Pendant 1 420 mètres, la route départementale 59 change de nom et devient la rue de l’Humanité. C’est peut-être exagéré, même quand les trottoirs viennent d’être refaits, mais ce n’est pas tout à fait faux non plus et il faut bien que quelqu’un continue le combat.
“Nous sommes les seuls en France”, déclare Michel Mercier, le maire du Martinet, 778 habitants. La mairie se trouve au 737, rue de l’Humanité, et la liste communiste a obtenu 92,13 % des voix aux dernières élections municipales.
92,13 %.
“Nous sommes les derniers”, déclare Thérèse Roualet, une retraitée qui habite au 936. Elle enseignait les arts plastiques, maintenant elle peint. “C’est quand même une institution folklorique.” On dirait qu’elle regrette que les communistes soient restés si forts au Martinet alors qu’ils ont obtenu 2,7 % dans tout le pays lors [du premier tour] des dernières élections législatives.
Thérèse Roualet dessine une carte sur la table, dans les miettes, entre le saucisson de sanglier et le fromage de chèvre. “Ça, c’est le pont du Gard. Ici, au fromage, commencent les Cévennes. Et ça, c’est la grotte Chauvet. Tout est classé au patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco et protégé.” Puis elle tapote le milieu du triangle. “Et nous sommes ici. Le Martinet. La seule commune à l’arbre généalogique partisan immaculé.” Petite pause. “Peut-être que l’Unesco devrait aussi nous…”
France 2021 : pour l’un, on survit, pour l’autre, on a fait son temps. Tous deux ne s’aiment pas particulièrement, mais ils vivent dans le même village, une forme de socialité où l’on en sait parfois un peu trop les uns sur les autres, mais où l’on sait aussi quand il vaut mieux se taire.
La formule de l’éternelle victoire
Le Martinet n’a produit aucune poétesse, aucune star de la télé trash et un seul footballeur : Robert Siatka, surnommé “Le Cheval” à cause de sa façon de courir, qui jouait pour Reims lors de la finale de la coupe d’Europe des clubs champions de 1956 et a perdu. La commune, l’une des 34 965 du pays, se trouve dans un creux au milieu des montagnes des Cévennes, dans ce Sud qui est loin de la lavande et des centres-villes instagramables.
Personne ou presque n’en parlerait si l’extrême droite de Marine Le Pen n’avait pas fortement progressé dans le reste du département. Et si les 92,13 % n’avaient pas été conformes aux prévisions. Le Parti communiste français (PCF) n’a jamais perdu la mairie du Martinet depuis le début des élections. A-t-il trouvé ici la formule de l’éternelle victoire ?
Le Martinet est un exemple pour la France, pour les autres pays et même pour les élections législatives [allemandes] à venir. La démocratie, c’est gouverner sur la durée. Elle vit du changement, de l’existence d’alternatives, du fait que les gens veulent des alternatives. Mais qu’en est-il si les électeurs et les électrices aiment que tout continue simplement comme avant ?
Alors que le Parti communiste français n’existait que depuis quelques mois, en octobre 1921, le conseil municipal du Martinet, commune qui venait d’être créée, se réunissait pour la première fois : seize syndicalistes, tous mineurs, ayant une conscience de classe et qui savaient où était leur place politique. C’est ainsi que Le Martinet est entré dans l’histoire comme la première municipalité communiste librement élue de France. C’est un village où il n’y a pas de sonnerie de cloches à Noël ni de portrait du chef de l’État à la mairie.
“Y en a jamais eu ici”, déclare Michel Mercier. Un peu nerveux d’avoir la presse étrangère dans son bureau, il parle de valeurs universelles et du point III.B.1 du budget : réhabilitation, réaménagement et extension de la salle des fêtes.
À quoi voit-on en ville que Le Martinet a cette histoire glorieuse ? “Ah ben, là, vous me posez une question…” Mercier réfléchit un moment. Bien entendu, il n’y a pas de fresques d’ouvriers comme en Russie, reconnaît-il. Juste cette étoile, au stade, peut-être.
Mais l’éducation du peuple, l’accès à la culture – le parti l’a toujours fait, ce qui explique qu’il y a une bibliothèque et que beaucoup d’enfants d’ouvriers ne sont pas devenus ouvriers. “Moi, par exemple.”
“Inspectrice, elle s’était retrouvée emmurée ici une fois”
Mercier est architecte. Sa sœur Line, une maigre pharmacienne, a la réputation d’être l’idéologue en chef de la commune. C’est elle qui lui écrit ses discours, elle cite des extraits du journal du parti et est chargée du bon déroulement des cérémonies du centenaire.
L’administration de la commune et la politique ne font qu’un, déclare Mercier. “On dit qu’il n’y a pas de politique dans un village. Nous pensons le contraire.” Il y a toujours eu des séances extraordinaires au cours desquelles le conseil municipal s’exprimait sur la politique mondiale – pour Nelson Mandela, le héros de la liberté sud-africain, contre le plan Schuman, qui prévoyait le regroupement des industries du charbon et de l’acier allemandes et françaises.
Thérèse Roualet est installée dans la pièce où elle est née, il y a soixante-dix ans. Son père était l’instituteur du village. Elle fait partie de ceux qui sont revenus après avoir vécu dans le Nord. Les Roualet ont réaménagé leur maison de famille en cabinet de curiosités. C’est la plus belle du village.
Jadis, à Paris, une de ses collègues est devenue blême quand elle a mentionné Le Martinet en passant. “Elle s’était retrouvée emmurée ici une fois, quand elle était inspectrice. Les parents voulaient empêcher la fermeture du secondaire.” Sa collègue était persuadée que la proviseure de l’époque y avait participé. Le Martinet a toujours son collège.
Quand Mercier entend cette histoire, il réagit comme un père fier de ses enfants. “Vous voyez ? Et comment croyez-vous qu’on a gardé notre poste ? Nous avons séquestré la directrice du bureau de poste pendant une journée. Ça fait partie de la lutte*.”
Les mines, l’Église, le parti
Le communisme est arrivé dans le village avec le charbon, au tournant du XXe siècle. Au XIXe siècle, il affleurait tellement que les paysans le déterraient à la pelle et payaient leurs impôts avec. Il n’y avait pas beaucoup d’
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