lundi 27 mai 2024


La confiscation des avoirs russes entraînera l’effondrement du système financier occidental, par Dmitri Skvortsov

Encore un texte fondamental qui témoigne des contradictions dans lesquelles se débat le monde capitaliste occidental puisque l’exercice des instruments de sa puissance sur le monde, son monopole financier à travers le dollar comme d’ailleurs l’armée la plus puissante du monde ne se maintiennent tels que dans un usage dont ils sont incapables désormais. (note de danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)

https://vz.ru/opinions/2024/5/22/1269155.html

Les institutions financières supranationales mettent en garde les gouvernements occidentaux contre le risque de confiscation des avoirs russes. En avril, Christine Lagarde, directrice de la Banque centrale européenne, a fait une déclaration dans ce sens. La confiscation et l’utilisation ultérieure des avoirs russes gelés “doivent être abordées avec beaucoup de prudence”, a déclaré Mme Lagarde. De telles actions pourraient modifier l’ordre international “que l’on veut protéger et que l’on voudrait voir respecté par la Russie”, a-t-elle ajouté.

La directrice de la communication du Fonds monétaire international (FMI), Julie Kozak, a exprimé la même position à la mi-mai. Elle a déclaré que les projets des pays occidentaux d’utiliser les avoirs russes gelés pour soutenir l’Ukraine pourraient saper le système monétaire mondial. “Il est important pour le Fonds, a-t-elle expliqué, que toute action entreprise repose sur une base juridique suffisante”.

Il convient de souligner que des lances se brisent actuellement sur le sort de ce que l’on appelle les actifs souverains. En d’autres termes, il s’agit des réserves d’or et de devises étrangères appartenant à l’État russe et détenues sur des comptes de banques étrangères ou dans des organismes de compensation et de règlement. Jusqu’à récemment, les biens des sociétés et des entrepreneurs russes étaient susceptibles d’être confisqués ou nationalisés. Mais fin avril, la Chambre des représentants des États-Unis a approuvé une loi autorisant le président à confisquer les avoirs gelés de l’État russe en faveur de l’Ukraine.

Il s’agit de la propriété d’un autre État, qui était jusqu’à présent considérée comme protégée par l’immunité. En outre, dans le pire des cas, aux États-Unis, 7 à 8 milliards de dollars seront confisqués. Il est peu probable que ce montant aide l’Ukraine de manière significative. Mais les États-Unis augmentent la pression sur leurs alliés, prévoyant de prendre une décision similaire dans le cadre du G7 et de l’UE. En adoptant cette loi, les États-Unis poussent également l’UE, où plus de 200 milliards de dollars d’actifs russes sont gelés.

Incapables de contester directement la décision des législateurs des États souverains, les institutions financières internationales insistent sur la nécessité de décisions judiciaires appropriées pour confisquer les avoirs d’autrui. Cependant, il n’y a pas eu de précédent en ce qui concerne les avoirs d’États étrangers. Les exemples de confiscation de biens souverains appartenant à un État ne se sont produits dans l’histoire qu’après la reddition d’un pays vaincu. Mais jusqu’à présent, l’Occident collectif prétend soigneusement qu’il n’est pas en guerre avec la Russie. Et il ne peut être question de capitulation que venant du régime Zelensky.

Inquiétudes du FMI

Le Fonds monétaire international est une structure supranationale indépendante (du moins extérieurement), l’institution financière clé du système de Bretton Woods. Son indépendance est, bien entendu, relative. Les États-Unis, les pays de l’UE, le Royaume-Uni et le Japon contrôlent ensemble plus de 55 % des voix au sein du FMI. Dans la plupart des cas, cela suffit pour que le FMI prenne des décisions qui conviennent à l’Occident.

