vendredi 12 juin 2020

Les applaudissements à 20h ont disparu, tout comme la reconnaissance de l’État pour le personnel soignant

Marie Garcin déplore que malgré la pandémie, le gouvernement ne pense toujours pas sérieusement à revaloriser les métiers hospitaliers.
Alors que la vie a repris son cours presque normal, que le fléau du Covid-19 disparaît progressivement de nos consciences et fort heureusement de nos chairs, et que les portes de nos CHU et Ehpad s’ouvrent à nouveau, ce qui était redouté se produit : la reconnaissance de l’État, passée l’émotion de tout un pays, s’évanouit.

Ne pas oublier les soignants

Rappelez-vous quand chaque soir, vous vous rassembliez pour nous applaudir à 20h pour nous manifester votre soutien au titre de notre effort de guerre. Vous célébriez notre bravoure à panser inlassablement vos plaies et répondre à vos craintes. Le président de la République nous réserva même lors de ses allocutions solennelles quelques belles tirades pour nous remercier, nous les soignants, vos "héros en blouse blanche". Vos héros d’une drôle de guerre en temps de paix, sans armes pour combattre ni général pour nous guider dans le brouillard de l’incertitude. Bien que l’accalmie qui suit le combat intense soit revenue, que l’espoir renaisse et que nos cafés se remplissent avec cette légèreté si caractéristique de notre façon de vivre, il ne faut pas rester sourd et aveugle à cette colère des soignants qui elle augmente, gronde, rugit et risque de s’intensifier.
Le mobile ? Le caractère profondément inégal du versement de cette prime exceptionnelle aux soignants précisée le 15 mai dernier. Selon les départements, les personnels de santé vont percevoir une prime d’un montant de 500 ou de 1.500 euros, sur le fondement d’une classification élaborée de manière arbitraire par l’administration d’État. L’unité du territoire qui a gouverné lors des différentes phases de déconfinement aurait-elle comme limite une reconnaissance de nos personnels soignants à géographie variable ?
Nous avons été tous égaux face à la Covid-19 et avons lutté de concert
Nous nous interrogeons sur cette différence de traitement : signifie-t-elle que notre abnégation a été fluctuante selon les établissements ? Signifie-t-elle que nos sacrifices ont été aléatoires selon les territoires ? Signifie-t-elle que nos efforts ont été d’une inégale intensité face à l’intensité ? Nous dénonçons cette forme d’injustice puisque notre engagement pour faire reculer l’ennemi invisible a été plein et entier à chaque instant, nonobstant la localisation de la ligne de front, qu’elle ait été dans un Ehpad de Châteauroux, un CHU de Nice ou un hôpital local de Poitiers. Nous avons été tous égaux face à la Covid-19 et avons lutté de concert. Comment comprendre et accepter qu’un centre hospitalier frappé d’un cluster longuement tu mais situé à seulement quelques dizaines de kilomètres de la limite administrative d’un département, ne soit éligible qu’à une prime de 500 euros ? Surtout quand on sait que ce centre hospitalier a pu accueillir de nombreux malades d’un département considéré comme figurant parmi les 40 les plus touchés.

Reconnaissance de la nation

Partout en France, dans nos campagnes, dans nos plaines, dans nos villes, dans nos centres urbains, nous soignants, portions sur nos frêles épaules la même peur, le même effroi, les mêmes craintes pour notre vie, celles de nos patients et bien sûr de nos proches. Nous partagions les mêmes rituels, manques et avaries de matériels ; mais les mêmes surblouses en trop faible nombre, les mêmes complaintes d’aspirateurs artificiels, les mêmes râles d’agonie, les mêmes rituels macabres et parfois aussi les mêmes hécatombes inévitables et inarrêtables.
Le virus avait partout la même intensité, la même violence et le même dessein mortel. Nos corps portent encore les stigmates et les traces de cette tragédie ; aujourd’hui nous rajoutons à ce fardeau une profonde blessure résultant de cette différence de reconnaissance. La reconnaissance de la Nation toute entière doit être universelle et non pas contingente, elle doit être pleine et entière au diapason de notre engagement à vos côtés pour sauver vos vies et celles de vos proches. Elle doit être celle de tout un pays qui s’est soulevé ensemble et fraternellement contre l’effroyable.
Nous appelons de nos vœux à une prime universelle et nous demandons aussi une véritable réforme de l’hôpital
Nous appelons de nos vœux à une prime universelle et nous demandons aussi une véritable réforme de l’hôpital, tendant à une revalorisation complète des salaires des soignants ; et non l’allocation de primes définies à l’emporte-pièce, afin de se laver la conscience de nous avoir envoyé affronter le trépas dans le dénuement le plus total.
A quelques jours seulement d’un défilé du 14 juillet qui doit distinguer le courage des valeureuses blouses blanches qui se sont soulevées face au Mal, comment pouvons-nous imaginer unir la nation tout entière derrière des personnels soignants qui ont leur honneur bafoué par une reconnaissance bornée ?

Aucun commentaire: