Certains exploitent les Ecritures pour justifier la « bataille d’Harmaguédon », prophétiser le Jugement dernier, donner une coloration messianique à la marche impérialiste vers la Troisième Guerre Mondiale nucléaire et exterminatrice. Par-delà les formulations qui sont les siennes et qui relèvent de sa Pastorale, le Pape François semble plutôt se souvenir, et c’est de ce point de vue à son honneur, d’un autre message qui a failli d’ailleurs failli servir de conclusion au Manifeste communiste, à savoir « Tous les hommes sont frères ».

Au-delà des divergences politiques, et face à l’escalade irresponsable de l’UE-OTAN en mal d’hégémonie mondiale torpillant méthodiquement toute négociation entre Kiev et Moscou, il est heureux de constater que les véritables communistes ne sont pas seuls à appeler au rassemblement l’ensemble des « hommes de bonne volonté »…

l’entretien du Pape François avec le Corriere de la Serra : « Interview du Pape François :  » Poutine ne s’arrête pas, je veux le rencontrer à Moscou. Maintenant, je ne vais pas à Kiev ».

Il a répété cette phrase à de nombreuses reprises ces derniers jours. Avec politesse et un large sourire. Et c’est la première chose qu’il dit (Fiorenza Sarzanini, rédactrice en chef adjointe du journal Corriere, participe à l’interview) dès qu’ils entrent dans le salon de Santa Marta : « Excusez-moi si je ne peux pas me lever pour vous saluer, les médecins m’ont dit que je dois rester assis pour le genou.

Aujourd’hui, le pape Bergoglio devra subir une petite opération, une infiltration, pour surmonter une douleur qui ne lui permet pas de se déplacer, de participer aux audiences et aux rencontres avec les fidèles comme il le souhaiterait. J’ai un ligament déchiré, je vais subir une opération avec des infiltrations et nous verrons bien », dit-il. « Je suis dans cet état depuis un certain temps, je ne peux pas marcher. Autrefois, les papes allaient avec la chaise gestatoriale. Il faut un peu de douleur, un peu d’humiliation…’.

Mais ce n’est pas la principale préoccupation du Pontife. Parler de ce qui se passe au cœur de l’Europe lui cause des tourments. « Stop », stop à la guerre, c’est l’appel qu’il crie depuis le 24 février dernier, lorsque les armées russes ont envahi l’Ukraine et que la mort et la destruction sont devenues une terrible partie de nos vies d’Européens. Il répète encore cet appel. Avec le découragement de ceux qui voient que rien ne se passe.

Il y a une veine de pessimisme dans les mots avec lesquels Bergoglio rappelle les efforts qu’il déploie, avec le secrétaire d’État du Saint-Siège Pietro Parolin (« Vraiment un grand diplomate, dans la tradition d’Agostino Casaroli, il sait comment se mouvoir dans ce monde, j’ai une grande confiance en lui et je lui fais confiance »), pour obtenir au moins un cessez-le-feu.

Le Pontife a aligné toutes les tentatives et a répété plusieurs fois qu’il était prêt à se rendre à Moscou. Le premier jour de la guerre, j’ai appelé le président ukrainien Zelensky au téléphone », a déclaré le pape François, « mais je n’ai pas appelé Poutine. J’ai eu de ses nouvelles en décembre pour mon anniversaire, mais pas cette fois, je n’ai pas appelé. Je voulais faire un geste clair que le monde entier pouvait voir et c’est pour cette raison que je suis allé voir l’ambassadeur russe. J’ai demandé une explication, j’ai dit « arrêtez s’il vous plaît ». Puis j’ai demandé au cardinal Parolin, après vingt jours de guerre, d’envoyer à Poutine le message que j’étais prêt à me rendre à Moscou. Bien sûr, il était nécessaire que le chef du Kremlin accorde quelques fenêtres. Nous n’avons pas encore reçu de réponse et nous insistons toujours, même si je crains que Poutine ne puisse et ne veuille pas se rendre à cette réunion pour le moment. Mais comment ne pas mettre fin à une telle brutalité ? Il y a vingt-cinq ans, avec le Rwanda, nous avons vécu la même chose ».

L’OTAN et le Kremlin

L’inquiétude du pape François est que Poutine, pour l’instant, ne s’arrête pas. Il tente également de raisonner sur les racines de ce comportement, sur les motivations qui le poussent à une guerre aussi brutale. Peut-être que « les aboiements de l’OTAN à la porte de la Russie » ont conduit le chef du Kremlin à mal réagir et à déclencher le conflit. « Une colère dont je ne saurais dire si elle a été provoquée », s’interroge-t-il, « mais facilitée peut-être ».

