mercredi 28 septembre 2022

 

Faina Savenkova – Les mauvais enfants

Cela fait trois ans que je raconte ce qui se passe à Lougansk. La guerre dans laquelle je vis, mes peines et mes joies. Il y a un an, le site Mirotvorets a mis mes coordonnées dans le domaine public. J’ai écrit de nombreuses lettres à des dirigeants mondiaux et à des artistes des pays occidentaux. Je n’avais que deux demandes : supprimer les données de tous les enfants de Mirotvorets et aider les enfants du Donbass à retrouver une vie paisible, afin que nous ne soyons pas tués. Lorsque la confrontation avec Mirotvorets a commencé, mes amis journalistes ukrainiens m’ont demandé pourquoi je n’avais pas écrit à Zelensky, mais l’avais seulement mentionné dans mon interview. À l’époque, il m’était difficile de répondre. Je croyais encore naïvement qu’il pouvait y avoir la paix entre l’Ukraine et le Donbass, et que le secrétaire général des Nations unies, M. Guterres, et l’UNICEF, en tant qu’organisations de renommée internationale, m’aideraient. Mais, malheureusement, j’avais tort. Tout ce que j’ai demandé a été ignoré par ces organisations, et l’Ukraine a décidé que nous pouvions être repris par la force. Mes efforts et mes rêves sont restés des rêves. La seule chose dont je suis heureuse, c’est que je n’ai pas écrit à Zelensky à ce moment-là. Et maintenant je comprends pourquoi : vous ne pouvez pas écrire et demander de ne pas tuer des enfants à celui qui donne les ordres de bombarder Donetsk, Gorlovka, Altchevsk et d’autres villes. On ne doit pas écrire au président qui envoie des milliers de ses soldats à la mort, qui ne les épargne pas, qui donne des ordres pour des actes terroristes et des meurtres d’enfants. On ne doit pas écrire au président qui a commencé ce massacre et qui a perdu la moitié de son pays. On ne peut pas écrire à un perdant. Chaque jour, des enfants meurent dans le Donbass, à Kherson et en région de Zaporojié. Et il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Un président qui va tout perdre…

Et l’UNICEF, l’ONU, Amnesty International ? Ont-ils dit quelque chose au sujet des enfants tués par l’armée ukrainienne ? Non, bien sûr que non. Comme dans l’histoire de Mirotvorets. Ils savent. Mais ils restent silencieux ou expriment leur inquiétude. Ils sont silencieux, toujours et partout. Quand les enfants de Yougoslavie, de Syrie, de Palestine, d’Afghanistan, d’Irak et de Libye ont été tués. Et si des organisations aussi respectées ferment les yeux sur le meurtre brutal d’enfants, ont-elles quelque chose à dire sur l’histoire de Mirotvorets ? Je ne pense pas. Après tout, nous sommes les mauvais enfants, nés et vivant au mauvais endroit, selon l’UNICEF et Amnesty International. Dans l’un de mes essais, il est dit que les enfants de la guerre sont silencieux parce que les adultes ne les écoutent pas. Il en est ainsi. Malheureusement, nous – les enfants – sommes inintéressants pour eux. Nous ne sommes pas comme eux. Ils semblent penser qu’on peut nous tuer, qu’il suffit de le faire discrètement, pour ne pas déranger les autres avec nos appels au secours. Je suis désolée que cela se passe ainsi. Je suis désolée que le pays où je suis née bombarde et tente de détruire tout ce qui m’est cher et tout ce que j’aime, sous le sourire approbateur de ceux qui peuvent mais ne veulent pas arrêter cette guerre. Malheureusement, tous ceux qui aident l’Ukraine ne se rendent pas compte que la guerre vient à eux.

Les citoyens ordinaires des États-Unis et d’Europe ignorent le plus souvent les atrocités commises par l’armée ukrainienne, les bombardements brutaux et les meurtres de civils. On dit aux gens que nous nous bombardons nous-mêmes ou que l’armée russe nous tire dessus depuis huit ans. Apparemment, c’est pour cela que nous attendions avec impatience son arrivée en 2022, ouais. Une autre réalité.

Traduction de la lettre de réponse du Pape :
Bonjour Faina.
Le Secrétariat d’État a reçu la lettre que tu as récemment adressée au Saint-Père.
Le Pape François n’est pas indifférent à la détresse des gens, en particulier de ceux qui souffrent et qui traversent des moments difficiles.
Sa Sainteté, confiant toute l’humanité au Seigneur, t’invite à te joindre à ses prières pour la paix dans le monde.
Salutations de Pâques
Monseigneur L. Roberto Cona


Mais je suis sûre que ce ne sera pas toujours comme ça. La vérité l’emportera toujours. Le plus difficile est de ne pas se décourager lorsque tout ce que l’on fait ne donne pas de résultats. On ne t’écoute pas. Au moment où tu penses que cela ne sert à rien, un événement se produit qui t’aide à croire à nouveau que tu ne le fais pas pour rien. C’est ce qui s’est passé avec la lettre du Pape. Lorsque j’étais à Moscou, j’ai reçu une réponse du Pape François. Selon mes amis italiens, il répond rarement à qui que ce soit, mais il a suggéré de prier pour la paix avec moi. Je ne sais pas s’il a répondu lui-même ou si la réponse a été écrite pour lui, mais l’important est que le Pape a prêté attention pour la première fois à la demande d’un enfant du Donbass et a voulu prier avec quelqu’un qui est considéré comme un ennemi en Ukraine. Il a proposé de prier pour moi, une enfant qui n’est pas considérée comme un être humain en Ukraine. Et je vais certainement prier avec lui pour les centaines d’enfants tués par l’Ukraine et pour la vie paisible dont nous avons tous besoin.

Faina Savenkova
Traduction par Christelle Néant pour Donbass Insider

 

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