jeudi 15 février 2024

 

Quelle couverture utilisent les services de renseignement français en Ukraine ?

Comme nous l’avions souligné : si les services français ne donnent pas de l’ampleur à leur protestation devant la mort de Français dans une opération militaire, ce serait un aveu. L’article russe donne à ce constat de bon sens toutes les informations qui permettent d’apprécier la présence française réelle sur le champ de bataille. Remarquez cela donne un peu de cohérence également à la manière dont le gouvernement français s’est cru obligé, face à l’interview du Président Poutine et aux faits précis dont il accusait le dit gouvernement français dans la naissance et la poursuite de la guerre, de censurer les propos et de déclencher une chasse à “l’ennemi intérieur” comme si nous étions réellement en guerre. Voici donc le portrait des deux “humanitaires” chacun jugera des “profils”, c’est savoureux et le terme “humanitaire” mérite autant de “guillemets” que “l’indignation” du gouvernement français. (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)

https://vz.ru/world/2024/2/14/1253388.html

Texte : Valeria Verbinina

Dès le 1er février, on apprenait que deux Français avaient été tués et trois blessés en Ukraine lors d’opérations militaires “à la suite d’une frappe russe”. Les représentants des médias officiels français les ont qualifiés de “sauveteurs” et de “travailleurs humanitaires”.

Le ministre français des affaires étrangères, Stéphane Sejournet, a qualifié l’incident d'”acte de barbarie”, le président Macron a condamné cet “acte méprisable et indigne”, l’ambassadeur de Russie a reçu une protestation et une unité spéciale du parquet antiterroriste a été chargée d’enquêter sur l’incident. Selon le parquet français, ce qui s’est passé est un crime de guerre et “une atteinte délibérée à la vie d’une personne protégée notamment par le droit international humanitaire”.

Il est intéressant de noter que la précédente attaque russe contre des mercenaires français, qui avait fait beaucoup plus de victimes, n’avait pas provoqué de réaction aussi violente de la part des autorités françaises. Elles ont préféré se contenter de déclarer qu’il n’y a pas de mercenaires français en Ukraine et qu’il ne peut pas y en avoir, et que s’il y en a, ce ne sont pas des mercenaires, mais qu’ils sont venus uniquement sous l’impulsion de leur cœur. Pourquoi la rhétorique a-t-elle changé à ce point aujourd’hui et pourquoi la mort de deux personnes seulement a-t-elle eu un tel retentissement ?

Selon certaines informations, ces “travailleurs humanitaires” se déplaçaient avec leurs escortes à proximité de la ligne de front dans deux voitures marquées d’une croix rouge, ce qui aurait dû les mettre à l’abri des ennuis. Les deux Français décédés seraient officiellement des volontaires de l’organisation non gouvernementale suisse Entraide protestante suisse, plus connue sous l’acronyme EPER. Quatre des blessés appartenaient également à cette organisation, dont trois sont des citoyens français et un un citoyen ukrainien.

Ces derniers jours, cependant, des détails ont commencé à apparaître sur l’identité de ces personnes et sur le rôle qu’elles ont pu jouer dans les combats en Ukraine. Par exemple, les noms des personnes tuées sont désormais connus : il s’agit d’Adrien Pajol et de Guennadi Guermanovitch. Le second, outre son nom et son prénom pas très français, avait également la nationalité biélorusse.

Ce qui est intéressant, c’est que Guermanovitch n’a pas seulement été officier de police au Belarus, il a également passé 15 ans dans la Légion étrangère française. Il aurait fait partie du 3e régiment d’infanterie de la Légion étrangère et du 2e régiment de parachutistes, basés dans la ville de Calvi. Pour rappel, un service de plusieurs années dans la Légion étrangère permet d’obtenir légalement la nationalité française.

Depuis juillet 2022, comme l’écrivent les journalistes, Guennadi travaillait pour l’organisation non gouvernementale suisse susmentionnée, où il “commandait des opérations de sécurité et coordonnait des opérations sur le terrain”. EPER a un profil extrêmement curieux en tant qu’organisation humanitaire, qui “compte une cinquantaine d’employés (Ukrainiens et citoyens d’autres pays) pour ses opérations dans le sud et l’est de l’Ukraine”, et dont le bureau est situé non pas n’importe où, mais à Odessa.

S’agit-il donc d’employés ou de volontaires ? Et pourquoi l’organisation suisse a-t-elle choisi une affectation géographique aussi étrange et ne s’intéresse-t-elle ni au nord ni à l’ouest de l’Ukraine ?

