mardi 21 juin 2022

Trintignant: nous ne sommes pas encore prêts à être communistes

Avant tout merci à toi jean louis Trintignant d’être mort paisiblement de vieillesse, une manière élégante d’ inviter à te suivre: “tu vois ce n’est pas si compliqué”.

“C’est si long !” me disait Aragon quinze jours avant de s’éteindre avec la même élégance mais plus d’impatience. On meurt de la mort des autres parce qu’à chaque mort une part essentielle de vous n’existe plus et le dialogue se resserre autour de simples habitudes. Il y a aussi le pire, la mort de l’enfant, celle à laquelle on est coupable d’avoir survécu. Dans le livre d’entretiens avec la journaliste Catherine Ceylac À la vie, à la mort , il a avoué : “Je suis mort le 1er août 2003, le jour où Marie est morte. À l’intérieur de moi, tout est détruit. Je devais venir la retrouver ce soir-là et je ne suis pas venu. C’était un grand voyage en voiture, quatre ou cinq jours. C’est peut-être de ma faute : si j’avais été présent ce soir-là, elle ne serait sans doute pas morte. Cette culpabilité me pèse beaucoup parce que je suis presque sûr d’avoir raison.”

“Le plus grand sujet, finalement, c’est la mort. Moi, je n’aime que les auteurs qui parlent de la mort. Ceux qui ne parlent pas de la mort ne sont pas très intéressants. Je trouve.” Jean-Louis Trintignant, dans l’émission À voix nue

On meurt de n’avoir plus rien d’essentiel à partager même si l’on est entouré : non les yeux ne peuvent pas en tout temps se fermer et on ne peut pas toujours éluder une discussion par simple fatigue, ne pas réellement répondre en feignant de donner raison. On peut pas toujours avoir la force de refuser le compromis de la survie.

Nous les communistes, nous qui avons eu cette “pensée” communiste, nous avons voulu l’art comme un réel de plus, nous l’avons arraché au “divertissement” de Blaise PASCAL en étant élitaire pour tous. Le divertissement, c’est-à-dire la recherche désespérée d’une consolation face à la difficulté d’être soi, pour échapper à la contingence, à la mort. Nous avons voulu combler ce gouffre de soi-même non par des activités futile (recherche de la notoriété ou de l’enrichissement) mais par une identification à l’espèce humaine, à l’histoire, à la Révolution. Et le faire modestement, comme un honnête ouvrier, devenir un protagoniste timide mais qui aide le metteur en scène à dire ce qu’il a à dire, le mieux et le plus simplement possible. Alors là ça devient estimable. .C’était ça que tu savais : jouer la comédie, être le porteur momentané de ce que l’instant recèle, de l’étreinte qui fatalement se dénoue, la condition humaine, alors dis-moi, l’ego fait-il une fois de plus diversion ou arrive-t-on enfin paisiblement à l’essentiel ? .

Alors peut-être est-ce que l’on meurt de cela, de fermer les yeux et ce n’est pas si difficile puisque l’on n’a plus de contemporain avec qui le partage soit possible. Dans le dialogue qui suit, on peut toujours se dire en matière de consolation que déjà l’interlocuteur de Trintignant André Asséo parait à un certain nombre d’entre nous un sacré imbécile et qu’en revanche Trintignant avec sa réponse ambigüe ouvre d’autres temps. il est dans le futur, et celui-ci est en gestation, mais il n’empêche ces temps là nous ne les verrons pas et ce qui reste à boire de cette période qui est encore là est insupportable, un vide abyssal et la brutalité de ceux qui croient savoir et vous imposent leur ordre du jour futile, seuls ceux qui jouent leur vie s’approchent de ce que nous avons été . (note de danielle Bleitrach dans histoire et societe)

 Dans un livre  « Jean-Louis Trintignant du côté d’Uzès entretiens avec André Asséo » Le Cherche Midi Editeur 2012. Aux pages 146-147, André Asséo l’interroge sur Louis Aragon. Voici le dialogue :

André Asséo – Si tout le monde admet qu’Aragon fut un grand poète, on peut cependant être gêné – même dans La Valse des Adieux  – par tous ses mensonges, en particulier sur le plan politique.

Jean-Louis Trintignant – Ce qui est bouleversant dans ce texte, c’est qu’il en parle. Il reconnaît certaines de ses erreurs. Il était stalinien, et même s’il savait une quantité de choses que nous ignorions, il restait avant tout communiste. “La fin justifie les moyens.” Ce dogme justifie l’attitude d’Aragon.

A. A. – Tu ne penses pas que la responsabilité de l’intellectuel est plus grande que celle exprimée par qui que ce soit d’autre ?

J-L. T. – Je trouve intéressant que ses idées politiques aient guidé Aragon vers une poésie d’autant plus belle qu’elle était nourrie d’opinions profondes, même si elles sont contradictoires. Je trouve l’écriture de Proust magnifique, mais il nous raconte l’histoire d’une bourgeoisie décadente. Personnellement, je préfère Céline, même si ses idées politiques me choquent. Voyage au bout de la nuit remue des sentiments et des idées qui me bouleversent. Et pourtant Céline était sûrement un type détestable, humainement. Si nous avions connu Rimbaud, nous l’aurions certainement trouvé insupportable, sa poésie n’en demeure pas moins magnifique. Il faut différencier l’oeuvre du créateur. Comment se comportaient dans la vie Picasso, Bach, Molière, Van Gogh ? Est-ce vraiment important de le savoir ? André Gide aussi fut communiste.

A. A. – Il n’a pas défendu le goulag, ce qu’Aragon a fait !

J-L. T. – C’est un peu comme le “Pari” de Pascal. Il y a une chance sur mille que Dieu existe. Ce serait la plus belle chose qui puisse arriver. Il vaut donc mieux jouer cette seule chance sur mille et laisser les neuf cent quatre vingt dix neuf autres qui n’ont pas d’intérêt. Je pense que le communisme, c’est ça ! Il était impensable que cette doctrine puisse triompher, mais s’il avait existé la moindre chance de réussite, ça aurait été tellement plus beau que toutes les autres idées politiques et économiques. C’est pour cela que j’ai pensé communiste. Cette idée me plaisait parce qu’elle représentait la solution, et même si je doutais qu’elle fût réalisable maintenant, elle valait la peine d’être défendue.

A. A. – Ne trouves-tu pas que vingt millions de morts pour parvenir à cette solution est un prix un peu lourd à payer?

Jean-Louis Trintignant – Tu as raison, nous ne sommes pas prêts à être communistes. Pas encore, c’est trop tôt !

 

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