mercredi 19 avril 2023

Interview du député Jean-Paul le Coq sur la nouvelle résolution déposée à l’assemblée nationale le 4 mai prochain


Une nouvelle résolution, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe GDR (Gauche démocratique et républicaine) visant à « réaffirmer la nécessité d’une solution à deux États et condamnant l’institutionnalisation par l’État d’Israël d’un régime d’apartheid consécutif à sa politique coloniale » sera débattue et soumise au vote à l’Assemblée Nationale le 4 mai prochain.

Ci-dessous une interview réalisée le 11 avril dernier par l’Agence Média Palestine avec le député GDR de la 8ème circonscription de Seine-Maritime Jean-Paul Le Coq à ce sujet.

Jean-Paul Le Coq

Agence média Palestine : Que pensez-vous de la loi Etat-Nation du Peuple Juif, votée le 19 juillet 2018 par le Parlement israélien, et qui affirme : « l’État israélien est le foyer national du peuple juif, dans lequel il est le seul à pouvoir exercer son droit à l’autodétermination. Il est ouvert à l’immigration juive, et fera tout pour assurer la sécurité des membres du peuple juif. »

M. le Député Jean-Paul Lecoq : Cette loi fait partie des éléments qui ont présidé à la rédaction de notre résolution, et qui permettent de qualifier la politique de l’Etat israélien d’apartheid car elle grave dans le marbre de la loi les critères de la domination d’un peuple sur un autre et la discrimination qui s’instaure dans ce pays de manière légale, ce qui caractérise l’apartheid. L’apartheid s’exprime à la fois dans ses aspects législatifs, mais également par la pratique. Souvent, la pratique d’Israël, depuis sa création, fait qu’il y a déjà une discrimination. Dès lors que ça entre dans la loi, personne ne peut le contester puisque les autorités israéliennes elles-mêmes institutionnalisent l’apartheid.

Vous allez déposer le 4 mai prochain une nouvelle résolution contre l’apartheid israélien, quel impact espérez-vous ?

Dès lors qu’on a déposé cette résolution une première fois sur le bureau de l’Assemblée nationale en juillet dernier, les médias s’en sont emparés. La première réaction à ce projet de résolution a été de dire qu’il s’agissait d’une résolution antisémite. A l’époque, la résolution s’appuyait sur B’Tselem et les ONG qui avaient documenté ce qu’il se passait dans les territoires occupés et en Israël, et peu le voyaient. Un professeur à Sciences Po disait à ce sujet que le procès en antisémitisme cachait le malaise à parler du fond, de la raison d’être de la résolution. Je pense qu’il avait raison. A l’époque on n’a parlé que de ça. On en est sorti quand Hubert Védrine et trois autres anciens Ministres des Affaires étrangères ont fait une tribune qui affirmait que la politique menée par Israël était assimilable à l’apartheid. Quand d’autres intellectuels ont à nouveau fait une tribune sur le même sujet, l’on a pu constater qu’une partie des gens qui réfléchissent et ont une expérience politique, dont Védrine qui a souvent défendu Israël, avaient évolué sur la question. Les choses sont donc à nouveau mures pour pouvoir défendre cette résolution. 

Est-ce que certains députés sont en cheminement vers la reconnaissance de la situation d’apartheid en Israël/Palestine que plusieurs grandes ONG ont déjà documentée ?

Certains députés sont effectivement en cheminement, notre nouveau projet de résolution a suscité de l’interêt mais beaucoup de députés restent sensibles à l’accusation d’antisémitisme. 

Qu’est-ce qui a fait hésiter tant de Députés et de Sénateurs de gauche à signer cette résolution, voire à retirer leur signature après avoir signé ?

L’accusation d’antisémitisme. Parce que c’est insupportable, c’est nous accuser d’être racistes. Il y a également des circonscriptions, des électorats davantage sensibles. Je pense à Strasbourg, Lyon, où une pression forte peut se faire ressentir. 

Effectivement on a déjà vu sur les réseaux sociaux des réactions virulentes et violentes notamment de la droite et l’extrême droite contre cette résolution qui vise avant tout à défendre le droit international. Avez-vous déjà reçu des menaces ?

Je crois que j’en ai déjà reçu, mais je les regarde assez peu. On m’a déjà promis des semaines assez difficiles… J’en reçois de tous les côtés, j’ai reçu des menaces d’Israéliens, de Marocains (ndlr :par rapport au Sahara Occidental). Dès lors que je prends une position politique, je reçois des messages désagréables. 

Comment expliquez-vous ce double standard des Députés et de la diplomatie française visant à ne pas reconnaître les droits fondamentaux du peuple palestinien, contrairement à d’autres peuples ?