Et maintenant, ceux qui se soucient de la paix sont confrontés à la grande question de la fourniture d’armes par les nations occidentales à la résistance ukrainienne. Une question qui ne fait pas l’unanimité, qui divise le monde catholique et pacifiste. Le Souverain Pontife en doute, sa doctrine a toujours eu au centre le refus de la course aux armements, le non à l’escalade dans la production d’armes que tôt ou tard quelqu’un décide de mettre à l’épreuve sur le terrain, causant mort et souffrance. « Je ne sais pas comment répondre, je suis trop loin, à la question de savoir s’il est juste de fournir les Ukrainiens », raisonne-t-il. « Ce qui est clair, c’est que des armes sont testées là-bas ». Les Russes savent maintenant que les chars sont peu utiles et pensent à d’autres choses. C’est pourquoi les guerres sont menées : pour tester les armes que nous avons produites. C’est ce qui s’est passé lors de la guerre civile espagnole avant la Seconde Guerre mondiale. Le commerce des armes est un scandale, et peu de gens le combattent. Il y a deux ou trois ans, un navire est arrivé à Gênes chargé d’armes qui devaient être transférées sur un grand cargo pour être transportées au Yémen. Les travailleurs du port ne voulaient pas faire ça. Ils ont dit : pensons aux enfants du Yémen. C’est une petite chose, mais un beau geste. Il devrait y en avoir beaucoup comme ça.

Les paroles de François, dans la conversation, reviennent toujours à ce qu’il est le plus juste de faire. Beaucoup l’ont interrogé sur le geste symbolique d’une visite en Ukraine. J’ai envoyé le cardinal Michael Czerny, (préfet du Dicastère pour la promotion du développement humain intégral) et le cardinal Konrad Krajewski, (l’aumônier du Pape) qui y est allé pour la quatrième fois. Mais je sens que je ne dois pas y aller. Je dois d’abord aller à Moscou, je dois d’abord rencontrer Poutine. Mais je suis aussi un prêtre, que puis-je faire ? Je fais ce que je peux. Si Poutine ouvrait la porte… ».

L’église orthodoxe

Le patriarche Kirill, chef de l’Église orthodoxe russe, serait-il l’homme capable de convaincre le chef du Kremlin d’ouvrir la porte ? Le souverain pontife a secoué la tête et a déclaré : « J’ai parlé avec Kirill pendant 40 minutes via le zoom. Les vingt premières minutes, il m’a lu toutes les justifications de la guerre. J’ai écouté et j’ai dit : je ne comprends rien à tout ça. Frère, nous ne sommes pas des clercs d’État, nous ne pouvons pas utiliser le langage de la politique, mais celui de Jésus. Nous sommes les pasteurs du même peuple saint de Dieu. C’est pourquoi nous devons chercher des moyens de paix, arrêter le feu des armes. Le patriarche ne peut pas devenir l’enfant de chœur de Poutine. J’ai eu un rendez-vous arrangé avec lui à Jérusalem le 14 juin. Ça aurait été notre deuxième rencontre en face à face, rien à voir avec la guerre. Mais maintenant, même lui est d’accord : « Arrêtons, il pourrait s’agir d’un signal ambigu ».

Le Chemin de Croix

L’alarme d’une guerre mondiale en morceaux que le Pape Bergoglio avait lancée ces dernières années devient donc quelque chose qui doit secouer les consciences de tous. Parce que, pour le Pontife, nous sommes aussi au-delà des morceaux, nous sommes dans une réalité qui peut vraiment conduire à une guerre mondiale.

« Mon alarme n’était pas un mérite, mais seulement le constat de la réalité : Syrie, Yémen, Irak, en Afrique une guerre après l’autre. Il y a des intérêts internationaux dans chaque partie. Il est impensable qu’un État libre puisse faire la guerre à un autre État libre. En Ukraine, ce sont les autres qui ont créé le conflit. La seule chose qui doit être reprochée aux Ukrainiens est d’avoir réagi dans le Donbass, mais nous parlons d’il y a dix ans. Cet argument est vieux. Bien sûr, c’est un peuple fier. Par exemple, lorsque pour le chemin de croix, deux femmes, l’une russe et l’autre ukrainienne, ont dû lire la prière ensemble, ils en ont fait un scandale. J’ai donc appelé Krajewski, qui était là, et il m’a dit : arrête, ne lis pas la prière. Ils ont raison, même si nous ne pouvons pas tout comprendre. Ils ont donc gardé le silence. Ils ont une susceptibilité, ils se sentent vaincus ou asservis parce qu’ils ont beaucoup payé pendant la Seconde Guerre mondiale. Tant d’hommes sont morts, c’est un peuple martyrisé. Mais nous sommes également attentifs à ce qui peut se passer maintenant en Transnistrie ».

En attendant le 9 mai

La conversation sur la guerre touche à sa fin et le résumé semble pessimiste : « Il n’y a pas assez de volonté pour la paix – c’est le constat amer de François – la guerre est terrible et nous devons le crier. C’est pourquoi j’ai voulu publier avec Solferino un livre dont le sous-titre est Le courage de construire la paix.

Quand j’ai rencontré Orbán, il m’a dit que les Russes ont un plan, que le 9 mai tout sera terminé. J’espère que c’est le cas, afin que l’on puisse également comprendre la rapidité de l’escalade de ces journées. Parce que maintenant, ce n’est pas seulement le Donbass, c’est la Crimée, c’est Odessa, c’est le port de la mer Noire qui est enlevé à l’Ukraine, c’est tout. Je suis pessimiste, mais nous devons faire tous les gestes possibles pour arrêter la guerre.