mardi 29 mars 2022

 

Pour beaucoup, l'ancienne secrétaire d'Etat Madeleine Albright, récemment décédée, est restée liée au bombardement cynique de la Yougoslavie ou encore à la mort de 500 000 enfants irakiens des causes du blocus américain contre l'Irak, laquelle « en valait la peine », comme elle l'avait elle-même reconnu, en 1996, dans une interview à CBS-News des plus glaçantes (« l'enfer c'est le froid », disait Bernanos).

Mais ce ne sont pas ces broutilles qui allaient dissuader Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères allemande, d'inscrire ses pas dans ceux de la responsable aux questions internationales du célèbre joueur de saxophone :

« Avec son attitude, sa clarté et son courage, Madeleine Albright a été la première secrétaire d'État américaine à défendre la liberté et la force des démocraties. Avec elle, nous perdons une militante combative, une vraie transatlantique et une pionnière. Je me tiens moi aussi sur ses épaules aujourd'hui. »

Dans le monde d'avant, la chaîne RT France, dont la programmation n'avait pas l'heur de plaire à Mme von der Leyen, m'avait interrogé au sujet de la nomination du gouvernement Scholz. Le sujet me paraissait - je l'avoue aujourd'hui tout en confessant mes fautes - trop vaste pour mes frêles épaules. Finalement peut-être pas si à côté de la plaque, j'avais néanmoins souligné qu'Annalena Baerbock était, dans le nouvel exécutif, celle qui prônait l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN, c'est-à-dire celle qui estimait qu'il n'y avait pas encore assez d'huile sur le feu. Bref, elle se signalait déjà à l'attention comme la plus dangereuse et précisément parce qu'elle était « degôche », même s'il faut le dire vite.

En effet, il ne faut pas oublier que les Verts ont la particularité de pouvoir tout se permettre au nom de l'interventionnisme dit humanitaire, et que son prédécesseur Joshka Fischer, « vert » lui aussi, avait entraîné au Kosovo l'Allemagne dans sa première guerre depuis 1945 et avait prôné le retour, pour l'Allemagne, à une « hégémonie douce ».

Peu importait alors, et peu importe toujours, que le terrain de jeu du renouveau de la puissance allemande s'effectue non par hasard dans ce que les divers Reich et l'Autriche-Hongrie ont toujours considéré comme leurs marches : la Serbie et l'Ukraine. La dernière fois qu'un archiduc était venu faire le malin à Sarajevo, cela s'était pourtant mal fini.

Il y en a toujours, en effet, pour qui Lvov, ou Lviv en ukrainien, se dit toujours Lemberg. Lemberg, il est vrai, lieu de naissance de cet important écrivain de langue allemande qu'est Leopold von Sacher-Masoch. Dieu sait d'ailleurs si celui-ci en avait vu passer dans son coin des maîtresses-femmes en casque à pointe et qui n'étaient pas des anges, des comtesses Báthory et autres Vénus à la fourrure en fouet et en kazabaïka. Mais des qui justifient la mort de 500 000 enfants au nom des valeurs-du-monde-occidental, sans doute cela dépassait-il son imagination.

Reste à savoir si ce retour, riche en symboles divers, de diverses constantes de la politique allemande, aujourd'hui enhardie par le modèle impérial américain, parviendra longtemps à rester sobrement commenté, à l'Ouest, comme le touchant triomphe des femmes dans la diplomatie.

Aymeric Monville

Le 27 mars 2022

Nota Bene : Annalena Baerbock est la Ministre fédérale allemande des Affaires étrangères, co-présidente de l'Alliance 90 / Les Verts de 2018 à 2022

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