Après l’oubli, la reconnaissance Lundi 24 Août...
À
l’image de la « Nueve », célébrée ce soir à Paris, le rôle des
combattants républicains d’Espagne a peu à peu réintégré le récit
national.
Lorsque Luis Royo-Ibanez entre dans Paris, le 24 août 1944, à bord de
son half-track baptisé « Madrid », il laisse éclater sa joie devant
l’Hôtel de Ville : « Aujourd’hui Paris, demain les Pyrénées ! »
Ce républicain espagnol de la division Leclerc, membre de la compagnie surnommée la « Nueve » (160 hommes dont 146 Espagnols pour la plupart anarchistes et communistes) avec à leur tête le colonel Raymond Dronne, a tout donné pour la libération de l’Afrique du Nord puis celle de la France. Luis et ses camarades ont débarqué à Omaha Beach. Puis, sous la conduite de combattants de la Résistance, ils ont foncé sur Alençon avant d’entrer dans Paris – déjà largement contrôlé par les FFI du colonel Henri Rol-Tanguy – à bord des half-tracks portant les noms de batailles de la guerre d’Espagne, « Teruel », « Guadalajara », « Brunete » soigneusement rebaptisés pour les cérémonies du lendemain 25 août, « Montmirail »,« Champaubert » ou « Romilly ».
Un signe, déjà.
Luis et ses copains ne fonceront pas sur Madrid pour combattre la dictature. On leur donnera l’ordre de poursuivre vers l’est. Surtout pas au sud, vers l’Espagne martyrisée par le général fasciste Franco passé sous protection des États-Unis. Dans son HLM de Cachan, Luis nous dira au crépuscule de sa vie : « La libération de Paris, de la France devait être une étape avant la libération de l’Espagne. Nous nous sommes battus puis nous avons été oubliés. » Ce lundi soir à Paris (1), honneur sera rendu à la « Nueve ». Enfin.
« Élément communiste dangereux »
Manuel Rodriguez était un parmi les 500 000 réfugiés espagnols qui ont cherché refuge en France, en 1939. Passé les Pyrénées, il a été enfermé dans un camp de concentration, à Argelès. Première image d’une partie de la France, celle qui passait son temps à enchaîner autour du maître berlinois plus de génuflexions que la liturgie collaboratrice n’en exigeait, en pourchassant les élus et responsables communistes. Manuel s’échappera puis rejoindra les premiers groupes armés de la Résistance. Plus tard, il participera à la libération de Toulouse. La Ville rose et la France libérées, il s’engage dans les groupes armés qui tentent de reprendre la lutte en terre espagnole. Blessé, il rentre à Toulouse et finit sa vie délaissé et traité comme un pestiféré, presque comme un « terroriste ». Manuel et ses camarades anciens résistants et guérilleros n’ont pas encore reçu l’hommage qu’ils méritent. Trop rouges.
Maurice, ancien des Brigades internationales, a eu la mauvaise idée de perdre une jambe lors de la bataille de l’Ebre. Jeune et beau garçon, fils de « bonne » famille, il avait compris avec 9 000 autres Français que la guerre imposée à la République espagnole par les sbires d’Hitler et de Mussolini était un test grandeur nature avant le déferlement nazi sur l’Europe. Jusqu’en 1971, abandonné par sa famille, ignoré par les autorités, il a survécu en dessinant des caricatures sur la place du Tertre à Paris. Maurice et nombre de ses camarades survivants de la guerre d’Espagne nous ont quittés dans l’indifférence qui aurait été générale sans la solidarité jamais démentie du Parti communiste français. Et il aura fallu, en 1996, l’action combinée de Philippe Séguin et de Jacques Chirac, sous les hurlements de plusieurs députés de droite, pour que les brigadistes soient enfin reconnus comme « anciens combattants ». Maurice est mort trop tôt.
Marie-Thérèse, infirmière espagnole des Brigades internationales, mariée à un brigadiste français, n’a jamais obtenu la nationalité française. Sur sa fiche des renseignements généraux figurent trois mots : « élément communiste dangereux ». Elle a deux enfants, eux, bien français, mais sera obligée régulièrement de renouveler sa carte de « séjour », comme on disait à l’époque des gouvernements de droite et de la SFIO, l’ancêtre du Parti socialiste. Marie-Thérèse restera dans l’anonymat.
D’autres exemples ? Le colonel Henri Rol-Tanguy – qui nous disait : « Vous évoquez mon rôle pour la libération de Paris mais c’est l’Espagne qui reste mon premier combat antifasciste et qui a marqué la suite de mon engagement pour la liberté et la démocratie » – a, lui aussi, subi la discrimination en étant marginalisé dans sa carrière militaire. Compagnon de la Libération, grand officier de la Légion d’honneur, Rol fut heureusement reconnu des années plus tard comme un Français d’exception dans la lutte contre l’occupant nazi. Mais combien d’autres de ses camarades ont été maintenus dans l’oubli ?
Après des dizaines d’années de silence sur la guerre d’Espagne, la chape de plomb se fissure : films, livres, études, avec notamment le prix Rol-Tanguy délivré à des étudiants par l’association les Amis des combattants en Espagne républicaine (Acer) ainsi que documentaires et ouvrages, particulièrement ceux de Jean Ortiz, ont permis de donner à voir et comprendre la guerre d’Espagne, le courage des républicains espagnols et des brigadistes venus du monde entier.
Ce soir, à Paris, lorsque nous célébrerons la « Nueve », nous penserons à Luis, Manuel, Maurice, Marie-Thérèse, Rol et les autres.
L’Humanité
(1) Pour ce 71e anniversaire, la Ville de Paris organise un hommage ce soir à 18 h 15, place des Combattants-de-la-Nueve, puis demain après-midi, des cérémonies place de la Libération-de-Paris (parvis devant l’Hôtel de Ville), qui seront suivies d’un bal populaire.
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