jeudi 31 mars 2022


Non, le monde n’appartient pas à l’Occident par Francis Wurtz

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Non, le monde n’appartient pas à l’Occident par Francis Wurtz

Joe Biden et ses alliés, anglo-saxons comme européens, semblent se voir (presque) revenus aux lendemains de la chute de l’Union soviétique, quand le président Bush (senior) pouvait encore dire, dans son « discours sur l’état de l’Union » de janvier 1992 : « Grâce à Dieu, l’Amérique a gagné la guerre froide. Un monde jadis divisé en deux camps reconnaît aujourd’hui la supériorité d’une seule puissance : les États-Unis. »

Certes, il y a aujourd’hui un gros caillou dans la chaussure des États-Unis. Il est économique plus que militaire : c’est cette insupportable épée de Damoclès de la puissance chinoise qui menace le « leadership » américain, l’enjeu stratégique numéro un pour Washington.

Mais, par sa guerre d’agression contre l’Ukraine, Vladimir Poutine lui offre une occasion historique d’affaiblir lourdement l’autre éternel rival, la Russie, et permet à la coalition occidentale de revêtir la panoplie de défenseure du « monde libre », rassemblant, apparemment, derrière son étendard tous les pays en désaccord avec l’aventure sulfureuse du chef du Kremlin. Autrement dit, la quasi-totalité des nations du globe. Une aubaine stratégique inespérée pour « l’Amérique » et ses alliés. Et pourtant…

L’analyse des votes de l’Assemblée générale des Nations unies, le 3 mars dernier, donne une image du monde beaucoup plus contrastée que celle d’une hégémonie sans partage de « la famille occidentale ».

Rappelons que, si Moscou fut, légitimement, isolé dans ce vote, puisque seules la Biélorussie, l’Érythrée, la Syrie et la Corée du Nord approuvèrent sa stratégie en Ukraine, les Occidentaux ne furent pas plébiscités pour autant. Bien des pays, et non des moindres, n’entendent plus être soumis à un camp. Pas moins de 35 pays se sont, en effet, abstenus et 12 autres ne prirent pas part à ce fameux vote.

Parmi ces récalcitrants, il y a la Chine, qui, bien qu’alliée de la Russie, souligne que « la crise ukrainienne n’est pas quelque chose que nous souhaitions voir venir », car « la guerre n’est dans l’intérêt de personne » et doit cesser au plus tôt. Il y a également l’Inde, qui, bien qu’alliée des États-Unis, n’a pas cédé à leurs (fortes) pressions et a refusé de s’aligner sur les positions occidentales. Il y a, enfin, 22 pays africains, dont le Sénégal qui, bien que réputé proche de la France sinon de l’Europe, a tenu à marquer sa différence.

C’est que nombre de pays du Sud constatent chaque jour un peu plus que leurs intérêts bien compris sont les parents pauvres des stratégies des « grandes puissances » : l’ONU n’annonce-t-elle pas que la guerre russe contre l’Ukraine et la « guerre économique et financière totale contre la Russie » (Bruno Le Maire) risquent d’entraîner « une crise alimentaire mondiale », en particulier dans les pays les plus démunis ?

Quant aux grands États « émergents », des voix fortes s’y élèvent en faveur de la mise en place d’un système financier et commercial international moins dépendant des instruments de la domination occidentale, comme le dollar ou le système de messagerie interbancaire Swift.

Leur message est clair : notre opposition à la guerre russe ne fait pas de nous les obligés de l’Occident.

Article publié dans l'Huma

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