mercredi 2 mars 2022

Von der Leyen s’en va en guerre…

La guerre a au moins un avantage : elle fait tomber les masques. Des vérités qu’on cache d’habitude derrière la prudence diplomatique et la langue de bois apparaissent tout à coup crûment. Et ça donne des situations dans lesquelles le grotesque côtoie le sinistre. Un bon exemple nous a été fourni le week-end dernier par l’ineffable Ursula Van der Leyen (1), dans une déclaration enregistrée dans laquelle elle s’en prend aux médias russes « Sputnik » et « Russia Today » (RT).

Qu’a dit Von der Leyen ? Voici le texte exact : « Nous allons interdire dans l’UE la machine médiatique du Kremlin. Les médias d’Etat Russia Today et Sputnik, ainsi que leurs filiales, ne pourront plus diffuser leurs mensonges pour justifier la guerre de Poutine et pour semer la division dans notre Union. Nous développons donc des outils pour interdire leur désinformation toxique et nuisible en Europe ».

Cette déclaration pose une première question évidente : depuis quand la Commission européenne a le pouvoir d’interdire la diffusion d’un média ? Rien dans les traités européens ne lui donnent un tel pouvoir. Dans la plupart des pays européens la liberté d’expression et de diffusion bénéficie d’une protection constitutionnelle, et ne peut être restreinte que pour des raisons d’ordre public, et l’ordre public est une question régalienne sur laquelle l’Union européenne n’a pas voix au chapitre.

Mais soyons sympa: peut-être que Von der Leyen a voulu dire qu’elle avait l’accord des 27 pour interdire, chacun chez soi, la diffusion de Sputnik et de RT chacun chez soi. Le problème est qu’on voit mal sur quel fondement légal une telle interdiction pourrait avoir lieu. En France, depuis 1881, il n’y a plus de censure préalable : chacun est libre de publier, quitte à rendre des comptes devant le juge s’il viole la loi. Mais quelle loi Sputnik ou RT violent-ils ? A supposer établi que ces deux chaînes mentent comme des arracheurs de dents, cela ne suffit pas. Mentir est peut-être moralement condamnable, mais ce n’est pas un délit. Pour que le délit de “diffusion de fausses nouvelles” soit constitué, il faut non seulement que la nouvelle soit fausse, mais qu’elle ait troublé la paix publique ou soit susceptible de la troubler. On peut difficilement reprocher cela à RT ou à Sputnik.

Mais la déclaration de Von der Leyen pose une deuxième question bien plus gênante. L’Union européenne, si l’on croit cette déclaration, interdira des médias dans le but de les empêcher de « diffuser leurs mensonges ». Ce qui suppose rendre l’Union européenne juge de ce qui est « vérité » et ce qui est « mensonge », et lui donner le pouvoir de réduire au silence ce qu’elle estime « mensonger ». On voit tout de suite à quel point une telle logique serait une menace pour les libertés publiques. D’autant plus que l’Union européenne, par la bouche de Von der Leyen, revendique le pouvoir de faire taire ceux qui mentiraient pour « semer la division dans notre union » – ceux qui mentiraient au contraire pour la renforcer n’ont pas de souci à se faire.

La déclaration de Von der Leyen révèle une vision totalitaire : Celle d’un pouvoir qui s’autorise non seulement à décider ce qui est vrai et ce qui est faux et à faire taire quiconque ne rentre pas dans sa définition, mais aussi de décider quels sont les mensonges permis, et quels sont les mensonges interdits. Elle révèle le caractère fondamentalement antidémocratique de l’Union européenne. Parce que la démocratie repose précisément sur l’acceptation de la diversité et le refus de l’unanimité. Seuls les régimes totalitaires prétendent à l’unité du discours, et criminalisent ceux qui « sèment la division dans l’union » pour construire une fausse unité. Le désaccord, le débat, la querelle sont inséparables du processus démocratique.

La démocratie repose aussi sur l’idée qu’on peut faire confiance au peuple souverain pour voir à travers les discours, pour distinguer le vrai du faux. La logique qui veut qu’il faille protéger le peuple des « mensonges » – ce qui revient à s’octroyer le droit de décider ce que le peuple peut ou ne peut pas entendre – est la logique paternaliste des régimes oligarchiques. Cela revient à confiner le peuple dans le rôle d’un mineur sous tutelle. Et si l’on pousse ce raisonnement, si on accepte l’idée que les peuples européens ne sont pas capables de voir à travers les mensonges de Sputnik ou de RT, ne faut-il pas admettre qu’ils sont incapables de voir à travers les mensonges d’un Macron, d’une Pécresse ou d’une Le Pen ? Comment confier à un peuple incapable de voir à travers les mensonges l’élection des gouvernants ?

Les partisans de la construction européenne partagent tout à fait ce diagnostic. C’est pourquoi ils ont fait en sorte que l’Union européenne ne soit pas gouvernée par des représentants élus, mais par une oligarchie cooptée qui est la seule à la fois à savoir où est la vérité, ce qui est bon pour les citoyens, et quels sont les discours que les citoyens doivent entendre… Madame Von der Leyen en a fourni, ce dernier week-end, la preuve.

Descartes

(1) Il est difficile de regarder les prestations de Von der Leyen à propos de l’Ukraine sans avoir l’impression que cette dame voit l’affaire essentiellement sous l’angle de la propagande européenne. Avec quelquefois des télescopages amusants. Ainsi, on découvre que les armes que la Commission voudrait fournir à l’Ukraine seront payées… par le “Fonds Européen pour la Paix”. Avouez que c’est drôle.

 

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