La politique étrangère des États-Unis est diabolique
samedi 12 mars 2022 par Diana Johnstone
Vladimir Poutine est-il le seul responsable de la crise qui a conduit à la guerre ? Ne faut-il pas désigner ceux qui dans l’établissement américain, et leurs complices dans les pays de l’OTAN, ont provoqué les Russes en les attirants dans un piège ?
À l’époque de la première reine Elizabeth, les cercles royaux britanniques aimaient regarder des chiens féroces tourmenter un ours captif pour le plaisir. L’ours n’avait fait de mal à personne, mais les chiens étaient dressés pour provoquer la bête emprisonnée et l’inciter à riposter. Le sang coulant des animaux excités ravissait les spectateurs.
Cette pratique cruelle a depuis longtemps été interdite car inhumaine.
Et pourtant, aujourd’hui, une version du « bear-baiting »* [appâtage d’ours, Ndt], est pratiquée chaque jour contre des nations entières à une gigantesque échelle internationale. C’est ce qu’on appelle la politique étrangère des États-Unis. C’est devenu la pratique habituelle de l’absurde club sportif international appelé OTAN.
Les dirigeants des États-Unis, à l’abri dans leur arrogance en tant que « nation indispensable », n’ont pas plus de respect pour les autres pays que les Élisabéthains n’en avaient pour les animaux qu’ils tourmentaient. La liste est longue des cibles du bear-baiting américain, mais la Russie se distingue comme un excellent exemple de harcèlement constant. Et ce n’est pas un accident. L’appâtage est délibérément et minutieusement planifié.
À titre de preuve, j’attire l’attention sur un rapport de 2019 de la société RAND au chef d’état-major de l’armée US intitulé « Extending Russia ». En fait, l’étude RAND elle-même est assez prudente dans ses recommandations et avertit que de nombreuses astuces perfides pourraient ne pas fonctionner. Cependant, je considère l’existence même de ce rapport comme scandaleuse, non pas tant pour son contenu même, que pour le fait que c’est à cela que le Pentagone paie ses meilleurs intellectuels : trouver des moyens d’attirer d’autres nations dans des problèmes que les dirigeants étatsuniens espèrent exploiter.
La ligne officielle des États-Unis est que le Kremlin menace l’Europe par son expansionnisme agressif, mais lorsque les stratèges parlent entre eux, l’histoire est très différente. Leur objectif est d’utiliser des sanctions, de la propagande et d’autres mesures pour inciter la Russie à prendre le type même de mesures négatives (« surextension ») que les États-Unis peuvent exploiter au détriment de la Russie.
L’étude RAND explique ses objectifs :
- « Nous examinons une série de mesures non violentes qui pourraient exploiter les vulnérabilités et les angoisses réelles de la Russie, comme une manière de mettre sous tension l’armée et l’économie russes, et la position politique du régime dans le pays et à l’étranger. Les mesures que nous examinons n’auraient ni la défense ni la dissuasion comme objectif principal, bien qu’elles puissent contribuer aux deux. Ces mesures sont plutôt conçues comme des éléments d’une campagne visant à déséquilibrer l’adversaire, amenant la Russie à concourir dans des domaines ou des régions où les États-Unis ont un avantage concurrentiel, et amenant la Russie à se sur-étendre militairement ou économiquement, ou faisant perdre au régime prestige et influence nationaux et/ou internationaux. »
De toute évidence, dans les cercles dirigeants US, cela est considéré comme un comportement « normal », tout comme les taquineries sont un comportement normal pour le harceleur de la cour d’école, et comme les opérations sous couverture sont normales pour les agents corrompus du FBI.
Cette description correspond parfaitement aux opérations américaines en Ukraine, destinées à « exploiter les vulnérabilités et les angoisses de la Russie » en faisant avancer une alliance militaire hostile à sa porte, tout en décrivant les réactions totalement prévisibles de la Russie comme une agression gratuite. La diplomatie consiste à comprendre la position de l’autre partie. Mais ce bear-baiting verbal nécessite un refus total de comprendre l’autre, et une mauvaise interprétation délibérée et systématique de tout ce que l’autre partie dit ou fait.
