Je comprends Mathieu Kassovitz, ce qui est infligé par cette campagne électorale est d’une violence incroyable…
À quelques semaines du premier tour des élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet, j’entends parfaitement non seulement avec ma raison, mais avec toute ma sensibilité, écorchée vive, ce que dit Mathieu Kassovitz. Surtout si l’on considère là où il parle, à savoir dans les latrines de la propagande ordinaire, celle des “élites politico-médiatiques ordinaires”, là où s’ose la narration partagée par toutes les forces politiques qui se présentent à mon suffrage, à savoir LCI. Invité dans l’émission de Darius Rochebin sur LCI, ce samedi, l’acteur et réalisateur Mathieu Kassovitz a dit avoir « toujours été un peu dans l’attente de l’arrivée du Front national au pouvoir, pour voir quelle est la vraie réaction des Français ». Oui, il dit vrai, je perçois cette attente, celle du héros du château de Kafka devant cette porte qui n’était que pour lui puisque jamais il n’y a eu une tentative politique pour l’ouvrir. A la seule différence près que je ne me méfie pas des Français, même de la plupart de ceux qui vont voter pour le Rassemblement National, mais de l’offre politique qui leur est faite et de l’incroyable violence que l’on subit dans cette étrange campagne qui exprime le pire…
Pour Mathieu Kassovitz, “peut-être que le FN a sa place en France”. Mais le plus intéressant est la manière dont comme dans le festin de Don Juan, il convoque le peuple français pour un ultime salut avec le “commandeur” en vue de sa damnation.
Je comprends qu’il soit là au bout d’une attente, celle de l’enfant gibier puisque moi je suis née en 1938 et j’ai vécu la traque, la peur dans le ventre, le cœur de mes parents sans savoir que cela pouvait être autrement. Toute ma vie j’ai fait le même cauchemar : les nazis venaient m’amener dans un camp de concentration et soit je prenais la place au comble de l’angoisse mais sans me rebeller dans une longue file d’attente, soit j’essayais de fuir mais mes jambes ne me portaient plus… effectivement toute ma vie j’ai vécu dans cette attente… Peut-être que le fait d’être juif, comme l’explique Mel Brooks dans un texte que je publie par ailleurs, c’est simplement être cousu d’enfance et s’être bâti dans cette étrange prescience de savoir qu’il faut faire à temps un pas de côté, apprendre la même fuite dans un monde en éternel bouleversement mais qui vous convoque à des rendez-vous, il faut affronter mais aussi biaiser… Alors que mon engagement de communiste m’invitait à faire face dans un collectif aguerri… que reste-t-il quand celui-ci a disparu ?
« Est-ce qu’on est toujours le pays des droits de l’Homme ou est-ce qu’on est autre chose ? Peut-être qu’on est devenu autre chose et il faut accepter cela aussi », a-t-il questionné. « Peut-être que le FN a sa place en France, peut être qu’ils vont faire un meilleur boulot, peut être que c’est quelque chose à essayer », a-t-il encore appuyé.
Comment en arrive-t-on à ainsi baisser les bras ? Je veux d’abord dire la violence que je subis individuellement pas dans la rue, là c’est autre chose, des moments rarissimes et toujours de ceux qui prétendent faire campagne et qui sont à de rares exceptions près complètement autistes, n’écoutent pas mais plaquent sur vous leurs fantasmes. Ce qui est la violence c’est la destruction du collectif, les communistes et avec eux la Nation qui se transforme en choix pétainistes, une sorte de réalisme imposé…
Quelques exemples de ce que l’on fuit tant l’explication s’avère inutile : ce type qui avec d’autres, comme José Fort, sont semble-t-il proches de mes combats mais m’insultent depuis des années gratuitement pour des raisons diverses parce que ça leur permet de sortir leur haine, haine de quoi, de qui, je ne suis que le porteur momentané. Pourquoi ces gens-là ont-ils fait de moi cette caricature et qu’est-ce qui les autorise à me traiter ainsi ? Pourquoi est-ce que je le relie cette attitude à l’antisémitisme, à cause de l’économie de la preuve, de la part du conformisme lâche… Hier un individu dont j’ignore tout du nom de Franck Delorieux, sauf qu’un jour j’ai détesté ses photos prises à Hammamet. J’ignorais que j’avais à faire face à l’auteur qui en n’écoutant pas mes arguments a préféré en déduire que j’étais homophobe. Alors que j’aurais également