mardi 17 juillet 2018

La France doit protéger Ricardo Palma Salamanca et Silvia Brzovic

Dans un tribune collective, Carmen Castillo, Olivier Duhamel, Louis Joinet, Alain Touraine et Costa-Gavras appellent la France à protéger, en leur reconnaissant le statut de réfugié politique, Ricardo Palma Salamanca et Silvia Brzovic. Ayant combattu le régime sanglant de Pinochet, ils sont aujourd'hui réclamés par le Chili en vertu de décisions administratives et judiciaires iniques qui sont un résidu de la dictature.  

La France est depuis 1973 une terre d’asile pour les opposants politiques au régime de Pinochet. Accueillis à bras ouverts par Valéry Giscard d’Estaing puis François Mitterrand, particulièrement sensibles au funeste sort réservé à ceux qui s’étaient engagés aux côtés du Président Salvador Allende et, plus largement, aux démocrates hostiles à la junte militaire, nombreux sont les Chiliens qui, sous leurs mandats, ont trouvé refuge en France, s’y sont installés, y ont fondé une famille et s’y sont construits un avenir.
Beaucoup sont immédiatement devenus français dans l’esprit et le cœur avant d’être officiellement naturalisés. C’est l’honneur de la France d’avoir protégé ces femmes et ces hommes dont les parcours de vie font aujourd’hui notre fierté à tous. Nous éprouvons de l’admiration pour tous ces jeunes adultes – pour ne pas dire ces enfants – qui ont eu l’extraordinaire courage de résister et de combattre la dictature féroce d’Augusto Pinochet au péril de leur vie et de leur liberté, faisant sacrifice de leur jeunesse, de leur vie familiale et de leurs études.
Ricardo Palma Salamanca et Silvia Brzovic sont de ceux-là. Comme tant d’autres combattants de la liberté, leur engagement politique contre la junte militaire est né de leur refus de l’oppression faite à leur peuple et des souffrances que ce régime leur a fait endurer. La torture du père, d’un frère ou d’une sœur, le viol d’une autre, l’exil d’un parent forcé par la crainte que le pire n’advienne, l’emprisonnement, le supplice, et même l’assassinat de proches, ont empli leur âme d’adolescents de la rage qui devait les affranchir de la peur. Animé par une telle colère, leur combat politique ne pouvait prendre fin avec l’amorce de la transition démocratique le 11 mars 1990.
En effet, si le général Pinochet n’était plus, officiellement, le Chef de l’État chilien à compter de cette date, le nouveau régime restait fondé sur un texte constitutionnel adopté en 1980 sous son autorité et qui lui confiait, en tant que Commandant en Chef des forces armées, un rôle central au sein d’un Conseil de sécurité nationale, lui permettant ainsi d’intervenir dans la vie politique du Chili et de maintenir son emprise sur toutes les institutions politiques, administratives, judiciaires et militaires du pays. Il suffit pour preuve de cette situation de se souvenir de l’opposition farouche de toutes les autorités politiques chiliennes à l’extradition de Pinochet en 1998, réclamé par la justice espagnole afin qu’il rende compte de nombreux crimes commis sous son mandat. Finalement, Augusto Pinochet, bénéficiant de la bienveillance coupable des autorités chiliennes, est mort paisiblement au Chili sans jamais avoir été condamné ni même simplement jugé.
A l’inverse, les résistants à son régime que furent Ricardo Palma Salamanca et Silvia Brzovic ont été pourchassés sans relâche pendant plus de 25 ans et jusqu’à aujourd’hui. 
Comment comprendre qu’un État prétendument démocratique puisse ainsi pendant aussi longtemps poursuivre une personne – Silvia Brzovic – dont le seul tort est d’avoir été une opposante de gauche au régime de Pinochet ? Comment comprendre qu’un État prétendument démocratique puisse chercher à obtenir l’exécution d’une condamnation rendue dans des conditions inacceptables et sur le fondement d’une législation anti-terroriste adoptée en 1984 par un régime dictatorial ? Comment d’ailleurs comprendre qu’une telle loi vivement critiquée par les ONG puisse y être encore en vigueur ?
Car c’est en effet en application de cette loi adoptée par la junte militaire pour lutter contre ses opposants politiques que Ricardo Palma Salamanca a été arrêté en 1992 puis condamné à la réclusion criminelle à perpétuité dans des conditions manifestement contraires au droit à un procès équitable et après des aveux extorqués sous la torture. Cette condamnation a été prononcée par un juge unique, Alberto Pfeiffer Richter, membre de l’UDI, le parti d’Augusto Pinochet fondé par Jaime Guzman, au motif notamment que Ricardo Palma Salamanca aurait participé à l’assassinat de ce même Jaime Guzman, dont le curriculum vitae sous le régime de Pinochet est comparable à celui de Philippe Henriot sous le régime de Vichy.
Membre fondateur, en 1970, du groupe paramilitaire d’extrême droite Patria y Libertad, dont les crimes ont ensanglanté le régime du Président Allende, idéologue de la junte militaire lié à la secte nazie Colonia Dignidad, auteur de la Constitution de 1980, Jaime Guzman était un acteur majeur de la dictature. Il faisait partie de son noyau fasciste. Comment alors un État prétendument démocratique peut-il dresser un mémorial à Santiago en souvenir et en l’honneur de ce sordide personnage, et continuer à pourchasser Ricardo Palma Salamanca ?
Quand les tortionnaires de la junte militaire ont vécu ou vivent encore paisiblement au Chili, les autorités politiques chiliennes persistent à poursuivre les femmes et les hommes qui, comme Ricardo Palma Salamanca et Silvia Brzovic, ont tout sacrifié pour combattre le régime sanglant de Pinochet et réclament simplement que justice soit rendue à tous ceux qui ont enduré les pires souffrances durant cette période. Il s’agit là d’un résidu de la dictature auquel la France ne peut participer.
Aucune autorité française ne peut accepter de collaborer à l’exécution de décisions administratives et judiciaires iniques, prises à la suite de tortures et de violations graves des droits de l’Homme, ni se compromettre en apportant son concours à la défense de la mémoire du fasciste Jaime Guzman. Au contraire, la France doit fermement et obstinément préserver ses principes en accueillant, comme l’y oblige sa Constitution et ses engagements internationaux, tout Homme persécuté en raison de son action pour la liberté.
La France doit donc protéger Ricardo Palma Salamanca et Silvia Brzovic en leur reconnaissant, ainsi qu’à leurs enfants, le statut de réfugié politique. C’est son honneur et c’est le droit.

Carmen Castillo
Olivier Duhamel
Louis Joinet
Alain Touraine
Costa-Gavras

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