mercredi 16 mars 2022

 

Guennady Ziouganov (KPRF)

Il s'appelle Guennady Ziouganov, il dirige la deuxième force politique en Russie, et qui est arrivée systématiquement en deuxième position à toutes les élections présidentielles depuis la chute de l'URSS : le Parti communiste de la Fédération de Russie.

Contrairement à une idée reçue, ce parti n'est pas composé uniquement de nostalgiques de l'URSS, vu qu'il a considérablement augmenté ses scores aux dernières législatives d'automne 2021. Notamment du fait que Ziouganov a su habilement montrer autre chose que le passé, en pointant les succès patents du socialisme à la chinoise, succès qui ne sont pas pour rien dans la capacité d'autonomie actuelle de la Russie.

Contrairement à d'autres idées reçues, l'opposition communiste n'est pas une opposition factice à Vladimir Poutine si l'on en juge par l'ampleur des récentes manifestations contestant vigoureusement la légitimité des résultats des dernières élections.

Ce sujet de la fiabilité des élections en Russie n'est pas tel, contrairement à ce que sous-entendent nos médias, qu'il remettrait drastiquement en cause la réalité de l'ancrage de Vladimir Poutine dans la population, mais revêt son importance lorsqu'il s'agit d'évaluer le réel niveau du PC, et notamment le fait qu'il aurait dépassé les 30% de consensus réel et non les 19,8% reconnus, ce qui est de toute façon déjà considérable.

Par exemple en 1995, il était évident que les élections devaient être remportées par ce dernier et le "Time" s'était même réjoui de l'intervention américaine dans les élections. Et ce coup de semonce, à l'époque, annonçait la fin de l'ère Eltsine. La montée actuelle du PC russe n'est pas non plus pour rien dans la volonté de V. Poutine de prendre récemment une décision stratégique majeure, apte à fédérer la nation autour de sa personne, afin d'éliminer, en quelque sorte, la concurrence.

Quoi qu'il en soit, Russie Unie, le parti présidentiel, et le PCFR sont bien ces deux forces qui représentent la très forte majorité de la population russe, environ 70% des votants, quoi qu'on pense de la façon dont ces 70% se répartissent. Et ces deux forces, malgré leurs intenses divergences au plan national, convergent souvent à l'international dans une sorte de consensus patriotique. Le PC de la Fédération de Russie est à l'initiative de la proposition, votée à la Douma, de l'indépendance non seulement des Républiques de Donetsk et de Lougansk mais de tout le Donbass. Il reprend terme à terme le mot d'ordre de "dénazification" et de "démilitarisation" de l'Ukraine. Récemment, dans sa dernière déclaration dans la Pravda, Guennady Ziouganov dit texto que la Russie monte la garde pour l'humanité dans la lutte contre le fascisme. Et il pense notamment aux laboratoires biologiques américains découverts en Ukraine, en soulignant que même les nazis avaient reculé devant l'usage des armes chimiques alors que les Etats-Unis visiblement non.

Les divergences avec le parti du président russe n'en demeurent pas moins. Et lorsque Vladimir Vladimirovitch s'en prend, y compris dans ses discours récents, à Vladimir Illitch, lui reprochant son supposé laxisme envers le particularisme ukrainien, notamment linguistique, il fait beaucoup moins d'histoire que de politique intérieure. On peut aussi prendre le problème dans l'autre sens, voir la bouteille à moitié pleine et non à moitié vide, et constater que, précisément, de par sa culture et son histoire, le PC de la Fédération de Russie, campant sur ses fondamentaux patriotes, ne sera pas tenté par une surenchère nationaliste et une fuite en avant dans l'annexion totale de l'Ukraine, avec l'abcès de fixation qui ne manquerait pas de se créer.

Qu'en conclure? Ce que vous voulez, à chacun de donner son opinion sans hystérie et dans la mesure où c'est encore possible en France. Mais il est certain que la Russie ne peut pas se résumer à deux syllabes, "pou" et "tine", comme l'aiment à le faire lesdits kremlinologues, dont le nom même montrent qu'ils ne veulent rien comprendre à la Russie. Opposer un président russe bunkerisé d'un côté et un peuple ressemblant à ladite société civile de chez nous de l'autre, est erroné. Si Ziouganov figure d'ailleurs dans les personnalités visées par les sanctions alors qu'il n'apparaît guère dans les radars de nos médias, c'est qu'il représente une donnée inconfortable pour le narratif occidental : l'opposition à Poutine c'est bien davantage lui que Navalny, ou encore les oligarques en colère.

A ces données s'ajoute le contexte global : l'opposition de plus en plus marquée entre un Occident capitaliste sidéré, s'effondrant sur ses contradictions et un monde des BRICS et croissance et où les communistes jouent un rôle croissant.

Dans ce contexte, si les communistes russes sont un élément du problème, ils sont aussi peut-être un élément de la solution. Il est donc à déplorer que les dirigeants du PCF aient choisi une politique d'alignement sur le narratif occidental, jusqu'à parler de Tribunal pénal international pour V. Poutine, rappelant ainsi à tous ceux qui ont encore un peu de mémoire leur politique de soumission complaisante envers l'OTAN et de maintien de leur participation gouvernementale au moment des bombardements contre la Yougoslavie.

Les liens historiques entre PC français, russe et chinois auraient été l'occasion d'un dialogue. Sans nier le moins du monde les intérêts français, bien au contraire, mais en les pensant dans le cadre d'une nécessaire désescalade, notamment au plan nucléaire, et ce pour hâter un règlement pacifique du conflit actuel tout en évitant le repliement autarcique des économies.

Le cap, ce serait un repositionnement des forces de gauche autour du communisme, à l'endroit où il compte le plus, c'est-à-dire les BRICS, et aussi pour maintenir la paix, éviter la surenchère et les crispations militaristes. Tous les observateurs s'accordent sur le fait que ce qu'on désigne symboliquement sous le terme de "téléphone rouge" fonctionnait beaucoup mieux du temps de l'URSS que maintenant. C'est pourquoi il ne faut surtout pas laisser comme légitimes et incontournables les seuls canaux de la diplomatie bourgeoise.

C'est ce à quoi doivent s'atteler les militants en France dans l'ensemble de la mouvance communiste. C'est une tâche non négligeable en même temps que réaliste et à notre portée dans l'immédiat.

Aymeric Monville,

Éditeur et écrivain

Le 15 mars 2022

 

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