vendredi 2 septembre 2022

Le lobbying, 

l’arme des oligarques kazakhs en fuite

Plusieurs hommes d'affaires originaires du Kazakhstan ont fui leur pays où ils sont suspectés d'avoir détourné des sommes importantes à leur profit. Exilés en Occident, ces oligarques usent de leur fortune pour tenter de convaincre responsables politiques et opinions publiques de leur innocence, tout en finançant des campagnes hostiles au pays qui les a enrichis.


Après l'ombre de Vladimir Poutine planant sur les élections américaines, celle des oligarques kazakhs s'étendrait-elle au-dessus de Washington ? La presse locale spécialisée dans les arcanes du Capitole s'est ainsi récemment faite l'écho d'informations préoccupantes sur la manière dont des sociétés de lobbying, agences de communications et autres ONG « pop-up », rémunérées à prix d'or pour défendre les intérêts de grandes fortunes originaires des pays de l'ex-bloc soviétique, fondent sur le centre névralgique des États-Unis en déployant des méthodes pour le moins douteuses. Au premier rang desquelles la présentation de leurs clients, pour la plupart des oligarques s'étant enrichis de manière indue en pillant les ressources de leurs pays d'origine, comme d'honnêtes et respectables militants anti-corruption, voire comme d'infatigables défenseurs de la liberté et des droits de l'homme...

C’est ainsi le cas d'Akezhan Kazhegeldin, un ancien premier ministre du Kazakhstan qui vient de faire l'objet d'une minutieuse enquête du magazine Townhall. Avant de fuir son pays d'origine pour les rives de la Tamise, l'oligarque aurait empoché l'équivalent de 200 000 dollars en revendant, à la va-vite, une centrale électrique kazakhe dont la valeur dépassait pourtant les 50 millions de livres sterling. Condamné à contumace par la Cour suprême du Kazakhstan à dix ans de prison, Kazhegeldin, par ailleurs ancien agent du KGB, se présente désormais en Occident comme un dissident injustement poursuivi par les autorités de son pays. Et même un fervent avocat des droits humains, si l'on en croit la campagne de communication orchestrée ces derniers temps à Washington par ses lobbyistes attitrés, visant à convaincre les politiques et le public américains de la sincérité du combat anti-corruption d'un Kazhegeldin lui-même suspecté d'être corrompu jusqu'à la moelle. Un retournement de situation digne d'un véritable « artiste de la propagande », comme le qualifie l'éditorialiste américain Duggan Flanakin.

 

Moukhtar Abliazov, le « sans-papier milliardaire » dont ne sait que faire la France

Passé maître dans l'art de dissimuler un exil forcé sous les atours d'une croisade contre des pratiques dont il a lui-même largement bénéficié, Akezhan Kazhegeldin n'est pas le seul ni le premier ressortissant kazakhstanais sur ce registre. S'il est un oligarque kazakhstanais qui mérite aussi le qualificatif d' « artiste », c'est bien Moukhtar Abliazov : comme son compatriote, Abliazov a patiemment fait son nid dans les réseaux de pouvoir du Kazakhstan, avant de tomber en disgrâce à la faveur de la démocratisation du pays et de prendre la poudre d'escampette – non sans oublier de se remplir les poches au passage. Ancien ministre lui-même, Moukhtar Abliazov a pendant cinq ans dirigé la banque BTA, l'une des plus importantes de ce pays d'Asie centrale. Nationalisée en 2009, celle-ci l'accuse d'avoir à cette époque détourné quelque 7,5 milliards de dollars de ses caisses, un pactole disséminé et dissimulé dans le monde entier, via une constellation de sociétés-écrans.

Comme Akezhan Kazhegeldin, Moukhtar Abliazov fuit alors le Kazakhstan, où il écope d'une peine de prison à perpétuité. Direction Londres tout d'abord où, comme Akezhan Kazhegeldin toujours, notre homme espère démarrer une nouvelle vie dorée – tout en se payant le luxe de la bonne conscience, Abliazov se présentant volontiers comme la victime innocente et persécutée du régime de Noursoultan Nazarbayev, l'ancien président kazakh. Une stratégie de diversion qui rencontre rapidement ses limites, les autorités britanniques lui refusant le statut de réfugié politique et la justice de Sa Majesté le condamnant, en 2013, à 22 mois de prison pour « outrage ». Pas de quoi défriser notre « sans-papier milliardaire », comme le qualifie Paris Match, qui traverse alors la Manche... en autobus, avant de s'installer confortablement sur la Côte d'Azur. Il faudra attendre plusieurs mois pour que les policiers de la BRI forcent l'entrée de sa villa cossue et appréhendent un Moukhtar Abliazov en short, qui tentera tout de même de se faire passer pour un autre en tendant aux forces de l'ordre un faux passeport diplomatique – en vain.

 

A Bruxelles, les réseaux « tentaculaires » de Moukhtar Abliazov

Depuis presque une dizaine d'années maintenant, l'oligarque kazakhstanais fait l'objet d'un véritable imbroglio politico-administratif dont seule la France a le secret : alors que l'extradition d'Abliazov est exigée tant par l'Ukraine que par la Russie, les divers services de l'État (tribunaux, Ofpra, Cour nationale du Droit d'Asile, Conseil d'Etat) se renvoient la patate chaude et annulent systématiquement les décisions des juridictions précédentes. Un délai à rallonge que le principal intéressé, toujours libre de ses mouvements dans l'Hexagone, a mis à profit pour défendre sa cause en déployant de considérables moyens de lobbying. A Bruxelles sévit ainsi la très opaque ONG « Open Dialogue Foundation » (ODF), une organisation de protection des droits l'homme créée en Pologne en 2009 et qui s'est fait une spécialité de défendre, «  aux côtés de véritables militants exposés à une incontestable répression, quelques figures fort peu recommandables ». Des figures comme Moukhtar Abliazov, suspecté d'arroser de généreux subsides l'organisation à but non lucratif en échange de la défense de ses intérêts personnels.

Hasard ou coïncidence, « l'ODF, dont les lobbyistes hantent les couloirs du parlement (européen), joue un rôle ''important'' dès que l'honorable assemblée débat du Kazakhstan », révèle aussi le site Atlantico. Jusqu'à glisser des amendements et résolutions « clé en main » aux députés européens pour condamner, bien opportunément, la politique interne du Kazakhstan. Trouvant des relais parfois inattendus dans l'ensemble des forces politiques représentées au Parlement européen, les « tentaculaires réseaux de Moukhtar Abliazov  » à Bruxelles permettent ainsi à ce dernier de renforcer sa posture victimaire de martyr du pouvoir kazakhstanais – tout en contribuant à minimiser ou passer sous silence les accusations qui pèsent contre l'oligarque. Un joli tour de passe-passe qui n'est pas sans interroger les fondements démocratiques sur lesquels reposent nos sociétés de l'information.

 

1 commentaire:

pedrito a dit…

Le monde unipolaire capitaliste n'en finit pas de vomir ses vermines . Les peuples anesthésiés finiront-ils par se réveiller pour s'apercevoir des changements nécessaires à venir qui se mettent lentement en place, et les accélérer ?