et « républicains ».
Dès
1940, l’écrivain Drieu La Rochelle, autre thuriféraire de l’Ordre
nouveau, avait vu dans la défaite la «certitude de l’Union européenne»,
gage d’un «bannissement probable de la guerre» tout autant que de
«prospérité et de grandeur pour l’ensemble de la race blanche ». Au
moins ce fervent européiste avait-il suffisamment la sincérité d’un
authentique ʺcollaborationnisteʺ pour reconnaître que ce «nouvel
horizon» signifierait que « le rôle de la France est terminé […] comme
nation absolument autonome et souveraine. »
En
1941 et 1942, après le rodage des grandes expositions sur les juifs et
la franc-maçonnerie, le collaborationniste Jacques de Lesdain organisa
au Grand Palais à Paris deux expositions grand public sur l’Europe
Nouvelle, que les nazis appelaient Das Neue Europa.
Les
attractions y étaient des maquettes et des visuels à la gloire d’une
Europe unifiée, délivrée de ses frontières et de ses protectionnismes.
Une Europe enfin ouverte à la libre-circulation de la marchandise et du
capital, à grand renfort de camions, de trains rapides et d’Autobahnen.
C’est
en faisant jouer cette ode à la modernité que le nouvel ordre nazi
avançait sa promesse d’une libération des peuples. En cette époque, la
fiction de l’avenir radieux du grand marché intégré, promu par des
capitalistes des deux côtés du Rhin, coexistait avec la pénurie, avec
les mesures d’exclusion, les dénaturalisations, les rafles, les
internements et les convois de déportation.
Exposée
aux murs du Grand Palais, une maquette dont Jacques de Lesdain était
très fier montrait, à gauche, une Europe cloisonnée par les barrières
douanières, autrement dit une juxtaposition de cellules dans lesquelles
les peuples vivaient encagés, et à droite une Europe ouverte par la
grâce de la vitesse des moyens de transports modernes couplée à
l’abolition des droits de douane.
La
matrice de ce didactisme un peu grossier n’était pas proprement nazie
ou vichyste. Elle provenait des projets d'Europe économique que les
milieux libéraux de l’entre-deux-guerres avaient promus avant de les
voir bien vite sombrer. Le parlementaire anglais Clive Morrison-Bell
était l’un de ceux qui menaient campagne dans les années 1920 pour la
suppression des barrières douanières en Europe. Il avait voulu
populariser cette cause en faisant promener d’une capitale à l’autre, à
travers le continent, une carte en relief illustrant les "murailles
douanières" qui enserraient les pays européens.
Cette
maquette ambulante devait propager dans l’opinion l’obsession de
l’emmurement qu’agitaient les libéraux. A ne présenter les États que
comme d’ubuesques et minuscules territoires douaniers, on se refuse au
fond à les reconnaître en tant qu’entités politiques historiquement
constituées, ce qui est pourtant sans doute une condition nécessaire
-mais pas suffisante- à l’existence de la démocratie
Rendant
hommage à De Gaulle, M. Macron déclarait : «De Gaulle nous dit que la
France est forte quand elle sait son destin». Laval aussi parlait de la «
France forte ». Dans une Europe nazie. Que savait la France de son
destin sous le gouvernement Laval ? Comprenait-elle s’il serait de
servir l’Allemagne, ou « Notre Mère l’Europe » ? Le petit Jésus, ou bien
le capital ?
« DE GAULLE NOUS DIT QUE… »
Un
temps porté par les nazis, le grand rêve capitaliste d’ouverture des
marchés fut relancé après-guerre. Raymond ARON constatait en 1948 que «
l’idée d’Europe est à la mode », de « la propagande hitlérienne » à la «
propagande des Nations Unies », traitée à quelques années d’intervalle
par les «mêmes hommes». Walter Hallstein, un démocrate-chrétien
allemand, fit partie de ces « mêmes hommes ».
Ce
juriste et professeur de Droit sous le IIIe Reich, avait appartenu à
diverses organisations professionnelles nazies. Devenu après-guerre
négociateur des modalités de la construction européenne pour la RFA puis
premier président de la Commission européenne (1958-1967), il oeuvrait
au développement d’une Europe fédérale (plan HALLSTEIN) (6), suscitant
la vive opposition et un véto de De Gaulle.
