Israël - Palestine. Israël et apartheid, l'opinion de Adi Granot
Le discours d’Israël dissimule le véritable sens de l’annexion.
« Adi Granot est la responsable du travail sur le projet d’annexion, à Zulat, un groupe de réflexion militant mettant l’accent sur l’égalité et les droits de l’homme. Elle est auteure et compositrice-interprète, se concentrant sur les relations entre la musique et la politique et est titulaire d’une maîtrise en communications politiques de la LSE (London School of Economics).«
Mon grand-père, Elazar Granot, était l’ambassadeur d’Israël dans l’Afrique du Sud de Nelson Mandela entre 1994 et 1996, juste après la chute du régime d’apartheid. En août dernier, je m’y suis rendue moi-même et j’ai vu de mes propres yeux la réalité due à ce système raciste et discriminatoire et ses épouvantables conséquences à ce jour pour la société sud-africaine, 25 ans après.
« Apartheid » est un terme chargé de sens et complexe et qui a le potentiel de provoquer l’antagonisme.
Par conséquent, et en raison de son absence manifeste de la couverture médiatique générale pendant tout le temps où la question de l’annexion par Israël de certaines parties de la Cisjordanie a figuré en bonne place dans l’actualité, nous à Zulat, groupe de réflexion sur les droits de l’homme, avons publié un rapport sur la manière dont le discours d’Israël dissimule le véritable sens du projet.
Notre rapport examine le déplacement que la notion d’annexion a opéré, des limites les plus extrêmes de la droite messianique à la plateforme politique de tous les grands partis en Israël – en grande partie grâce à cette machine à laver le discours.
Il révèle la pièce bien orchestrée du gouvernement de Netanyahu – soutenu par la plupart des organes de presse – conçue pour cacher à l’opinion publique le fait que l’ancrage de l’annexion dans le droit signifie la transformation d’Israël en un État d’apartheid.
Le fait que nous parlions d’annexion partielle plutôt que d’annexion totale joue un rôle majeur dans ceci. Le caractère limité de la démarche d’annexion ne sert pas seulement à la rendre légitime aux yeux de nombreux Israéliens ; il permet aussi à l’État d’Israël de jouer sur les deux tableaux.
Les projets actuels d’annexion (et essentiellement le projet de Trump) présentent une grande similitude avec le régime d’apartheid en Afrique du Sud, non seulement sur le plan géographique mais surtout en ce qui concerne la nature du régime : l’existence même de Bantoustans, zones résidentielles assignées à la population noire, est ce qui a finalement permis au gouvernement sud-africain d’éviter de donner des droits aux noirs habitant dans le pays, en affirmant qu’ils étaient citoyens des zones soi-disant autonomes. Cela est précisément la façon dont l’annexion partielle permettra à Israël d’avoir à la fois le beurre et l’argent du beurre.
Le projet est d’annexer la Zone C, les blocs de colonies et la vallée du Jourdain, en laissant aux Palestiniens un « État » constitué d’enclaves fragmentées et éloignées dans les Zones A et B.
Ceci permettra à Israël de renoncer à tout sens des responsabilités qu’il pourrait encore avoir à l’égard des millions de Palestiniens qu’il a soumis à l’occupation et à la dépossession pendant 53 ans. En même temps, cela aidera Israël à la fois à maintenir son emprise sur l’ensemble de la terre dont il a rêvé pendant des générations et à veiller qu’aucune entité nationale autre qu’Israël ne puisse jamais exister entre le fleuve et la mer.
Prenons, par exemple, une Palestinienne de Turmus Ayya, situé dans la Zone B à environ 20 kilomètres au Nord de Ramallah. A la suite de la mise en oeuvre d’une telle annexion, à quoi ressemblerait la vie quotidienne de celle-ci ?
D’une part, elle continuera à souffrir d’être privé quotidiennement par Israël de ses droits humains les plus fondamentaux :
- Les soldats israéliens continueront à entrer chez elle en pleine nuit et à « faire la preuve de leur présence » afin de « maintenir le calme dans la région ». Après tout, le village a maintenant une frontière commune avec le (nouvel) État d’Israël.
- A la saison de la récolte des olives, qui est censée subvenir aux besoins de la famille pendant l’année entière, il ne lui sera pas possible d’accéder à leur oliveraie en Zone C, puisque elle leur a été enlevée par expropriation et annexée à Israël.
- A chaque fois qu’elle voudra rendre visite aux membres de sa famille qui habitent dans un autre village de Cisjordanie, elle devra passer par un point de contrôle de soldats en armes, lui rappelant qu’elle ne dispose pas de la liberté de circulation.
- De temps en temps tout son village sera bouclé en guise de châtiment collectif ; toutes les routes reliant l’enclave où elle vit à d’autres seront maintenues sous contrôle israélien ; et si jamais elle doit quitter l’« État » où elle habite pour des soins médicaux, son sort sera encore fixé par un officier israélien.
D’autre part, quel genre de vie cet « État » palestinien pourra-t-il offrir à cette femme de Turmus Ayya ? A quoi ressemblerait l’économie de cette enclave sans souveraineté ? Quel genre de services sanitaires, éducatifs, sociaux et médicaux pourrait-il offrir ? Et qu’en serait-il des cliniques médicales ? de la Sécurité Sociale ? de la collecte des ordures ? des parkings ?
S’il y a quelque chose que la crise du coronavirus nous a appris à tous, c’est que notre bien-être est formé de milliers d’éléments minuscules qui composent nos vies quotidiennes. Il est facile d’oublier combien chacun d’entre eux est important dans le façonnement de notre quotidien.
L’« État » palestinien – composé des restes de l’annexion – n’aura pas la capacité de fonctionner comme un organisme doté de la souveraineté ni d’apporter à ses citoyens les institution, les services et les conditions de vie qui puissent leur permettre de vivre en toute dignité.
Dans de telles conditions, ces enclaves sont destinées à fonctionner exactement comme les Bantoustans en Afrique du Sud pendant le régime d’apartheid : en apparence autonomes et souveraines, mais en fait dans des conditions de vie, politique de séparation et restrictions juridiques, qui les condamneront à une extrême pauvreté et à un manque complet de la capacité de subvenir à leurs besoins, encore moins de se développer, de croître, et de devenir un État qui fonctionne.
L’annexion ne perpétuera pas seulement les continuelles et graves violations et dépossession des droits humains des Palestiniens, mais les renforcera aussi et fera d’elles le principe fondateur du régime israélien. Elle laissera littéralement les Palestiniens dans un territoire n’appartenant à personne – coincés à jamais entre l’État d’Israël, qui les a laissés sans rien, et un « État » palestinien qui n’est pas en mesure de prendre soin de ses citoyens.
Le 1er juillet aurait pu se passer sans qu’aucune mesure ne soit prise, mais la machine à laver le discours continue à fonctionner sans arrêt et à poser les bases – à la fois de façon littérale et figurée – en utilisant des termes tels que « annexion » et « exercice de la souveraineté » afin de dissimuler la tache de ses projets d’apartheid.
Au nom de mon grand-père – qui n’est plus parmi nous mais qui a eu la chance d’être homme politique en Israël à une époque où s’opposer à l’occupation était encore considéré comme une bonne forme de Sionisme – et au nom de mes petits-enfants à venir, je refuse d’être citoyenne d’un État d’apartheid.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT prisonniers de l’AFPS
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