lundi 14 février 2022

UN TERRIBLE PARFUM DE KRACH

 par Bruno Odent

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Un terrible parfum de krach par Bruno Odent

La finance, gavée par une injection massive de liquidités des banques centrales, multiplie les bulles spéculatives qui s’étendent jusqu’aux activités les plus vitales. Cette fuite en avant accroît les risques d’un krach : plus la bulle grossit... Tous les signes avant-coureurs d’une crise majeure sont là.

Il en est des krachs financiers comme des tremblements de terre. Ils sont précédés de secousses telluriques annonciatrices. La menace d’une crise d’une ampleur historique est maintenant repérée.

À l’origine : la financiarisation de ces dernières années. Elle a connu un développement exponentiel avec la pandémie. Pendant le Covid, le capital a enflé, enflé, jusqu’à afficher une obésité monstrueuse inégalée, incarnée par quelques dizaines d’oligarques multimilliardaires. Des politiques publiques destinées à combattre « quoi qu’il en coûte », selon l’expression du président français Emmanuel Macron, les conséquences économiques des confinements, ont nourri cette énorme boursouflure. Les banques centrales ont déversé des milliers de milliards des crédits gratuits sur les banques et les grands opérateurs boursiers.

Les Bourses déconnectées

Or, ce flot d’argent obtenu par création monétaire – la planche à billets des instituts d’émission – n’a jamais vraiment servi à une stimulation salutaire de l’activité, tant il fut le plus souvent aspiré par les marchés financiers qui ont considéré cette manne comme une aubaine, non pour investir mais pour spéculer.

Ainsi, par exemple, des milliers de firmes ont utilisé ces prêts gratuits pour racheter au meilleur compte leurs propres actions, dans le seul objectif de booster leurs cours à la Bourse de Paris, de Francfort ou à Wall Street.

Les actionnaires ont vu exploser la valeur de leurs titres. La fortune d’un Elon Musk, misant sur ses SUV électriques et la privatisation de la banlieue spatiale de la planète, a été projetée à des niveaux stratosphériques ; en dépit des impostures vertes que constituent les choix de développement imposés.

Pendant ce temps-là, les investissements dans les services publics, la formation, la santé, l’écologie ou la recherche, réputés financièrement non rentables, sont restés réduits à la portion congrue.

L’austérité qui vient

Un gouffre s’est creusé entre les Bourses et le monde. On ne compte plus les « bulles » financières : immobilier, matières premières, numérique, cryptomonnaies, ces devises virtuelles. La prise de contrôle par la finance – et ses critères de rentiers – s’étend jusqu’aux activités les plus vitales et concrètes, comme celles des géants mondiaux de la pharmacie, des maisons de retraite européennes ou des universités états-uniennes avec une dette étudiante au montant astronomique.

Un tel degré de financiarisation de l’économie n’a jamais été atteint. Il fait dire dans le « Guardian » au Britannique Jeremy Grantham, observateur avisé de la scène financière, que le cap est mis sur « un super krach ».

Le high-tech états-unien (Facebook, Microsoft, Netflix, etc.), gonflé à bloc par tous les parieurs des casinos financiers, est très malmené. L’indice Nasdaq sur lequel il est cotée à Wall Street a perdu plus de 12 % sur son record atteint en novembre. Pas encore un krach, défini à partir de 30 % de chute. Mais cette secousse tellurique est enregistrée comme un très sérieux symptôme. Comme l’est l’irruption de l’inflation.

Traduction de la transmission de la surchauffe financière à l’économie, elle précipite le retournement de tendance. Elle fait craindre un arrêt plus ou moins brutal du robinet à crédits gratuits des banques centrales. La Réserve fédérale états-unienne (Fed) a déjà annoncé la couleur : elle augmentera ses taux d’intérêt dès mars pour combattre une flambée des prix de 7 %, plus jamais vue Outre-Atlantique depuis quarante ans.

Le tour de vis monétaire est l’outil standard des institutions financières pour enrayer une flambée des prix qui ronge la valeur des placements.

L’austérité serait le seul moyen de la juguler et donc de faire payer, selon une logique de classe éprouvée, les exubérances spéculatives passées aux travailleurs et aux citoyens ordinaires en barrant la route à l’augmentation des salaires ou (et) des dépenses publiques.

Dilemme : le retour à de telles règles signifie aussi la fin de l’ère de l’argent facile déversé sur les Bourses et peut déclencher une chute vertigineuse des indices. Le monde est prévenu. Seule une mobilisation de ceux à qui l’on voudra, selon un scénario bien rodé, faire payer au prix le plus fort la crise annoncée, peut empêcher un nouveau cataclysme.

L’argent, son utilisation, sa gestion, ne sauraient rester plus longtemps l’apanage d’une dictature des marchés. Les travailleurs et les citoyens ont besoin d’accéder à de nouveaux pouvoirs pour orienter les crédits à taux nuls des banques centrales vers les investissements si indispensables aujourd’hui à la survie et au développement de toute l’humanité.

Les clés sont à la BCE

En Europe, la BCE détient les clés d’une sortie de crise. On lui suggère bruyamment d’emboîter le pas à la Réserve fédérale états-unienne et d’augmenter ses taux d’intérêt pour combattre l’inflation. Mais une telle hausse, synonyme d’austérité, serait le meilleur moyen de faire replonger l’économie.

Maintenir des crédits quasi gratuits est indispensable. « Mais à condition d’enclencher un changement complet de paradigme dans leur attribution », soulignent les économistes du PCF.

Il s’agit de financer au meilleur compte les biens communs, l’activité utile et non plus les poids lourds des Bourses. Aux premiers serait réservé l’accès aux crédits gratuits, destinés à des investissements riches en emploi, en formation, pour les services publics ou la lutte contre le réchauffement climatique.

On pourrait y parvenir immédiatement, sans même devoir attendre une hypothétique révision des traités européens, grâce à la création d’un fonds européen ad hoc solidaire refinancé par la banque centrale.

Article de Bruno Odent Publié dans l'Humanité

 

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