De
ces multiples efforts, inrésumables ici, nous avons hérité à la fin du
vingtième siècle de coupures libellées en euros, sur lesquelles on
chercherait en vain les traces de l’ « esprit français » qui rend M.
Macron si lyrique. Rayés des billets, les Berlioz et Debussy. Coupés des
coupures, les Saint-Exupéry, Cézanne et Delacroix. Gommés des fafiots,
les Voltaire, les Pascal et les Montesquieu. Effacés des liasses, les
Pasteur, les Pierre et Marie Curie. Jarretés des talbins, Molière,
Racine et Corneille. Biffé des biffetons, notre grand Hugo, Victor !
On
n’y voit d’ailleurs pas un seul être humain, seulement des paysages
éteints dignes d’un confinement, qu’aucun pèlerin ne parcourt, mais
qu’enjambent les arches conquérantes de l’interconnexion générale. Une
Europe pour les flux. Une Europe sans les peuples, toute entière offerte
à la circulation du capital.
« De Gaulle nous dit que la France est forte quand elle sait son destin », dit M. Macron.
Et
M. Macron, il nous dit quoi ? Que saurait il nous dire d’un peu clair, à
présent, de sa propre vision du destin de la France ?
On
se souvient certes de son discours très médiatisé à la Sorbonne, celui
qui devait servir à ʺrelancer l’Europeʺ. C’était en septembre 2017. Il y
parlait la nécessité de poursuivre l’intégration européenne, suggérant
même d’ « intégrer totalement » d'ici 2024 les marchés allemand et
français. Il y laissait entendre qu’il rêvait d’une Europe fédérale,
tout en soupirant au terme d’une heure et demie de monologue que ce qu’il proposait n’était « pas le fédéralisme »(7)…
On
se souvient aussi d’une formule absurde, formule de perlimpinpin s’il
en est, que M. Macron n’employait pas pour la première fois mais
répétait dans sa coronallocution du 12 mars : cette formule en toc d’une
« France souveraine » dans une « Europe souveraine »(8). Pourtant, il
n’est point besoin de l’excellente culture générale que lui ont dispensé
les brillantes écoles qu’il fréquenta pour être à même de comprendre
que l’une exclue nécessairement l’autre. On se souvient de cette lutte
inlassable, entamée par ses prédécesseurs -à l’exception de De Gaulle-,
pour l’intégration européenne, … ou pour un État européen, … ou pour une
Europe fédérale, enfin… pour une Europe unie, … mais à plusieurs
vitesses…
Il
y a plus d’un demi-siècle, De Gaulle ironisait déjà sur ce « volapük
intégré ». Et Mendès-France (un bel « esprit français », sans doute
supérieur à celui de M. Macron) refusait en 1957 de voter le « marché
commun » : alertant sur les dumpings à venir, et sur le coup d’arrêt aux
progrès sociaux qu’il pressentait, et sur l’abdication de la démocratie
qu’il anticipait, il lâchait dans un magnifique discours prononcé
devant l’Assemblé Nationale(9) l’avertissement du risque d’une dictature
exercée par des « mécanismes économiques ». Mendès, partisan d’une «
coopération fraternelle avec les autres pays européens », rejetait la
supranationalité européenne. Il refusait de « défaire la France ». Il le
faisait avec une vision du destin des peuples.
Mais
quelle peut être la vision d’un M. Macron, président de la fin du
capitalocène ? On finit par ne plus savoir de quoi il parle, et ne même
plus comprendre ce que peut bien signifier le mot souveraineté dans son…
esprit. Quelle est donc sa vision du destin de la France ?
Certes,
on n’ignore pas la mission sacrée que la ploutocratie lui a confiée en
le propulsant sur son trône : la promotion du marché et l’extension
infinie du « libre-échange ».
L’an
dernier, alors qu’il apportait son soutien aux accords de libre-échange
CETA et MERCOSUR, son ministre M. Lemaire, n’avait pas cillé en
affirmant que c’est le « libre-échange » qui est le plus « efficace »
contre le réchauffement climatique. C’est un sacré pro, ce gars. Comme
son patron : ils osent tout. Envers et contre tout, toujours plus
irréparables que soient les dégâts sociaux, économiques, écologiques et
environnementaux, ils continueront. Si le Covid-19 avait pu réorienter,
si peu que ce fut, leur mission (on n’ose parler de mandat), ils
l’auraient claironné. Cela n’arrivera pas.