détesté ces clichés représentant un adolescent alangui dont le drapé révèle la raie des fesses s’il avait été de sexe féminin. Depuis j’ai vu une autre exposition de lui sur les “vanités” qui m’a paru plus intéressante. Mais sans vraiment m”y attacher plus que ça… Le fait est que donc ce personnage depuis des années s’obstine à me haïr et tente de le faire sur des bases qui me sont totalement étrangères sans jamais avoir la curiosité de dépasser cette haine commode, comme dans l’antisémitisme, le racisme et toutes les formes de stigmatisation qui transforment un individu en espèce. Il y a cette rencontre initiale mais il navigue dans un microcosme favorable celui de la région parisienne, de la ville de Paris et de ses environs qui est un microclimat n’ayant pas grand chose à voir avec la réalité du territoire français, il suffit de voir les résultats électoraux qui n’ont pas le moindre rapport avec le reste du pays. Un monde dont effectivement j’apprécie rarement les “oeuvres”, les courtisaneries, mais ce constat n’a rien à voir avec ce à quoi je suis attachée qui est le contraire d’un moralisme bavard et réactionnaire simplement une réflexion sur un besoin de se renouveler…
Mathieu Kassovitz convoque le peuple français mais est-ce qu’il ne limite pas à ce petit monde et son antithèse supposée les ghettos des grandes cités de la région parisienne ? Il exprime à quel point il n’a plus la force de le défendre. C’est aussi le monde de la culture tel que je le vois partout en France et à Marseille. Pour en revenir à Franck Delorieux, il y avait une pétition de gens de la culture contre le RN. J’ai repris les propos d’Ariane Mouchkine pour inviter ce monde de la culture à réfléchir pourquoi il y avait une telle rupture entre eux et le peuple, pourquoi leur pétition ne présentait pas plus que le discours politique la moindre influence au contraire. Loin de moi d’en faire les responsables, si responsabilité il y a elle est dans la rupture acceptée… Ce que leur dit Mathieu Kassovitz à sa manière… Le dit Delorieux a voulu ne pas comprendre et il m’a insultée ignominieusement en me traitant de vieille aigrie et avec des mots infâmes qui disent ce qu’il ressent lui mais qui n’a rien à voir avec ce je suis, ma vitalité, mon désir de vivre, un certain épicurisme et le refus depuis toujours de toutes les stigmatisations et oppressions … tout sauf ce qu’il voulait que je sois pour ne pas m’entendre… c’était touchant et puéril… j’ai appris depuis longtemps à l’ignorer mais pourquoi s’obstinent-ils alors que par ailleurs ils ont des éclairs de conscience ?
Comment dire à ces gens-là que non seulement il n’y a rien de vrai dans leurs indignations, sinon de la prudence extrême alors même qu’ils tentent d’émerger de tant d’années de courtisanrie et qu’on les vise déjà? Que nous avons eu une des pires périodes de médiocrité parce que nous avons été dans le design, ce qui se commercialise et pas dans la création, le conformisme faute de savoir voir que c’est de la rue, du peuple que surgit l’innovation, retrouver la veine du Caravage, de Michel Ange, il y a des fremissements de cette ordre là… Mais nous sommes loin de ça… Est-ce vrament un hasard? N’y a-t-ilaucun lien avec les démissions politiques, pas des traductions, pas des clientèles, autre chose…
Je crois que ce n’est pas un hasard si Mathieu Kassovitz ou Ariane Mouchkine et bien d’autres qui réalisent la situation sont d’origine juive et ont tenté à leur manière de continuer à créer des liens avec le peuple tel qu’ils le voyaient ou l’imaginaient. Alors qu’une partie des juifs a choisi l’extrême-droite, le nationalisme chauvin; un “choix” qui pousse l’absurdité jusqu’à considérer le rassemblement national comme exonéré de ses démons puisqu’il limite son racisme et son antisémitisme aux musulmans y compris ceux qui sont eux mêmes des sémites. Le cas le plus extrême étant celui de la famille Klarsfeld passée de la traque des nazis à l’adhésion à un gouvernement fasciste celui de Netanayoun, ce qui les conduit de fait de la traque de Barbie au soutien de ceux qu’en Bolivie il a laissés pour parfaire son œuvre et qui reçoit l’aide d’Israël comme ce pays soutient tous les fascismes des blocus envers Cuba, le Venezuela en ignorant que ce sont des juifs communistes qui ont créé des Maduro ou la nouvelle présidente du Mexique.