Ce qui est vraiment diabolique, c’est que, tout en accusant constamment l’ours russe de comploter pour s’étendre, toute la politique vise à l’inciter à s’étendre ! Parce qu’alors, nous pouvons imposer des sanctions punitives, augmenter le budget du Pentagone de quelques crans et resserrer davantage le collet de la protection de l’OTAN autour du cou nos précieux « alliés » européens.
Depuis toute une génération, les dirigeants russes ont fait des efforts extraordinaires pour construire un partenariat pacifique avec « l’Occident », institutionnalisé comme Union européenne et par-dessus tout, OTAN. Ils ont vraiment cru que la fin de la guerre froide pourrait produire un voisinage européen épris de paix. Mais les arrogants dirigeants des États-Unis, malgré les conseils contraires de leurs meilleurs experts, ont refusé de traiter la Russie comme la grande nation qu’elle est, et ont préféré la traiter comme l’ours harcelé dans un cirque.
L’expansion de l’OTAN a été une forme d’appâtage, le moyen évident de transformer un ami potentiel en ennemi. C’est la voie choisie par l’ancien président américain Bill Clinton et les administrations suivantes. Moscou avait accepté l’indépendance des anciens membres de l’Union soviétique. Le bear-baiting impliquait d’accuser constamment Moscou de comploter pour les reprendre par la force.
Frontière de la Russie
L’Ukraine est un mot signifiant « régions frontalières », essentiellement les régions frontalières situées entre la Russie et les territoires à l’ouest qui faisaient parfois partie de la Pologne, ou de la Lituanie, ou des terres des Habsbourg. En tant que partie de l’URSS, l’Ukraine a été élargie pour inclure de larges pans des deux côtés.
L’histoire a créé des identités très contrastées aux deux extrémités,
avec comme résultat que la nation indépendante d’Ukraine, qui n’a vu le
jour qu’en 1991, était profondément divisée dès le départ. Et dès le
départ, les stratégies de Washington, de mèche avec une importante
diaspora anticommuniste, antirusse hyperactive aux États-Unis et au
Canada, ont tenté d’utiliser l’amertume des divisions de l’Ukraine pour
affaiblir d’abord l’URSS, puis la Russie.
Des milliards de dollars ont été investis afin de « renforcer la
démocratie » – c’est-à-dire l’Ouest de l’Ukraine pro-occidental contre
l’Est à moitié russe.
Le coup d’État de 2014 soutenu par les États-Unis qui a renversé le président élu Viktor Ioukanovitch, solidement soutenu par l’est du pays, a porté au pouvoir des forces pro-occidentales déterminées à faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN, où la désignation de la Russie comme ennemi principal était devenue de plus en plus flagrante. Cela a provoqué la perspective d’une éventuelle capture par l’OTAN de la principale base navale russe à Sébastopol, sur la péninsule de Crimée.
Comme la population de Crimée n’avait jamais voulu faire partie de l’Ukraine, ce risque a été évité en organisant un référendum au cours duquel une écrasante majorité de Criméens a voté pour le retour en Russie, dont ils avaient été séparés par une décision autocratique de Khrouchtchev en 1954.
Les propagandistes occidentaux a dénoncé sans relâche cet acte d’autodétermination comme une « invasion russe » qui préfigurait un programme de conquête militaire russe de ses voisins occidentaux – un fantasme soutenu ni par les faits ni par la motivation.
Consternés par le coup d’État renversant le président pour lequel ils avaient voté, par des nationalistes qui menaçaient d’interdire la langue russe qu’ils parlaient, les habitants des provinces orientales de Donetsk et Lougansk ont déclaré leur indépendance.
La Russie n’a pas soutenu cette décision, mais a plutôt favorisé l’Accord de Minsk, signé en février 2015 et approuvé par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. L’essentiel de l’accord était de préserver l’intégrité territoriale de l’Ukraine par un processus de fédéralisation qui rendrait à l’Ukraine les républiques séparatistes en échange de leur autonomie locale.
L’Accord de Minsk définissait quelques étapes pour mettre fin à la
crise ukrainienne interne. Premièrement, l’Ukraine devait adopter
immédiatement une loi accordant l’autonomie aux régions orientales (en
mars 2015). Ensuite, Kiev négocierait avec les territoires de l’Est sur
les lignes directrices pour des élections locales à tenir cette année-là
sous supervision de l’OSCE.