Mais aujourd’hui, les dirigeants du Fonds estiment que son avenir est menacé. L’économie mondiale, malgré tous les problèmes de ces dernières années, existe toujours. Le système financier mondial existe également (même s’il traverse une crise). Le FMI est responsable de l’interaction avec les autorités financières des États. Le Fonds peut influencer les banques centrales nationales de deux manières : soit en poussant à l’adoption de normes communes, soit en accordant des prêts aux pays sous certaines conditions. L’Occident utilise le FMI précisément comme un outil pour établir les règles du jeu dont il a besoin sur le marché financier ou pour soumettre financièrement ses concurrents.

Pour fonctionner avec succès, le Fonds monétaire international a besoin d’un espace économique commun, d’un environnement dans lequel il peut émettre des prêts et en recevoir le paiement. Le FMI a toujours travaillé avec les dettes et les réserves de différents pays. Mais le désir de ces pays de recevoir un prêt du FMI ou de placer leurs réserves en devises à l’étranger diminuera fortement si l’idée de confisquer les actifs russes se concrétise. Quelles garanties y a-t-il pour les prêts si les avoirs que l’État a accumulés sur des comptes à l’étranger peuvent soudain être purement et simplement saisis pour des raisons politiques ?

La confiscation des avoirs russes pourrait modifier fondamentalement la stratégie de nombreux États visant à créer un coussin financier pour leur propre sécurité. L’abandon de la pratique actuelle entraînerait une réduction significative du champ d’action du Fonds monétaire international. Cela signifierait une forte diminution du rôle du FMI en tant qu’instrument de la pression financière de l’Occident sur le reste du monde.

Préoccupations de la BCE

La BCE est responsable de la politique monétaire dans la zone euro et est le macro-régulateur financier de l’UE. Sa protestation contre l’éventuelle confiscation des avoirs russes est due en partie à des considérations similaires et en partie à des considérations tout à fait différentes.

L’ébranlement de la confiance sur les marchés financiers européens, qui suivra inévitablement la confiscation des actifs souverains russes en Europe, est l’une des raisons pour lesquelles Christine Lagarde s’oppose à une telle décision. La nationalisation des actifs des entreprises russes et le gel des biens des hommes d’affaires russes ont déjà eu un impact négatif sur le climat d’investissement en Europe. À cela s’ajoute la crise économique, renforcée par le renoncement à l’énergie russe bon marché. À cela s’ajoute la politique de Washington visant à attirer les grandes entreprises industrielles de l’Europe vers les États-Unis. Tout cela a conduit à une grave crise de l’économie européenne. L’Allemagne, ancienne locomotive de l’Europe, a vu son PIB diminuer pour la première fois depuis de nombreuses années.

La confiscation des actifs souverains russes pourrait encore aggraver la situation de l’UE. Et ce n’est pas dans un avenir lointain, en raison de la baisse de confiance en Europe. Les choses pourraient se produire rapidement, dans les mois qui suivent la confiscation.

Aujourd’hui, la majorité des actifs russes dans l’UE sont des obligations d’État européennes détenues par EuroClear. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’argent libre qui peut être canalisé vers le budget ukrainien ou pour payer des livraisons d’armes à l’Ukraine. Cet argent travaille déjà dans l’économie européenne. Et si le transfert d’actifs russes vers l’Ukraine a lieu, il sera nécessaire de vendre ces obligations pour dépenser cet argent. La vente d’un si grand nombre d’obligations fera chuter leur cours (et augmentera donc simultanément le taux d’intérêt auquel il sera possible d’emprunter à l’avenir, lorsque les prochaines obligations seront placées). L’Europe aura d’énormes problèmes financiers. Et la capacité de la BCE à les résoudre semble très douteuse.

C’est pourquoi la Banque centrale européenne attend avec impatience la réunion du G7 sur le sort des actifs russes et insiste sur la nécessité d’une décision de justice, tout en sachant qu’il n’existe aucune base juridique pour une telle décision. La pression politique exercée par l’Occident sur la Russie a acculé au bord d’une crise colossale – non pas Moscou, mais les plus grandes institutions financières de l’Occident lui-même.


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