mercredi 23 février 2022

Crise ukrainienne : la géographie, ça sert d’abord à faire la guerre

La débandade américaine en Afghanistan après une guerre de 20 ans a-t-elle marqué la fin d’un cycle historique entamé avec la chute de l’URSS en 1991 ?

Vladimir Poutine a reconnu hier officiellement l’existence de Donetsk et Louhansk, les deux républiques séparatistes pro-russes de la région ukrainienne du Donbass. Cette décision à la fois prévisible et inattendue lui permettrait-elle d’obtenir mieux que l’acceptation de ses demandes écrites adressées aux Etats Unis ?

En 1974, la Turquie membre de l’OTAN avait envahi Chypre, pays indépendant au prétexte d’une tentative de coup d’État à Nicosie. La « communauté internationale », à savoir les États-Unis et les pays européens n’avaient pas bougé. Cela fait 48 ans que ce pays est coupé en deux et ce n’est pas près de changer. Cette durée montre le basculement auquel nous allons être confrontés avec les décisions de Vladimir Poutine. Basculement qui va complètement structurer ce qui va se passer dans cette partie du monde.

Gare aux aveuglements

On rappellera brièvement les éléments de fond absolument incontestables de ce dossier. Après l’effondrement de l’Union soviétique, les États-Unis ont joyeusement piétiné et pillé la Russie grâce à leur marionnette alcoolique Boris Eltsine imposant au peuple russe un effondrement économique violent et douloureux et une succession d’humiliations difficilement supportables dans un pays au fort patriotisme. La Russie a dû avaler un nombre non négligeable de couleuvres dans certaines avait la taille du boa constrictor. Avec une reconnaissance unilatérale des indépendances de la Slovénie et de la Croatie, l’Allemagne réunifiée a donné le signal de la guerre civile particulièrement meurtrière qui a abouti à la désintégration de la Yougoslavie. Sous un prétexte jamais prouvé, l’OTAN a bombardé la Serbie, envahi une de ses provinces, le Kosovo, pour la détacher et en faire un État mafieux où ont été établies des bases américaines.

La Russie a été impuissante à protéger ses frères slaves orthodoxes. Ceux-là mêmes au secours desquels elle était venue en aide en août 1914 en rentrant en guerre contre les puissances centrales. On passera rapidement sur la litanie des autres violations du droit international par les États-Unis et l’OTAN qui ont démontré de l’Afghanistan au Yémen en passant par l’Irak, la Libye, et la Syrie leur façon d’envisager le respect des normes dont ils se prétendent les garants. Les mêmes ont décidé en 2014 de téléguider en Ukraine un coup d’État contre un président démocratiquement élu qui avait l’heur de leur déplaire pour entretenir de bonnes relations avec son voisin russe. Depuis cette date, le pays est également coupé en deux, les habitants des provinces russophones ayant refusé le fait accompli et l’installation à Kiev d’un gouvernement noyauté par des néonazis et particulièrement violent à leur égard.

Après avoir copieusement violé leurs engagements sur la non-intégration des pays de l’ancien bloc de l’Est à l’OTAN – engagements qu’ils ont toujours niés, mais dont le journal allemand Der Spiegel vient de publier les preuves, corroborant la version russe -, les États-Unis n’ont pas hésité devant cette opération calamiteuse organisée clairement pour intégrer l’Ukraine à une organisation militaire considérée comme agressive par les Russes. Cet aventurisme a provoqué les réactions que l’on pouvait imaginer. Emmanuel Macron a dit que Vladimir Poutine était paranoïaque ; il a raison. Nous avons rappelé dans ces colonnes le prix effarant payé pour la défaite de l’agresseur allemand, et le fait que l’on ne reprendrait plus jamais les Russes par surprise. Qui avaient demandé un engagement écrit cette fois-ci concernant le fait que l’Ukraine n’intégrerait pas l’OTAN. Refus des Américains et de leurs domestiques européens.

Avec le souci de la protection de son pays qui serait mis en danger par l’installation de missiles nucléaires à ses portes, Vladimir Poutine vient d’enclencher le processus qui devrait lui assurer la protection qu’il souhaite de ce côté-là.

La reconnaissance des républiques séparatistes va figer l’Ukraine dans un conflit frontalier qui comme celui de Chypre pourrait durer très longtemps et en tout cas, c’est la Russie qui en déterminera l’agenda. Cette opération inattendue dans sa fermeté vient donc de fermer les portes de l’OTAN à Kiev pour fort longtemps. Et désormais, si une guerre devait se déclencher, ce ne pourrait être qu’à l’initiative de l’Ukraine voulant s’opposer à la sécession désormais reconnue par la Russie des provinces de l’Est.

Alors, les bavardages sur le droit international, sur le respect des frontières, des nations existantes, la démocratie par ceux qui passent leur temps à les piétiner, tout cela relève aujourd’hui de la plaisanterie. Chacun sait bien que les sanctions appliquées à la Russie ne changeraient rien et seraient très douloureuses pour l’Europe, notamment sur la question énergétique. On imagine que nos écologistes, plus faucons que les pires faucons de Washington, seront ravis que les Européens s’alimentent beaucoup plus chers avec le gaz de schiste américain.

Jurisprudence Yves Lacoste

On avait appris avec le grand géopolitologue Yves Lacoste que : « La géographie ça sert d’abord à faire la guerre ». Nous avons devant nous une bonne leçon.

La Russie s’est en partie reconstitué un glacis sécuritaire pour compenser celui anéanti par la chute de l’Union soviétique. Fait des petits morceaux de son ancien empire, ayant ou non le statut d’État indépendant reconnu. Au sud avec bien sûr le Kazakhstan et la Géorgie neutralisée par les tampons de l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Au sud-ouest on trouve la Transnistrie et désormais les régions de l’Est ukrainien. Quant à l’ouest, il ne faut pas oublier l’enclave russe dans l’UE, avec Kaliningrad. Mais à l’ouest, il y a surtout ce pays dont on parle finalement très peu, c’est-à-dire la Biélorussie que la ridicule tentative de « révolution de couleur » a rejeté dans les bras de Moscou. Sur le plan militaire, la Russie a donc récupéré un glacis défensif pouvant s’avérer menaçant vis-à-vis de certains pays de l’OTAN.

Elle qui avait indiqué qu’elle aussi pouvait tracer des lignes rouges n’a pas obtenu les garanties sécuritaires écrites qu’elle voulait. Mais le refus obtus et bavard des États-Unis lui a probablement permis de créer une situation stratégiquement favorable.

Les médias français, tout à leur occidentalo-centrisme, titraient que la décision de Poutine était « condamnée par la communauté internationale tout entière ». C’est à voir. Il manque pour l’instant la Chine et l’Inde ce qui fait quand même 2,8 milliards d’âmes. La France quant à elle, engluée dans une UE impuissante et dépourvue de toute réelle souveraineté, est condamnée à regarder passer les trains.

Les comédies narcissiques de son président n’y changeront rien.

 

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