Des lumières dans la nuit par Pierre Ouzoulias Sénateur
Entre
l’hypocrisie de l’extrême-droite pour masquer son racisme et la
confusion intellectuelle à gauche entretenue par des positions outrancières, ci-dessous, le texte lumineux du sénateur communiste Pierre Ouzoulias
"À
l’Est, chaque jour accueille son cortège de morts toujours plus
nombreuses. Israéliennes d’abord, victimes des atrocités commises par
les terroristes du Hamas le 7 octobre. Palestiniennes ensuite, victimes des opérations déclenchées par l’armée israélienne dans la bande de Gaza. En
France, l'antisémitisme connaît une recrudescence insupportable et la
raison semble avoir déserté pour de bon le débat public. Que faire ?
L’air est irrespirable. À
l’Ouest, la raison semble avoir déserté pour de bon le débat public.
Des étoiles de David ont été taguées à Paris, dans les Hauts-de-Seine et
en Seine–Saint-Denis, ce qui nous a immanquablement rappelé les
périodes les plus sombres de notre histoire, durant lesquelles notre
République s’est suicidée pour laisser la place aux idées les plus
macabres. De manière générale, le ministère de l’Intérieur note une
recrudescence très inquiétante des actes antisémites, que certains
imputent avec grande violence et sans la moindre preuve, à nos
compatriotes de confession musulmane.
Au
milieu de ce marasme politique, propice aux invectives en tous genres,
je me demande, non sans vertige, à quoi je peux bien servir, moi, petit
parlementaire communiste des Hauts-de-Seine. Mon introspection est
d’autant plus grande que je me sens investi d’une charge particulière en
tant que petit-fils d’un illustre résistant et mari d’une femme
libanaise qui a vécu dans sa chair les atrocités de la guerre.
Que
puis-je faire dans cette période où tout semble confus et sacrifié sur
l’autel de la petite phrase, carburant inépuisable des chaines
d’information ? La première réponse qui me vient m’incite à rappeler
quelques évidences et à dresser des perspectives politiques.
La
première évidence consiste à affirmer que le Hamas est une force
terroriste islamiste dont la vocation n’a jamais été de parvenir à la
paix, mais bel et bien de contraindre tous les acteurs israéliens et
palestiniens qui ont voulu s’inscrire dans cette voie. Demandez-vous
donc pourquoi le Hamas s’est systématiquement trouvé du mauvais côté de
la barrière, notamment lors du processus d’Oslo, parfois avec la
complicité de responsables israéliens et arabes, qui ont compris que le
terrorisme islamiste constituait la planche de salut d’une politique
colonisatrice contraire aux résolutions de l’ONU. Le Hamas est un
mouvement antisémite, phallocrate, homophobe et fondamentalement
anti-lumières. Il faut le dire et le répéter jusqu’à plus soif. C’est un
devoir moral que nous avons vis-à-vis de nos valeurs universelles, mais
aussi vis-à-vis des Palestiniennes et des Palestiniens qui sont
aujourd'hui captifs de tous les extrémistes : ceux du Hamas et ceux de
l'extrême droite israelienne, laquelle se réjouit des frappes
destructrices en cours à Gaza.
Car de la première évidence dépend la deuxième évidence, dont je crains hélas qu’elle devienne de plus en plus minoritaire. Fidèle
à une tradition gaullo-mitterandienne, notre pays revendique une
solution à deux États, laquelle est la seule souhaitable pour les
peuples israéliens et palestiniens. Elle est l’unique garantie de la paix dans cette région du monde soumise aux plus grandes instabilités géopolitiques.
Le
conflit israélo-palestinien n’a rien de civilisationnel comme voudrait
le faire croire une extrême droite qui se réjouit, tel un croque-mort,
du profit qu’elle pourrait tirer de cette situation dramatique. Il
est d’ordre politique et se réglera comme tel. Je ne demande pas à
Emmanuel Macron de parler plus fort que les autres. Je souhaite qu’il
parle mieux. Qu’il le veuille ou non, en tant que chef de
l’État et titulaire des prérogatives diplomatiques, c’est à lui qu’il
revient de poser les mains sur le fil d’or de notre histoire
internationale. En son temps, Dominique de Villepin avait prononcé un
discours qui avait fait notre fierté collective à propos du refus de la
France de mener la guerre à l’Irak. Nous sommes en droit d’attendre une
initiative de ce type qui nous distinguerait aux yeux de tous, à
commencer par toutes les forces progressistes du Moyen-Orient, en
particulier palestiniennes, laissées depuis trop longtemps à l’abandon
par des occidentaux obsédés par la satisfaction de leurs propres
intérêts.
Libération
des otages, cessez-le feu, émergence d’un processus politique pour
aboutir à la création de deux États. Voici le cahier des charges que le
peuple français a confié à Emmanuel Macron. Il doit le respecter.