Ensuite, Kiev mettrait en œuvre une réforme constitutionnelle
garantissant les droits des régions orientales. Après les élections,
Kiev prendrait le contrôle total de Donetsk et Lougansk, y compris la
frontière avec la Russie.
Une amnistie générale couvrirait les soldats des deux côtés.
Cependant, bien qu’elle ait signé l’accord, Kiev n’a jamais appliqué aucun de ces points et refuse de négocier avec les rebelles de l’Est. Dans le cadre de ce qu’on a appelé ‘Format Normandie’, la France et l’Allemagne devaient faire pression sur Kiev pour qu’elle accepte ce règlement pacifique, mais rien ne s’est passé.
Au lieu de cela, l’Occident a accusé la Russie de ne pas mettre en œuvre l’accord, ce qui n’a aucun sens dans la mesure où les obligations de mise en œuvre incombent à Kiev, pas à Moscou. Les responsables de Kiev réitèrent régulièrement leur refus de négocier avec les rebelles, tout en réclamant de plus en plus d’armements aux puissances de l’OTAN pour régler le problème à leur manière.
Pendant ce temps, les principaux partis de la Douma et l’opinion
publique russe expriment depuis longtemps leur inquiétude pour la
population russophone des provinces de l’Est, qui souffre de privations
et d’attaques militaires du gouvernement central depuis huit ans.
Cette préoccupation est naturellement interprétée en Occident comme un
remake de la volonté d’Hitler de conquérir les pays voisins. Cependant,
comme d’habitude, l’inévitable analogie hitlérienne est sans fondement.
D’abord parce que la Russie est trop grande pour avoir besoin de
conquérir un Lebensraum.
Vous voulez un ennemi ? Maintenant, vous en avez un
L’Allemagne a trouvé la formule parfaite pour les relations occidentales avec la Russie : êtes-vous ou n’êtes-vous pas un « Putinversteher », un « comprenant-Poutine ?
Par Poutine, ils entendent la Russie, puisque le stratagème standard
de la propagande occidentale consiste à personnifier le pays ciblé par
le nom de son président, Vladimir Poutine, nécessairement un autocrate
dictatorial. Si vous « comprenez » Poutine, ou la Russie, alors vous
êtes profondément soupçonné de déloyauté envers l’Occident.
Alors, tous ensemble maintenant, assurons-nous de NE PAS COMPRENDRE la Russie !
Les dirigeants russes prétendent se sentir menacés par les membres
d’une immense alliance hostile, organisant régulièrement des manœuvres
militaires à leur porte ?
Ils se sentent mal à l’aise face aux missiles nucléaires visant leur territoire depuis les États membres voisins de l’OTAN ?
Mais pourquoi, c’est juste de la paranoïa, ou un signe d’intentions sournoises et agressives. Il n’y a rien à comprendre.
Ainsi, l’Occident a traité la Russie comme un ours appâté. Et ce qu’il obtient, c’est une nation ennemie dotée d’armes nucléaires et militairement puissante, dirigée par des gens beaucoup plus réfléchis et intelligents que les politiciens médiocres en poste à Washington, Londres et quelques autres endroits.
Le président étatsunien Joe Biden et son État profond n’ont jamais voulu de solution pacifique en Ukraine, car une Ukraine en trouble agit comme une barrière permanente entre la Russie et l’Europe occidentale, assurant le contrôle US sur cette dernière.
Ils ont passé des années à traiter la Russie comme un adversaire, et la Russie tire maintenant la conclusion inévitable que l’Occident ne l’acceptera que comme un adversaire.
La patience est finie. Et cela change la donne.
Première réaction : l’Occident punira l’ours par des sanctions !
L’Allemagne suspend la certification du gazoduc Nordstream 2.
L’Allemagne refuse donc d’acheter le gaz russe dont elle a besoin afin
de s’assurer que la Russie ne pourra pas couper le gaz dont elle a
besoin dans le futur. C’est une astuce astucieuse, n’est-ce pas !
Et pendant ce temps, avec une pénurie croissante de gaz et des prix en
hausse, la Russie n’aura aucun mal à vendre son gaz ailleurs en Asie.
Lorsque « nos valeurs » incluent le refus de comprendre, il n’y a pas de limite à ce que nous pouvons ne pas comprendre.
Traduction : Olinda/Arrêt sur info
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