jeudi 10 février 2022

Raffinerie de Donges : la lutte paie… les arriérés de salaire seront versés

jeudi 10 février 2022 par Nicolas De La Casinière

C’est ça l’Union-Européenne du Capital ! Embaucher des ouvriers étrangers (mais européens) sous-payés et traités pratiquement comme des esclaves. Combien d’hommes ainsi asservis chez nous ? (Sans compter les sans-papiers jouets des patrons voyous comme à la Poste). Non vraiment cette "Europe" là ne sera jamais sociale et c’est un leurre de le faire croire. Union-Européenne-sociale est un oxymore ! (JP-ANC)

En une semaine de grève, des ouvriers roumains d’un sous-traitant à la raffinerie Total de Donges viennent d’obtenir leurs impayés depuis décembre.

Plus de deux mois de salaires enfin versés. Pour obtenir son dû, il aura fallu s’organiser, gueuler, se serrer les coudes et la ceinture, et éclabousser l’image du donneur d’ordre Total.
Les 54 ouvriers roumains, et les quatre italiens, quittent donc la raffinerie de Donges (Loire-Atlantique) en ayant gagné. Mais gagné juste ce qu’on leur devait, et les frais de rapatriement. Ils rentrent chez eux avec la rage, et quelques kilos en moins, ne vivant qu’avec un repas par jour, fourni par la solidarité des cégétistes :
« On a planté nos barnums devant le bureau du directeur du site, et tous les midis, on a fait un barbecue… Ils sont contents de récupérer leur blé, soulagés de se barrer, mais quand même, à Noël, ils n’ont pas pu faire de cadeaux à leurs mômes. »

Salaires passés aux oubliettes à Donges

Depuis décembre, les salaires de ces 58 salariés de l’entreprise Cipa travaillant sur le site de Donges étaient passés à la trappe. Après une grève d’une semaine et une visibilité donnée à cette exploitation, les bulletins de paie ont finalement été remis en mains propres le lundi 7 février. Les versements doivent être faits le 15 de ce mois. L’inspection du travail a été saisie des points non réglés : des heures de travail décomptées sur les bulletins de salaire, mais disparues du net à payer et des avances sur salaires enregistrées à 800 €, le double de ce qui a été vraiment versé.

L’entreprise, la société italienne Cipa est spécialisée dans le génie civil, les grands puits, les tunnels. Ici à Donges, elle réalise le terrassement de la plate-forme d’une future unité de désulfuration des hydrocarbures.
Cipa est sous-traitante de 2e rang, tenant son contrat d’une autre boîte sous-traitante italienne, Kinetics Technology, elle-même sous-traitante directe de Total.
Cette organisation en cascade est largement utilisée dans la construction navale voisine à Saint-Nazaire, parfois jusqu’au 9e rang. Pratique pour faire réaliser le boulot au moins cher en diluant les responsabilités, et en externalisant les risques de conflit.

Solidarité sans frontières

Le chantier commence en mai avec les premières équipes d’ouvriers roumains qui, eux aussi, mettront plus de deux mois à obtenir leur paie. Cette première arnaque aurait pu ne jamais être connue. Mais un de ces travailleurs roumains en pétard arrête une voiture au hasard près de la raffinerie, demande de l’aide et un soutien syndical. Coup de bol, le chauffeur est cégétiste.
La solidarité s’organise. On se fait alors comprendre en baragouinant en espagnol, que parlent un cégétiste et un de ces travailleurs détachés.

« Pour parler droit du travail français, pas toujours évident », note un syndicaliste. En fait, la prime de grand détachement leur a été squeezée, la boîte italienne ayant ouvert une filiale française, qui a ses bureaux à l’intérieur de la raffinerie.
« Au sein de la raff’, c’est un chantier clos, où à la base, on n’avait pas le droit de mettre les pieds. On ne savait rien » explique un cégétiste. La plupart des ouvriers roumains ne parlent que roumain. Les contrats sont rédigés uniquement en roumain, et la grève menée en juin et juillet par cette première équipe de douze salariés spoliés leur a permis de toucher leurs arriérés et d’obtenir des contrats écrits en roumain et en français pour les suivants.

L’entreprise s’adapte, navigue à vue.

  • « Les équipes ont été renouvelées tous les deux mois environ. Une fois qu’on les a essorés, on en prend d’autres. Possible que certains aient dû repartir sans jamais être payés… soupire un cégétiste. Au début, la boîte faisait payer à chaque salarié les EPI [équipements de protection individuelle], et ne payait pas les jours de formation obligatoires avant d’entrer sur le site. Ils cherchent à gagner sur tout et tant que ça passe, c’est bon pour eux… » Un salarié a même eu des bulletins de paie pour des contrats de deux jours, qui récapitulent 17 heures de boulot avec pour épilogue : « Net payé : 0,00 euros ».

Salaire au bon vouloir de la boîte

Les salaires non versés semblent être une spécialité de la boîte de BTP italienne : deuxième arnaque similaire en juillet, pour vingt autres Roumains bossant sans rétribution à la raffinerie de Donges.
Cette fois, on s’explique en anglais de cuisine. Et finalement, Cipa persiste cinq mois plus tard : même système de rétention de salaire pour ces 58 ouvriers qui viennent de faire plier leurs patrons en ce mois de février.

« On n’a vu qu’une seule fois un des chefs italiens de chez Cipa, venu avec des pompes à 5000 € aux pieds, et ses sbires qui soi-disant ne parlaient pas français, mais en fait si. Des roublards, style mafieux. En tout cas, des patrons voyous » confie un cégétiste du site.
Mais barbecue sous les fenêtres de la direction de la raffinerie, envahissement des bureaux de Total sur le site, pression de l’inspection du travail, de l’ambassade de Roumanie depuis Paris, ont eu raison de cette exploitation.

Trois fois échaudée, se disant préoccupée, mais impuissante, la direction de Total, gênée par la mauvaise publicité faite par le conflit, sensible à son image, a finalement rompu le contrat avec Cipa.
Une autre entreprise prendra le relais. Un sous-traitant choisi sous l’égide du donneur d’ordre, Total, 15 milliards d’euros de profits en 2021, qui regarde avant tout le prix du contrat et demandera accessoirement une prudence sociale, pour éviter de nouvelles grèves spontanées d’ouvriers affamés.

Photo : union locale CGT Saint-Nazaire

 

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