La
troisième évidence concerne la montée de l’antisémitisme en France et
la place que la gauche doit jouer pour lutter contre ce fléau. J’aime le
rappeler à ceux qui m’entourent : je suis membre d’un parti qui a
souvent été amalgamé par l’extrême droite sous le doux nom de «
judéo-bolchevique ». Jeune, je militais avec mon père dans des sections
communistes composées pour moitié par des camarades de confession juive.
C’était une période durant laquelle l’extrême gauche comptait parmi ses
leaders des personnes telles que Alain Krivine, Henri Weber et Daniel
Bensaïd, dont il était dit, non sans humour, que les deux premiers
parlaient yiddish afin que le troisième ne les comprenne pas.
Eux
se revendiquaient de Trotsky, juif ukrainien, tandis que nous avons
tous été baignés dans l’eau du marxisme, issue de la pensée d’un immense
intellectuel juif — aux écrits parfois plus que virulents à l’endroit
de la religion — dont le grand-père était rabbin.
Bref,
il n’y a pas si longtemps encore, la gauche pouvait se targuer d’être
la maison d’accueil de nos compatriotes de confession juive qui
considéraient, à raison, qu’elle serait toujours présente à leurs côtés
pour empêcher que les horreurs de la Shoah ne se reproduisent un jour.
C’était
leur honneur et le nôtre de penser ainsi. Parce qu’il n’y a pas de
République française sans les juifs de France. C’est aussi simple que
cela. C’est une leçon héritée de la Révolution française et de l’abbé
Grégoire. Nos illustres ainés se sont souvenus de ce leg historique au
moment de l’affaire Dreyfus, au cours de laquelle la gauche a fait le
choix de l’universalisme et de la lutte contre le racisme et
l’antisémitisme, quand l’extrême droite elle se noyait dans les rivières
du racialisme. La gauche était aux côtés de Léon Blum — insulté en tant
que juif par Xavier Vallat au perchoir de l’Assemblée nationale le 6
juin 1936 — quand celui-ci manqua de se faire tuer par des camelots du
roi durant les obsèques de Jacques Bainville. Elle était du côté des
justes et des résistants pour défendre les juifs des griffes de la bête
immonde. Tout comme les juifs furent très nombreux au sein des FTP-MOI
pour libérer notre pays du joug nazi et vichyste.
Elle
a pleuré les morts de l’attentat de la rue des Rosiers, celle d’Ilan
Halimi, séquestré, torturé et tué parce que juif. Des enfants juifs
assassinés par Mohamed Merah. Des victimes juives de l’infâme Coulibaly à
l’hypercasher de la porte de Vincennes.
C’est notre histoire. Une histoire conforme avec nos valeurs. Nous
devons la revendiquer avec force, sous peine d’entretenir des
confusions intellectuelles dont les conséquences politiques commencent à
se ressentir. Ainsi, à force d’atermoiement, la gauche a fini
par se rendre inaudible sur ce sujet, tandis que Marine Le Pen, à la
tête d’un parti fondé par un Waffen-SS, s’est fait applaudir pour son
discours « républicain » à propos de l’antisémitisme. C’est à vomir.
La gauche à laquelle j’appartiens est profondément laïque, universaliste et fraternelle.
Elle se tient aux côtés de tous ses enfants. Suivant les mots de Frantz
Fanon, elle dressera l’oreille quand elle entendra dire du mal d’un
juif. Elle se lèvera aussi à chaque fois qu’un ou une de nos
compatriotes de confession musulmane se fera insulter ou discriminer en
raison de sa religion ou de son origine.
Il
s’agit du lot de beaucoup de trop de personnes en France et je m’étonne
encore que certains de nos amis se rendent sur C-News alors que cette
chaîne n’a qu’un seul objet éditorial : renouer avec les croisades en
déversant de la haine à l’encontre des Françaises et des Français de
confession musulmane.
La
République française se conjugue avec le judaïsme, comme elle finira
par se conjuguer intégralement avec l’islam. Je n’ai absolument aucun
doute à ce sujet parce que je sais de quelle intelligence collective
notre peuple est dotée. Je crois aussi énormément dans la
capacité extraordinaire de la laïcité à maintenir la concorde et à créer
du commun, à condition, bien évidemment, que nous soyons tous sur le
pont pour la défendre.
C’est à la gauche qu’il revient d’effectuer ce travail politique.
Pour ce faire, nous devons garder le cap de l’égalité des droits.
Égalité des droits au sein de notre République laïque et sociale, en
brisant le néolibéralisme et en impulsant des politiques sociales
d’envergure capables de redonner à chacune et à chacun les outils de son
émancipation et le goût de la fraternité. Égalité des droits entre les nations, pour que les peuples israéliens et palestiniens vivent en paix.
C’est tout un programme. De quoi respirer un peu.
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