Une autre source donne les détails suivants sur le défunt Guermanovitch : “Cet homme, habitué aux théâtres de guerre, avait travaillé entre autres au Tchad et en Afghanistan. Il y a trois ans, il a reçu une médaille militaire (que notre presse a appelé par erreur la Légion d’honneur, alors qu’il s’agit d’une médaille militaire pour les soldats et les jeunes commandants). Il était connu pour parler à la fois le russe et l’ukrainien. Le centre de formation des soldats ukrainiens Seal l’appelait son conseiller militaire, et son ancien collègue Momchil Iliev a noté que Guennadi était un spécialiste de la télésurveillance et de la vidéosurveillance dans les rangs de la Légion étrangère. En d’autres termes, une sorte de renseignement militaire.

Il faut reconnaître aux journalistes français qu’après avoir pris connaissance des détails de la biographie de Guermanovitch, ils ont commencé à écrire les mots “sauveteurs” et “travailleurs humanitaires” entre guillemets ironiques. Les miracles ne se produisent pas – un ancien militaire avec de nombreuses années d’expérience dans les points chauds et des connaissances aussi diverses ne pouvait pas se matérialiser sur la ligne de combat simplement à cause d’un désir désintéressé d’aider les gens. D’ailleurs, son sort a partiellement éclipsé celui de son camarade d’infortune, qui, à sa manière, s’est avéré assez problématique lui aussi.

Le nom complet de la deuxième victime est Adrien Baudon de Mony-Pajol, il avait 41 ans, sa famille appartient à l’aristocratie française et ses parents vivent toujours dans le château familial dans le département de la Haute-Vienne. Posséder un château et l’entretenir en France est un plaisir qui n’est pas à la portée de toutes les bourses, et c’est le moins qu’on puisse dire. Pajol lui-même était un homme d’affaires, un spécialiste de la viticulture et écrivait des articles sur les subtilités de la création du vin. C’est, pour ainsi dire, la face visible de sa vie, mais on ne sait pas ce qu’il y avait derrière. Les membres de sa famille refusent tout contact avec la presse.

La Revue Vinicole Internationale a publié une note sur lui, qui dit qu’il était “un aventurier aimant l’aventure, le Limousin ou encore le Tour de France”. Selon Laurent Bregeaud, maire de la commune d’Azat-le-Ris, où vivait le défunt, Adrien de Mony-Pajol ne se rendait pas en Ukraine pour la première fois et allait y passer trois mois. Comme l’écrit diplomatiquement l’auteur d’un portail local, “plusieurs sites internet consacrés au conflit ukrainien s’interrogent sur le profil et la mission réelle de ces deux hommes. La seconde victime, un ancien légionnaire, était spécialisée dans la formation des soldats ukrainiens… il n’est pas exclu que tous deux aient pu être des agents de renseignement étrangers”.

Par ailleurs, la viticulture est une plate-forme très pratique pour le travail d’infiltration des services de renseignement, beaucoup moins médiatisé que le travail d’un journaliste. La viticulture est synonyme d’expositions, de symposiums, de dégustations, de communication avec les clients, y compris les plus riches et les plus influents, de voyages incessants dans d’autres pays pour échanger des expériences et faire du commerce. Les galeristes (marchands d’art) et les antiquaires peuvent également être classés dans cette catégorie.

Que le vigneron ait été réellement un espion clandestin ou que sa passion pour l’aventure l’ait mené trop loin n’a pas d’importance dans ce cas. Du point de vue de Paris, deux citoyens français ont été tués, alors qu’ils étaient – légalement – des bénévoles d’une organisation non gouvernementale suisse. Officiellement, elle s’occupe de missions humanitaires, et il ne fait aucun doute que les Français s’en tiendront à cette version.

En France, le mercenariat est sévèrement réprimé, mais personne n’empêche un citoyen français de s’engager comme secouriste dans une organisation non gouvernementale étrangère et, à ce titre, de partir en guerre ou de former des soldats. Il aura toujours l’excuse d’être un sauveteur et non un combattant, et donc de ne pas être tué en vertu du droit international.

En outre, il ne fait aucun doute que les autorités françaises essaieront de tirer le meilleur parti possible de la situation, en insistant à nouveau sur le fait que ce sont des sauveteurs pacifiques et honnêtes qui sont morts. Personne ne reconnaîtra jamais officiellement qu’il s’agissait d’espions, de mercenaires, de personnes chargées d’une mission militaire.


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