Ceux des juifs qui comme moi portent en eux cette alliance historique entre le communisme et les juifs n’en peuvent plus de voir ainsi trafiquée leur histoire.. C’est une souffrance indicible et que dire quand dans le camp anti-impérialiste désormais ces mêmes juifs restés communistes sont confrontés à un véritable antisémitisme ? On parle beaucoup de la FI mais c”est beaucoup plus répandu : on ne peut plus, du moins moi, militer avec des gens qui sont ouvertement antisémites et vous envoient toute la journée des caricatures antisémites dans lesquelles c’est le juif qui est coupable de ce qui se passe à Gaza. Il y a des gens qui ont abandonné toute référence antiimpérialiste en particulier quand il s’agit de l’Ukraine ou de la nécessité d’avoir un parti communiste et qui se refont une virginité à partir de la Palestine sur des bases immondes… Cela participe d’un abandon théorique autant que d’une vision géopolitique, ils sont pour la guerre partout…
On apprend à les fuir mais c’est un nouvel affaiblissement…
Là dessus il y a la campagne face à une montée du Rassemblement national, totalement prévisible et organisée par le pouvoir, et que l’on feint de découvrir pour nous imposer une nouvelle manière visant à rabattre sur le pouvoir haï et impuissant. La ficelle est énorme, un câble, mais leur meilleur atout c’est l’incapacité à toute écoute de ceux vers qui on a envie d’aller. Dans mon quartier marseillais j’ai essayé de parler avec les équipes qui font campagne pour le nouveau front populaire… C’est impossible du moins en ce qui concerne le maire du secteur, un écologiste, ou en ce qui concerne les candidats : ils sont dans leur bulle.
Dans ce quartier, caractérisé par trois populations n’ayant aucun contact les unes avec les autres, ces élus flottent, ils sont hors sol. Aucun contact avec une population vieillissante d’ouvriers retraités qui jadis votaient soit socialiste soit communiste et que je connais bien parce que c’est ma famille maternelle… Certains sont restés communistes et socialistes comme “avant” mais ils sont rares ; beaucoup disent leur mépris, leur colère et ne cachent pas voter pour le RN. Il y a une population “immigrée” qui est elle-même hétéroclite, des familles aisées qui côtoient des gens prolétarisés qui assument les petits boulots urbains et des gens très rares qui vivent de commerce illicite mais il n’est question que d’eux. Il y a beaucoup d’étudiants vivant en colocation qui sont charmants et oblatifs mais sont très éloignés de la politique avec parfois de simples réflexes anti-racistes ou au contraire adhérant totalement aux thèses du RN. Ils se mêlent à toute une population bobo pas riche qui est la seule que les élus municipaux semblent connaitre.
Les “élus” ; qu’il s’agisse du maire du secteur qui joue de sa séduction pour ne pas répondre à vos questions ou des candidats de la liste Front populaire qui font de même vous vous heurtez à un mur, un mépris sous-jacent dont ils ignorent même l’éprouver. Pour tout arranger je suis dans une de ses circonscriptions où il y a deux candidats FI. Déjà devoir voter pour l’un est difficile mais en avoir deux, qui se font la peau, brouille les cartes un peu plus. Et quand celui pour lequel vous vous résignez à voter parce qu’il a le label officiel ne répond pas à vos questions et vous prend pour une imbécile c’est abominable, pas seulement pour vous et ceux qui vous font confiance pour aller voter, mais pour tous ceux que l’on rebute en feignant de s’intéresser à eux, ceux dont on nie l’impitoyable lucidité.
Parce que là encore cette campagne est un viol de tout ce qui me parait essentiel à savoir le choix de la guerre, de l’OTAN et des USA par la liste qui se prétend antifasciste et qui pour moi fait le choix de l’origine même du fascisme avec l’atlantisme et l’OTAN. Un choix qui de surcroit rend impossible l’application de tout programme qui comme celui-là a la bonne idée de reprendre la plateforme des syndicats. Personne n’est en état d’entendre cette revendication et insister ; tenter un quelconque dialogue est visiblement hors sujet.
