lundi 14 février 2022

 

 

Publié par El Diablo

 

Par Hervé Hannoun et Peter Dittus 

Dans une tribune, Peter Dittus et Hervé Hannoun, tous deux anciens membres de la de la Banque des règlements internationaux, en qualité de secrétaire général et de directeur général adjoint, plaident pour une sortie de la France du commandement intégré de l'organisation du traité de l'Atlantique nord.

Rompant avec la politique de non-alignement suivie par de Gaulle, Giscard et Mitterrand pendant 43 ans, la France est redevenue membre du commandement militaire intégré de l’Otan en 2009, sans que les Français aient été consultés par référendum. La crise ukrainienne actuelle est le révélateur des graves périls auxquels la France s’expose en étant arrimée à une organisation de sécurité collective défensive placée sous le commandement des États-Unis et devenue expansionniste.

Depuis novembre 2021, les Français ont été, comme les autres peuples de l’Occident, soumis à une opération sans précédent de mise en condition conduite par les États-Unis et l’Otan sur le thème de « l’invasion russe imminente de l’Ukraine », qui pourrait rester dans l’histoire comme un épisode de désinformation se situant dans la lignée des renseignements fabriqués sur les armes de destruction massives de Saddam Hussein en 2003.

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Quelle est la réalité ? Des millions d’Ukrainiens russophones dans les deux républiques populaires autoproclamées du Donbass vivent sous les tirs et bombardements sporadiques de l’armée ukrainienne contre les forces séparatistes. La concentration de troupes russes aux frontières de l’Ukraine vise à l’évidence à dissuader Kiev de tenter de récupérer par la force le contrôle direct des enclaves de Donetsk et Lougansk. La désinformation réussie par l’Otan sur l’Ukraine a consisté à présenter l’obligation morale que se donne Poutine de défendre ces populations russophones – que l’Ukraine veut priver progressivement du droit de parler leur langue – comme le prélude à l’annexion totale de l’Ukraine par la Russie.

Le mythe d'une « invasion russe imminente »

L’OTAN parvient à faire passer une concentration de troupes russes prêtes à venir secourir les Ukrainiens russophones du Donbass pour une « invasion russe imminente » de l’Ukraine tout entière, y compris Odessa, Kharkiv et Kiev. Une invasion folle qu'en réalité, la Russie exclut complètement… sauf si elle y était poussée par une éventuelle attaque ukrainienne préalable contre le Donbass.

La seule guerre que l’Otan semble en passe de gagner est celle de l’information. Nous montrons dans notre livre cette carte de propagande allemande saisissante dans l’hebdomadaire Bild du 4 décembre 2021 donnant un plan détaillé imaginaire de « l’invasion russe imminente ». Le rôle des propagandes est terrifiant, par la charge de haine que génèrent les mensonges des deux côtés. Côté Otan, le discours agressif et belliqueux du secrétaire général Jens Stoltenberg fait irrésistiblement penser à la fameuse inversion orwellienne : « la paix, c’est la guerre ».

Et si la France avait la solution ?

Paris doit éviter l’engrenage militaire dans lequel les États-Unis et l’OTAN veulent l’entraîner. Dans les prochaines semaines, elle ne doit pas se laisser impliquer dans une guerre à l’est de l’Europe qui n’est pas la sienne. La France a déjà accepté de déployer au titre de l’Otan des centaines d’hommes dans un « battle group » en Estonie. Elle a pris le 1er janvier la direction de la Force de réponse rapide de l’Otan (VJTF) comprenant au moins 7 700 soldats français. Le président Macron vient d’annoncer l’envoi possible d'un millier de troupes françaises en Roumanie sous la bannière de l’Otan sur le « flanc oriental », dans la région de la mer Noire. L’escalade militaire est dangereuse. Pour la sécurité des Français, il faut au contraire exclure d’engager l’armée française sous la bannière de l’Otan dans une guerre en Ukraine ou en Biélorussie.

En revanche, la France détient une arme diplomatique pour résoudre la crise gravissime entre l’Otan et la Russie. Le détonateur de cette crise a été l’entêtement de Jens Stoltenberg et des Américains à poursuivre depuis 2018 un processus rampant d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, dit « open door policy », « politique de la porte ouverte », vu par la Russie comme une menace pour sa sécurité. Il suffirait au président Macron, pour mettre un terme à la confrontation en cours, de déclarer solennellement au nom de la France que son pays s’opposera à toute demande de l’Ukraine d’adhésion à l’Otan.

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Comme les décisions d’adhésion à l’Alliance requièrent l’unanimité, la France peut exercer un droit de veto. Ce faisant, le président serait en ligne avec les engagements qu’il avait pris au cours de sa campagne présidentielle de 2017 de ne pas soutenir l’élargissement de l’Otan à l’Ukraine. Il s'agirait d'une sortie de crise élégante. Hélas le président français, lors de sa visite à Moscou puis à Kiev les 7 et 8 février 2022, n’a pas envisagé cette solution simple car la diplomatie française ne s’est pas opposée dans les instances de l’Otan à la folle « politique de la porte ouverte » à l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Otan. Par ailleurs, la France soutient l’Otan et le G7 dans leur demande de restitution de la Crimée à l’Ukraine, tout en sachant pertinemment que cela ne peut se faire sans une guerre, peut-être nucléaire.

Subordination américaine

Au moment du référendum de 1992 sur le traité de l’Union européenne, nul ne pouvait imaginer que ce grand projet de Mitterrand et Kohl pour la paix allait être dévoyé, à partir de 1998, par le projet géopolitique américain de prendre le contrôle de fait de la politique de défense et de sécurité commune européenne. Ceci grâce à l’élargissement simultané de l’Union européenne et de l’Otan à dix pays de l’est de l’Europe entre 1991 et 2007, et grâce aussi à la décision lourde de conséquences du président Sarkozy d’abandonner en 2008 la position stratégique gaulliste de refus de participation au commandement militaire intégré de l’Otan.