UNE CERTAINE IDÉE DE… DE GAULLE
Le
17 mai, M. Macron a lancé « une année De Gaulle ». Une telle farce ne
doit à aucun prix être boudée. C’est assez beau de lancer bravement une «
année De Gaulle », lorsqu’on trempe vraisemblablement au cœur du
scandale Alstom, dont les Français ont pu subodorer l’ampleur, sans en
connaître encore tout le détail. Car la justice est infiniment plus
lente et entravée pour juger les décideurs en cols blancs que les gilets
jaunes.
Qui pense que De Gaulle eut pris part à la vente à la découpe du pays ?
Eut-il
donné son assentiment au démantèlement de l’un des plus grands (et des
derniers) conglomérats industriels français, au profit de la
multinationale américaine General Electric ?
Eut-il
trempé dans une affaire d’État qui mêle vraisemblablement impérialisme
et ingérence, détournement de fonds publics, pacte de corruption et
financement d’une campagne présidentielle ?
On
apprend le 20 mai 2020 que General Electric déconfine tout reste
d’hypocrisie en démantelant un peu plus Belfort à la faveur du Covid-19.
« Le scandale semble sans fin. Deux jours après le déconfinement, la
direction du groupe américain » se propose « d’accélérer le programme de
délocalisation de l’ingénierie et du commercial en Hongrie et en
Pologne. Surtout, la direction se propose de déménager toutes les
activités de maintenance et de réparation des turbines installées dans
le monde, un des marchés les plus rentables du groupe, pour la confier à
ses sites en Arabie saoudite et aux États-Unis.(10) »
«
Nous sommes en guerre », a dit et répété six fois M. Macron dans son
allocution du 16 mars. Mais contre quoi ou contre qui ? Pour entamer «
l’année De Gaulle », que M. Macron lise donc ce que De Gaulle pensait de
l’impérialisme américain. Qu’il lise sa vision de l’indépendance
économique de la France.
«
Après avoir donné l’indépendance à nos colonies, nous allons prendre la
nôtre. L’Europe occidentale est devenue, sans même s’en apercevoir, un
protectorat des Américains. Il s’agit maintenant de nous débarrasser de
leur domination. Mais la difficulté, dans ce cas, c’est que les
colonisés ne cherchent pas vraiment à s’émanciper. Depuis la fin de la
guerre, les Américains nous ont assujettis sans douleur et sans guère de
résistance. »
«
Les capitaux américains pénètrent de plus en plus dans les entreprises
françaises. Elles passent l’une après l’autre sous leur contrôle. » « Il
y a un véritable transfert de souveraineté. »
«
Il devient urgent de secouer l’apathie générale, pour monter des
mécanismes de défense. Les Américains sont en train d’acheter la
biscuiterie française. Leurs progrès dans l’électronique française sont
foudroyants.
«
C’est comme dans le monde communiste, où les pays satellites se sont
habitués à ce que les décisions se prennent à Moscou. » (Et vlan !)
«
Les vues du Pentagone sur la stratégie planétaire, les vues du business
américain sur l’économie mondiale nous sont imposées. »
«
Bien des Européens y sont favorables. De même que bien des Africains
étaient favorables au système colonial : les colonisés profitaient du
colonialisme. Les nations d’Europe reçoivent des capitaux, certes ; mais
[…] elles reçoivent aussi des ordres. Elles veulent être aveugles.
Pourtant, à la fin des fins, la dignité des hommes se révoltera. (11)»
TRAVAILLER, SE TAIRE : UN VICHYSME
Quand
un De Gaulle était capable de prévoir et de comprendre la révolte de la
dignité des hommes contre la domination, M. Macron, lui, préfère n’y
voir que vétille ou récrimination. Ce 1er mai, son cynisme et son goût
pour la provocation s’étaient exprimés à la population confinée par
cette formule où il assimilait les revendications des travailleurs à des
«chamailleries». Ce fut sa façon de commémorer le second anniversaire
de la joyeuse et pétillante équipée de son acolyte, le taquin M.Benalla.
