Le roi est nu
La parade impossible.
Il advint que dans un royaume lointain, un monarque s'était de plus en plus isolé dans sa Tour d'Ivoire tandis que ses courtisans, fidèles chiens de garde, ne cessaient de lui répéter que tout allait pour le mieux dans son pays. Les flatteurs de tous poils, visiteurs d'un jour ou bien personnes ordinaires placées sur sa route, lors de ses rares sorties sur son territoire, tentaient vainement de confirmer ce bonheur factice.
Le roi, pour se dégourdir les jambes sans risquer d'entendre les plaintes du peuple, les cris de désespoir ou de rage, parcourait la planète pour y rencontrer des populations bien mieux canalisées ou simplement placées sous l’éteignoir. Il ne se rendait compte de rien, habitué qu'il était depuis toujours de prendre ses rêves pour des réalités tangibles.
Mieux encore, chaque fois qu'il avait à discourir, il se donnait l'impression d'être le maître du monde, le chantre de la modernité et de la quiétude des nations, le donneur de leçon de l'art de bien gouverner. Il recevait une écoute polie de ses collègues qui le laissaient dans son rêve de grandeur. Sa couronne de plus en plus ternie ne modifiait en rien sa morgue, son mépris des gueux et son immense mégalomanie pour la seule distraction de toutes les têtes couronnées de la Planète et l'humiliation de ses sujets, las de ces pitreries honteuses.
Chambellans, valets de pied, Ministres et obligés firent le siège de sa seigneurie pour le convaincre d'inviter en son royaume un homologue afin de profiter de la notoriété de celui-ci pour redorer son blason. Ils prirent cependant bien garde de ne pas donner la raison véritable de ce projet, lui déclarant tout au contraire que sa gloire aller rejaillir sur ce vieux roi qui débutait dans la profession.
Il ne vous surprendra pas que l'idée enthousiasmât ce Prince des paillettes, cette diva de la communication factice, ce roi du faux-semblant. Le monde entier serait suspendu à cette rencontre royale, à cette excursion au sommet à travers un pays en liesse. Les festivités seront grandioses, le faste jamais égalé dans l'histoire des visites d'État. Il fallait dépenser sans compter pour que tout soit parfait. Le roi lui-même aurait dit à son grand trésorier : « Quoi qu'il en coûte, mettez un pognon de dingue dans cette visite pour impressionner le bon peuple ! »
L'autre, qui pourtant avait autrefois dit grand mal de celui qui n'était encore qu'un prétendant incertain, même pas un dauphin adoubé, se plia en quatre pour racler les fonds de tiroir, les caisses et les coffres étant quant à eux totalement vides. Rien n'est jamais trop beau pour jeter de la poudre aux yeux devant les caméras serviles.
Mais, dans le pays sourdait une colère de plus en plus forte. Les rues devenaient le théâtre d'une désolation qui tournait à la détestation. Elles étaient jonchées des reliefs de manifestations qui tournaient parfois à l'émeute. Il était même douteux de pouvoir amasser sur le cortège assez de sujets dociles et admiratifs pour éloigner les cris de tous les autres.
Il fallut bien l'admettre, le roi était nu et ce n'était certes pas dans cet équipage qu'il allait recevoir son homologue. Il convenait de différer en espérant que les choses se calment, que le peuple se lasse, que le soufflet retombe sans que ce jeune monarque irréfléchi ne songeât à faire un geste pour obtenir l'apaisement.
Il chercha un prétexte pour repousser la visite de son homologue. Il n'en eut guère besoin puisque tout débutant qu'il était dans la corporation, le visiteur princier, outré que son voisin puisse le recevoir en bras de chemise ou bien le torse nu, envoya se rhabiller le paltoquet, foutriquet, freluquet selon les termes mêmes de celui qui n'entendait pas mettre les pieds dans cette pétaudière.
Ainsi le roi resta nu dans sa tour d'ivoire tandis que rien ne changea dans ce royaume maudit.
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