J’ai toujours eu un problème : l’Assemblée nationale a reconnu l’Etat palestinien par un vote sous la présidence de François Hollande en 2014 et le pouvoir en place, qui a l’appui de l’Assemblée, pourrait s’appuyer sur un vote de l’Assemblée nationale pour s’opposer à l’apartheid israélien. Les votes comme celui de 2014 ont pour objectif d’aider l’exécutif à essayer de sortir Israël de cette situation dans laquelle il mène une politique toujours plus dure, du moins à ne pas en être complice. Les valeurs de la France et de son peuple ne devraient pas permettre que l’on soit complices de cela. 

Je me refuse à faire une association d’idées entre la situation en Israël et en Ukraine  mais le fait qu’il y ait deux poids deux mesures à l’échelle internationale quant au respect des résolutions est avéré. Pourquoi dans un cas les sanctions sont-elles appliquées, et dans l’autre, rien depuis des décennies ? Cela sème l’incompréhension parmi ceux qui suivent la vie politique, et nous rendent complices, par notre soutien aveugle, de la politique israélienne. Je propose aux députés d’ouvrir les yeux, et de voir ce qu’il se passe, sans avoir de haine pour Israël, sans agresser le peuple israélien et les Juifs. On rappelle même que les deux Etats ont le droit d’exister, ça n’est pas un peuple contre l’autre avec un choix à faire. Notre groupe fait le choix de deux Etats. 

L’une des tactiques employées par les relais du régime israélien d’apartheid et notamment à l’Assemblée nationale est de faire adopter la définition biaisée de l’antisémitisme de l’IHRA et ses exemples. Allez-vous y faire référence dans la résolution ? 

Je ne le ferai pas parce que cette résolution n’est pas sur l’antisémitisme. Cette résolution n’a pas pour objectif de qualifier l’antisémitisme, d’autant que le temps est chronométré à l’Assemblée nationale. Mais par le passé, à l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, un député allemand avait proposé à l’Assemblée que toute critique d’Israël devait être assimilée à de l’antisémitisme. Toute la délégation française, tous partis confondus, avaient voté contre au motif que c’était une atteinte contre la liberté d’expression, ce qui n’a pas empêché cette définition d’être adoptée. Juste après cette délibération, Stéphane Hessel devait intervenir à la Sorbonne – intervention qui a été interdite car il critiquait la politique israélienne. 

Êtes-vous en relation et en coordination sur cette problématique avec d’autres parlementaires de l’Union Européenne ?

Non, je l’étais quand j’étais membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et de l’OSCE. Au Conseil de l’Europe, Israël était d’ailleurs membre observateur. Cela me permettait de diffuser la critique de la politique israélienne en Europe et au-delà, ce qui est beaucoup plus compliqué depuis que je suis Député à l’Assemblée nationale française. 

Pensez-vous que l’état du débat actuel sur l’apartheid israélien en France est en retard par rapport aux autres pays de l’Union Européenne ?

Oui, par rapport à d’autres pays comme l’Irlande par exemple. D’autres pays osent réagir à la politique menée par Israël. Je dis souvent au Ministre des Affaires étrangères « ce sont vos amis, dites-leur ce que vous pensez ». Lors de mon premier mandat, je suis allé en Israël après l’opération plomb durci, et j’ai rencontré Ehoud Olmert, le Premier ministre. Je lui ai dit « nous avons visité Gaza, nous avons tous vu la même chose ; l’hôpital, les bombes. L’utilisation de ces armes est un crime. Je sais qui est terroriste sur ce territoire. Je sais que votre fils fait ses études à Paris, j’espère que quand vous viendrez le voir vous serez arrêté à la sortie de l’avion pour que vous soyez jugé pour crime contre l’humanité ». Il s’est mis dans une colère froide, et a répondu « quand Israël se défend, le monde entier est contre Israël. Mais sachez que la prochaine fois que nous agirons, vous entendrez les Palestiniens hurler jusqu’au Pôle nord jusqu’à ce que vous ne les entendiez plus ». 

A la fin, il a tenu à me serrer la main, apparemment parce qu’il considérait que j’étais le seul qui avait vraiment dit ce qu’il pensait.  

Après cette résolution, envisagez-vous de prendre d’autres initiatives avec d’autres parlementaires français et/ou européens, notamment pour faire avancer la demande de sanctions pour faire respecter le droit international ?

Nous avons reconstitué le groupe d’étude France-Palestine au Parlement, donc nous prendrons des initiatives dans le cadre de ce groupe, pour que ce soit transpartisan. Le fait de parler de cette résolution aide aussi ceux qui luttent au quotidien pour défendre les Palestiniens, le droit international et la paix. Beaucoup d’ONG en France attendent que des actes politiques de cette nature les soutiennent, les accompagnent. Les prises de parole que nous prenons font partie de cela.

 

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