À
Montcornet, le voici à nouveau en représentation, réprouvant les «
discordes accessoires » et les « désaccords souvent trop vétilleux » qui
troublent la « cohésion sociale ». Ce vocabulaire policé est censé lui
donner la distinction de celui qui a de la hauteur de vue. En réalité,
il joue l’enfant de chœur. On croirait entendre la prose de premier de
la classe du produit d’une quelconque Institution
Notre-Dame-de-la-Pruderie-bien-affectée. Cette façon doucereuse de
considérer le monde respire le déni. Ce style faussement précautionneux
est plus qu’un brin hypocrite, dans la bouche de celui qui est aux
commandes d’un système de répression En Marche ! toujours plus violent
contre ses opposants.
Revenons
une dernière fois sur ces années 1940 si chères à M. Macron. Dès 1940, à
l’heure de la Révolution Nationale et de la collaboration, le nouveau
régime et ses chiens de garde avaient signifié leur extrême intolérance à
la critique, à la contradiction, à toute forme de résistance.
« CRITIQUER. RECRIMINER.
C’est agir sciemment contre la France et inconsciemment contre soi-même. »
«
Le temps des discussions sur la place publique est passé. Les mots nous
ont assez fait de mal. Ce sont des actes qui relèveront la France.
TRAVAILLER, SE TAIRE, c’est collaborer à l’œuvre commune d’où sortira
une France pure ».
Cette
édifiante mise en garde, par ailleurs maintes fois reproduite et
affichée, fut adressée à ses lecteurs le 7 décembre 1940 par un journal
aux ordres du pouvoir, L’Opinion du Sud-Est. Dans les mêmes colonnes,
deux mois plus tôt, un chroniqueur écrivait ces mots :
« J’ai
entre les mains, l’autre jour, une petite feuille que des lâches
glissent dans les boîtes aux lettres, quand on ne peut les surprendre.
Il s’agit d’un texte polycopié, où l’on injurie le chef de l’Etat (…)
C’est agir contre la France que de tenter de semer le doute, la
discorde, quand tous ont tant besoin du grand honnête homme qui dirige
nos destinées. »
Ce
chroniqueur zélé venait d’y commenter les actions d’un groupe de
lycéens niçois qui diffusaient des papillons hostiles aux forces de
l’Axe. Cette jeunesse résistante y était renvoyée à l’inconséquence
puérile des « exaltations » et de l’« esprit d’aventure » qui poussent
au rêve « d’aller se battre jusque chez les Zoulous »(12). On connaît
ces vieilles techniques qui infantilisent et folklorisent les actes de
résistance afin de les dépolitiser pour mieux disqualifier l’adversaire.
Voilà
un langage qui, toutes proportions gardées, rappelle sans doute
beaucoup de souvenirs aux Français des années 2017 à 2020, en
particulier ceux qui, dans les « quartiers » et dans les rues, font
régulièrement les frais des doctrines de maintien de l’ordre en vigueur
et de l’usage ahurissant d’armes de guerre par les forces de l’ordre.
C’est à
vrai dire un langage assez approchant de celui du préfet de police de
Paris, M. Lallement, qui lançait sèchement à une parisienne cette phrase
de guerre civile : « Nous ne sommes pas dans le même camp, Madame ».
Début
avril 2020, le même agaça encore davantage en déclarant que « ceux
qu'on trouve dans les réanimations » sont ceux qui n’ « ont pas respecté
le confinement ».
« ILS BOMBINENT DANS LE VIDE »
M.
Macron : ce 17 mai 2020, vous avez voulu célébrer De Gaulle, « colonel,
général, chef de la France libre, président de la République ». Si
l’objectif était de vous identifier au rôle, renoncez ! La cause est
perdue. On vous a suffisamment entendu dire et répéter que nous étions
en guerre, mais vous n’êtes ni colonel, ni général, et vous ne vous y
entendez pas non plus dans les questions d’ « intendance » (nous nous
souviendrons de la pénurie prévisible de masques, de gel, de blouses
dans les hôpitaux, qui est une sacrée illustration de l’inefficience du
marché prétendument « libre »).
Vous
n’êtes pas non plus « chef de la France libre », vous qui laissez la
France dans le giron de l’OTAN, vous qui la laissez à la merci des Six
pack, Semestre européen, GOPE et autres camisoles ordolibérales, trésors
de l’inventivité perverse qui mécanise la soumission des peuples pour
le plus grand bonheur des capitalistes.
Savez-vous ce que disait De Gaulle des hommes de la Commission Européenne ?
