mercredi 10 juin 2020


 

 
La France reconnaît qu'un gendarme a été tué par l'uranium appauvri suite à une mission au Kosovo.
Le capitaine de Gendarmerie Henri Friconneau vient d'être reconnu “Mort pour la France” à la suite d'une longue procédure menée par sa femme
La maladie emportera Henri Friconneau en quelques mois. Le départ d’un combat judiciaire de longue haleine pour Laurette afin d’obtenir une pension de veuve de victime de guerre. L’armée la lui refuse une première fois après la mort de son mari, détenteur de la croix de chevalier de l’ordre national du Mérite. Selon Marianne, l’armée lui écrit un bref courrier afin de lui signifier que «la preuve au service du décès des suites d’un angiosarcome n’a pas été apportée».
Il faudra attendre le 21 juin 2019 pour que la cour d’appel de Rennes donne raison à la veuve, après que cette dernière a tout mis en œuvre pour constituer un solide dossier, regroupant notamment le calendrier des bombardements, des études épidémiologiques montrant l’augmentation des cancers dans la région de Mitrovica et le témoignage d’un expert scientifique.
«La cour a repris nos arguments en reconnaissant un lien de causalité entre ce type d’exposition et un théâtre de guerre», expliquait Me Rachet-Darfeuille, conseil de Laurette Friconneau, citée par Marianne.
Dusan Gujanicic, chercheur à l’Institut des études politiques de Belgrade, souligne que l’affaire Friconneau représente le premier cas du genre qui obtient une certaine médiatisation en France. De quoi donner des idées aux familles d’autres militaires français décédés de cancer dont l’exposition à l’uranium appauvri au Kosovo pourrait être la cause?
«En ce qui concerne les citoyens français, il nous reste à suivre l’évolution de la situation. Je ne saurais préciser le nombre de ceux qui pourraient tenter de porter plainte, mais je n’exclus pas quelque chose de ce genre dans un avenir prévisible», explique l’expert au micro de Sputnik.
Reste que d’après Dusan Gujanicic, il est peu probable que le nombre de plaintes qui pourraient être déposées en France dépasse celui de l’Italie. En mars 2017, le quotidien italien Corriere della Serra rappelait que de nombreuses familles italiennes se battaient contre l’État. À l’instar de Laurette Friconneau, elles souhaitent faire reconnaître que la mort de nombreux soldats était liée à leur exposition à l’uranium appauvri sur les théâtres de conflit, notamment au Kosovo.

Une décision de justice qui va remettre lumière l’affaire de l’UA?

Le quotidien le plus diffusé de la Botte soulignait notamment la mort le 22 décembre 2015 de Gianluca Danise, membre de l’armée de l’air italienne, des suites d’un cancer que lui et sa famille imputent à son exposition à l’uranium appauvri. Gianluca Danise a notamment servi au Kosovo. Avant sa mort, le vétéran de l’armée de l’air tenait un journal en ligne qui avait ému une partie de l’Italie et mis en lumière la problématique des soldats exposés à ce matériau de la mort.
«J’ai peur de mourir et de ne pas pouvoir donner un avenir à ma femme et ma fille […] J’ai peur de mourir avant d’avoir eu gain de cause face à la maudite bureaucratie militaire et civile…», y écrivait-il.
Gianluca Danise faisait également part du manque d’information et de protection des soldats italiens déployés au Kosovo:
«Nous avons vu les Américains et nous nous sommes demandé pourquoi ils marchaient équipés comme ça. Ils ressemblaient à des martiens. Ils ressemblaient à des personnages de ces films de type “Virus”», racontait Gianluca Danise.
«Ils avaient de l’équipement pour manipuler des matériaux que nous n’avions pas. Nous ne nous sommes jamais demandé pourquoi ils étaient si équipés, nous avons pensé qu’ils exagéraient. Après le Kosovo, à mon retour de la deuxième mission que j’ai effectuée en Érythrée, j’ai commencé à lire les journaux et mon sang a gelé. C’était le moment où nous avons commencé à parler d’uranium appauvri. J’espérais ne pas être parmi les malheureux. Au lieu de cela, en 2010, cela m’a aussi touché. Tout a commencé par un mal d’oreille et ma vie a été bouleversée», détaillait le soldat transalpin.
Dusan Gujanicic explique que les soldats italiens ont davantage été touchés que leurs homologues français, car ces derniers servaient dans le nord de Mitrovica, alors que les Italiens étaient stationnés à Metohija, à la frontière avec l’Albanie, la région la plus intensément bombardée à l’uranium appauvri.
© AFP 2020 JOEL SAGETLe chercheur de l’Institut des études politiques de Belgrade espère que la victoire juridique de Laurette Friconneau fera bouger les choses:
«Vu que le procès est gagné, la balle est maintenant dans le camp de notre État et de notre diplomatie. Il leur faut s’y consacrer pour expliquer au monde entier que ce qui s’était produit en Yougoslavie était une authentique catastrophe humanitaire. Toutes les organisations serbes susceptibles d’influer sur l’évolution de la situation devraient participer à cette campagne.»
L’expert souhaite que son pays «promeuve» la vérité dans les milieux publics français et en appelle au rôle des médias. Belgrade doit selon lui encourager les familles de militaires français touchés à saisir la justice afin que la France accorde une attention de plus en plus sérieuse à la cette catastrophe humanitaire.
Si Dusan Gujanicic est persuadé que le verdict de la cour d’appel de Rennes peut poser un fondement légitime dans la lutte pour la reconnaissance des dégâts causés par l’uranium appauvri, il sait que le combat est loin d’être gagné:
«C’est une lutte prolongée, exténuante, ne promettant pas de résultats immédiats. Il ne faut pas sous-estimer l’opposition de certaines structures étatiques et paraétatiques, à laquelle se sont heurtées les familles des militaires italiens: plusieurs d’entre elles ont raconté avoir subi des pressions et avoir été intimidées par les autorités.»
Malgré les dangers représentés par son utilisation, les munitions à l’uranium appauvri ne sont toujours pas formellement interdites au niveau international et continuent d’être utilisées sur les théâtres de conflit à travers le globe.

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