Là encore je retrouve la sensibilité de Mathieu Kassovitz même si je ne sais pas si nous parlons de la même chose quand il parle d’un basculement…
« On va basculer »
Mathieu Kassovitz est notamment connu pour être le réalisateur du film La haine, sorti en 1995 et primé César du meilleur film. L’œuvre raconte le quotidien de trois jeunes de banlieue, après le passage à tabac d’un habitant de la cité par un policier, suivi d’une nuit d’émeute. Questionné sur le fait de savoir s’il irait manifester en cas de victoire du Rassemblement national aux élections législatives, le réalisateur a répondu : « Je serai avec vous de tout cœur, mais j’en ai marre ». « Que ce soit Jordan Bardella, Le Pen ou un autre, je pense qu’à un moment, on va basculer », a prédit le fils de Peter Kassovitz, réalisateur juif d’origine Hongroise.
J’interprète ces paroles comme tout un chacun : j’imagine qu’il sait comme moi ce que tout ces politiciens acteurs de leur propre théâtre feignent d’ignorer à savoir que nous sommes dans un basculement historique dans lequel l’histoire occultée remonte pour dire que ce à quoi nous sommes confrontés est entièrement nouveau et qu’il s’agirait de s’en apercevoir.
Selon un sondage Ipsos pour Le Parisien et Radio France, le Rassemblement national allié au Républicains d’Éric Ciotti récolte plus de 35 % des voix au premier tour. et je n’ai plus aucune arme pour m’opposer à cela : je suis de tout cœur avec vous mais j’en ai marre de me heurter depuis trente ans à ce monopole de l’antifascisme sur des bases qui ne sont pas les miennes mais je le crains encore moins celles du peuple que vous prétendez représenter. Je suis convaincue que l’immense majorité de ce peuple vous contemple avec stupéfaction et s’apprête à voter pour le RN, le NFP ou n’importe quoi pour exprimer des choses assez semblables et sans croire plus aux uns qu’aux autres.
Je voudrais terminer cette méditation sur les propos de Mathieu Kassowitz, fils de juif hongrois immigré qui a longtemps tenté l’impossible lien et en a marre, par décrire ce que toute cette violence que le politique, son autisme inflige au malheureux électorat…
Avant-hier alors que dans le quartier, chez les commerçants nous avions multiplié les discussions autour du fait qu’il fallait aller voter mais que vraiment ils étaient grotesques, tous pareils, j’ai été confrontée à l’intolérable. C’est un vieux de mon âge, qui fait le tour des commerces et partout défend non pas le Rassemblement national bon chic bon genre de Bardella mais le fascisme, il n’arrête pas de vanter Mussolini.
C’est là que j’ai été prise d’une sorte de folie, je l’ai insulté avec des propos d’une violence vulgaire dont je ne me croyais pas capable et j’ai terminé mon invraisemblable harangue en lui disant : un jour les communistes, les vrais reviendront et ils vous feront subir ce qu’a vécu Mussolini, pendu par les pieds, la tête en bas, il vous forceront à sortir tout ce pus de haine que vous portez en vous.
L’extraordinaire a été l’attitude silencieuse des employés, l’une est allée chercher un verre d’eau et me l’a tendu : “calmez-vous il faut aller voter en sachant que tous ces gens ne s’intéressent qu’à aux, leurs postes, leurs intérêts… mais il ne faut pas se rendre malade”.
Hier après avoir essayé vainement de parler au candidat de la nécessité de la paix, et convaincue de l’inutilité d’un tel dialogue, je me trouve devant un camion à moitié dans un porche occupant le trottoir et une bonne partie de la chaussée… Impossible de passer et même de traverser puisque les voitures venant à toute vitesse m’ignoreraient dans ma tentative de contourner ce véhicule. Là j’ai été saisie d’une colère incroyable et j’ai balancé mon caddy sur le camion en faisant une énorme trace sur la carrosserie…
Le commerçant sur le pas de sa porte, qui me voyait prise de cette colère démente est allé au milieu de la chaussée pour arrêter la circulation et me faire traverser sans un mot… à la manière dont l’employée de la veille m’avait tendu un verre d’eau.. Ou ces gens avec qui nous échangeons des remarques : ils sont fous, tous plus hors sol les uns que les autres…
Cette vieille femme de 86 ans qui tout à coup sort d’elle-même de quoi leur parle-t-elle ?
Danielle Bleitrach
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