«
Ce ne sont pas des élus, ce sont des gens qui ne relèvent de personne.
Ils n'ont que la responsabilité des propos qu'ils tiennent, ils
bombinent dans le vide, comme la coquecigrue de Rabelais. »
Vous
le voyez bien. Ce costume de « président de la République » est
décidément bien trop grand pour vous. Vous y flottez. Vous ne créerez
pas de diversion en embarquant De Gaulle dans vos gesticulations face à
la crise sociale et écologique qui n’en finit plus de monter, hélas !
Face à un état d’urgence sociale et écologique, vous ne vous préoccupez
que de rivaliser avec Mme Le Pen, jusque dans vos entreprises
respectives d’annexion de la mémoire gaulliste.
Souhaitez-vous
vraiment vous mesurer à De Gaulle ? En ce cas, vous qui nous prétendez
ʺen guerreʺ (contre un virus ?), sortez du flou ! D’ici quelques jours,
vous n’allez pas pouvoir vous retenir de commémorer l’Appel du 18 juin.
Dites-nous
donc alors, car nous en sommes curieux, quels sont selon vous ces «
gouvernants de rencontre » qui «ont pu capituler, cédant à la panique,
oubliant l’honneur, livrant le pays à la servitude» ? Dites-nous donc
quelles seraient aujourd’hui, dans «l’univers libre», les « forces
immenses » qui « n’ont pas encore donné » ? Quelle est votre vision du «
destin du monde »(13) ?
Nous
vous voyons encore louvoyer et n’avoir qu’une idée en tête, celle pour
laquelle vous avez été depuis le début hissé à votre place : le retour à
«l’anormal». Vous aussi, vous bombinez dans le vide.
29 mai 2020
NOTES :
1 Voir l’article : « Un esprit français aux relents pétainistes. »
2
Le portrait de Clémenceau figure en bonne place dans une galerie
particulière de «l’esprit français» très prisée des gens de pouvoir
ayant le culte d’une autorité qu’ils ne possèdent pas naturellement. M.
Macron a cela en partage avec M. Valls. Tous deux sont des admirateurs
déclarés de Georges Clémenceau, que la classe ouvrière de son temps
surnommait le briseur de grèves, le roi des mouchards, le sinistre de
l’intérieur, ou encore le bourreau des travailleurs.
3 Alain Damasio : « Coronavigation en air trouble (2/3): petite politique de la peur », 29 avril 2020.
4
Oripeau : à entendre dans son sens ancien de mince feuille de laiton ou
de cuivre battu pour imiter l'or et le bronze antique ; dans sons sens
dérivé de l’étoffe brillante, imitant le tissu d’or, qui fait un certain
effet, vue à distance ; dans le sens figuré, enfin, d’une chose sous
l’éclat apparent de laquelle il n’y a rien de solide.
5
« Ces vieilles traditions qu'il faut maintenir, ces jeunes ardeurs qui
communieront dans un zèle nouveau, forment le fond de notre race ».
Philippe Pétain, le 11 juillet 1940.
6
La biographie de Hallstein, classé parmi les « pères fondateurs » de la
construction européenne a évidemment été dûment « toilettée » des
éléments historiques dérangeants sur la page de la Commission européenne
: https://europa.eu/european-union/sites/europaeu/files/docs/body/walter_hallstein_fr.pdf
7 https://www.huffingtonpost.fr/2017/09/26/discours-de-la-sorbonne-macron-ne-propose-pas-une-europe-federale-mais-cest-tout-comme_a_23223592/
8 « Nous devons […] construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europesouveraine ».
9https://www.cvce.eu/obj/discours_de_pierre_mendes_france_sur_les_risques_du_marche_commun_paris_18_janvier_1957-fr-c81bfdc2-20a9-4eaa-82ec-c2117fa1f3c2.html
10 https://www.mediapart.fr/journal/economie/200520/au-nom-du-covid-19-general-electric-demantele-un-peu-plus-belfort
11 Charles de Gaulle, 4 janvier 1963, extrait de Alain Peyrefitte, C’était De Gaulle, T.2, pp.15-16.
12 L’Opinion du Sud-Est, 12 octobre 1940.
13 Charles de Gaulle, extraits de l’Appel du 18 juin et de l’ʺaffiche de Londresʺ, juin 1940.
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