À partir du moment où 21 des 27 pays de l’UE, dont la France, devenaient membres à part entière de l’Otan, l’esprit initial de Maastricht était trahi car « l’Europe pour la paix » allait inévitablement être contrariée par l’ingérence des États-Unis, avec leurs objectifs géopolitiques propres, dans la politique européenne de défense et de sécurité commune. Il ne peut en réalité exister de défense française ou européenne indépendante dans le cadre actuel de participation au commandement militaire intégré de l’Otan de la France et de 21 autres États de l’Union européenne. Le concept d « autonomie stratégique européenne » à l’intérieur de l’Otan est une illusion compte tenu de la mainmise des États-Unis sur cette Alliance. L’Union européenne cherche à masquer ce défaut fondamental derrière un concept flou : la « boussole stratégique ».

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L’incompatibilité fondamentale entre l’OTAN contrôlée par les États-Unis et une défense française ou européenne indépendante n’empêche pas nos dirigeants de défendre la thèse de la complémentarité entre l’UE et l’OTAN en matière de Défense, telle qu’elle était résumée le 11 décembre 2021 par le ministre français des Affaires étrangères : « Nous tenons à ce que l’UE et l’OTAN se complètent et se renforcent mutuellement pour contribuer au renforcement de la sécurité et de la défense en Europe. C’est tout le sens de la boussole stratégique qui sera adoptée lors de la présidence française du Conseil de l’UE ».

Défense : impasse du « en même temps »

La « boussole stratégique » de l’UE est avant tout un effort pour donner un cadre conceptuel à l’idée fausse que « l’autonomie stratégique européenne » par rapport aux États-Unis est compatible avec l’appartenance à l’Otan de la très grande majorité des pays membres de l’UE. Cette complémentarité entre l’OTAN et l’UE, le « en même temps » appliqué à la défense, est une illusion. La logique sourcilleuse de l'indépendance nationale a cédé la place au concept flou et trompeur de l’autonomie stratégique et à la recherche de l’interdépendance et de l’interopérabilité avec nos « alliés ».

Au-delà de la crise immédiate autour de l’Ukraine, l’élection présidentielle des 10 et 24 avril doit permettre de trancher la question de l’Otan. Tous ceux qui refusent la marche de l’Otan vers la guerre qui couve aux frontières orientales de l’Union européenne ont une occasion unique, avec l’élection présidentielle de 2022, de faire passer aux gouvernants de notre pays un message de paix simple et clair, en un mot : Otanexit. Il s’agit de faire en sorte que soit élu président un candidat de la paix, qui s’engage à mettre un terme à l’alignement de la France sur l’Otan.

On peut penser que le président sortant voudra éviter un débat dans la campagne présidentielle sur la question de nos alliances militaires dans l’Otan : alliance avec l’aventurisme des Anglo-Saxons dont l’arrogance a été révélée par l’affaire des sous-marins australiens, alliance contre-nature avec la Turquie islamiste, alliance avec le nationalisme polonais, et demain peut-être, alliance avec une Allemagne qui pourrait utiliser l’Otan comme un tremplin pour sa remilitarisation, ou encore alliance avec le Kosovo contre la Serbie. Cette énumération permet à elle seule de mesurer les risques d’un système de sécurité collective comprenant 30 nations hétéroclites, et archi-dominé par l’une d’entre elles.

Une « union de la défense » inconstitutionnelle

Le 7 janvier 2022, à l’occasion d’une conférence de presse conjointe avec le président Macron à Paris, la présidente de la Commission européenne s’est autorisé une déclaration fédéraliste excédant ses prérogatives : « Nous sommes d'accord qu’il faut une véritable union de la défense ». En présence du président Macron, elle a évoqué l’ajout futur à l’Union économique et monétaire d’une « union de la défense », sans se soucier du fait que cette déclaration est contraire à la Constitution de la France fondée sur l’indépendance nationale, la souveraineté nationale et la défense nationale. Il est nécessaire de s’opposer au fédéralisme européen furtif actuellement pratiqué, et qui ne saurait remplacer un fédéralisme démocratiquement accepté – ou rejeté – par référendum, selon la procédure suivie en 1992 par François Mitterrand pour le transfert de souveraineté monétaire prévu dans le traité de Maastricht. Les Français doivent rejeter le concept d’union de la défense sous la bannière de l’Otan qu'Ursula von der Leyen veut leur imposer.

L’alignement actuel de la France sur l’Otan, par sa participation au commandement militaire intégré sous direction américaine, est une impasse stratégique pour un pays à vocation universelle comme la France. Ce pays a aujourd’hui un rôle historique à jouer pour arrêter la marche vers la guerre en Europe engagée par les somnambules de l’OTAN. La sortie de la France de l’Otan, qui sonne la fin de l’alignement de la politique de sécurité extérieure de la France sur les États-Unis, aura un retentissement immense dans le monde.

Elle sera le signal de l’indépendance de l’Europe vis-à-vis de l’exceptionnalisme américain, du renouveau du multilatéralisme, de l’émergence d’un monde multipolaire et du dépérissement rapide du cadre obsolète de l’Otan. La France retrouvera alors sa vocation universelle, contribuant à l’équilibre mondial pour la paix, et jouant, grâce à son impartialité retrouvée, un rôle de synthèse au sein du P5, le concert des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies (États-Unis, Royaume-Uni, Chine, Russie, France), un P5 dont la composition doit être maintenue et le rôle rehaussé comme régulateur de la paix mondiale.

 

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