lundi 29 janvier 2024

 

L’ère du vide

« Un taxi vide est entrée dans la cour du Parlement, et monsieur Clément Attlee en est descendu » (Winston Churchill)

Aujourd’hui, je vais me lancer dans un style littéraire inédit : je vais commenter des non-évènements. Je parle bien entendu de la nomination d’un non-premier ministre, en la non-personne de Gabriel Attal le 9 janvier dernier. Un non-évènement suivi d’un autre, la conférence de presse du non-président de la République du 16 janvier.

Il paraît que depuis le 9 janvier, nous avons un nouveau premier ministre, c’est-à-dire, un homme qui depuis l’Hotel Matignon « détermine et conduit la politique de la nation », selon les termes consacrés par la Constitution. Est-il possible, sans consommer des produits illégaux, imaginer Gabriel Attal dans ce rôle ? Impossible, non, difficile, certainement, surtout après avoir constaté qu’il hérite ses principaux ministres du gouvernement d’Elisabeth Borne, et que ceux-ci déclarent rester en poste par la volonté exclusive de l’occupant de l’Elysée sans même en avoir discuté avec le nouveau premier ministre.  

Et ce n’est pas une question d’âge : à 34 ans, on peut avoir beaucoup vécu. Pensez à ces jeunes qui à vingt ans ont connu l’enfer des tranchées. Ou bien ceux qui ont rejoint la Résistance ou la France Libre en laissant tout derrière eux, avec au bout la perspective des batailles, de la torture, de la déportation, de la mort. Quatorze ans plus tard, ils avaient vécu pour beaucoup la fraternité des combats, la peur de l’arrestation, la prison, la déportation, les combats de la Libération et ceux de la reconstruction. Ils avaient vécu des tragédies, et eu l’opportunité d’en tirer les leçons. Plus près de moi, je pense à mon grand-père, qui à trente-quatre ans avait vécu un pogrom, une émigration, le métier de contrebandier, la vie à l’usine, une grève sanglante, une crise économique – celle de 1929 – et formé une famille avec la responsabilité de mettre le pain sur la table tous les jours.

Rien de tel pour Gabriel Attal, exemple presque caricatural du cursus honorum de l’apparatchik socialiste du XXIème siècle, cet homme dont l’histoire tient dans deux arrondissements parisiens, comme l’écrit si joliment « Le Temps ».  Né dans un foyer aisé, éduqué dans la meilleure école privée parisienne que l’argent puisse acheter, passé par cette institution bâtie sur le bavardage qu’est Sciences Po Paris, formé dans la politique étudiante et rentré dans le monde des cabinets ministériels sans passer par la case « boulot ». Sa vie active commence… avec un stage comme attaché parlementaire de Marisol Touraine alors députée, qu’il suivra comme conseiller lorsqu’elle deviendra ministre. Dès lors, tout son parcours se fait dans le petit monde de la politique façon PS. En bon apparatchik socialiste, il se présentera à la première opportunité pour avoir un mandat, ce sera en 2014 pour devenir conseiller municipal à Vanves. Il quittera le parti socialiste lorsque Macron annoncera sa candidature… mais pas avant de s’être assuré de l’investiture du parti présidentiel aux élections législatives. Elu député, il connaîtra une ascension fulgurante. A quoi le doit-il ? A sa connaissance des dossiers ? A sa vision stratégique ? Que nenni : « grâce à son sens politique et à son aisance à l’oral. Et surtout, en profitant du vide. Alors que beaucoup de ses collègues du groupe LREM, composé en majorité de novices, n’osaient pas prendre la parole en public au début de la législature, lui a très vite crevé l’écran en défendant l’action d’Emmanuel Macron avec un aplomb et une facilité déconcertants pour son jeune âge » (Alexandre Lemarié, « Le Monde », 16 octobre 2018).

Mais derrière cette facilité de parole, cet aplomb qui feraient de lui, n’en doutons pas, un excellent directeur de la communication, quelle profondeur, quel vécu, quelle tragédie personnelle, quelle expérience formatrice qui le rendraient réceptif aux joies, aux peines, aux malheurs et aux besoins de la nation qu’il est chargé en théorie de conduire ? Il n’y a chez lui rien, à part l’ambition dévorante. Pas de projet, pas d’engagement, rien. Sa promotion à Matignon réalise les mots prophétiques du cardinal de Retz : « l’homme public ne monte jamais si haut que lorsqu’il ne sait pas où il va ».

Tout ça n’a guère d’importance, parce que personne ne demandera à Gabriel Attal de conduire et déterminer la politique de la nation (1). Non. Le président de la République n’a pas nommé un premier ministre, dont il n’a que faire. Avant lui, le président avait nommé une préfète dont la mission était de faire ce qu’on lui demandait de faire. La mission d’Attal – et il semblerait qu’il l’ait acceptée – est de diriger une campagne électorale, celle des élections européennes. Et non de diriger – et encore moins de former – un gouvernement. Comment le pourrait-il d’ailleurs, alors que ses principaux ministres tiennent leur légitimité et prennent leurs ordres à l’Elysée, et s’en vantent publiquement ? Même le privilège d’annoncer les orientations du nouveau gouvernement lui est dénié : ce sera le président de la République qui, dans sa conférence de presse à peine quelques jours après l’avoir nommé, donnera le « la ». On économise ainsi le travail : Attal n’aura plus qu’à en faire le résumé devant la représentation nationale quand il prononcera finalement – trois semaines après sa nomination, un record – son discours de politique générale.

Ce qui m’amène à la conférence de presse du président. En regardant cet étrange spectacle, je n’ai pu m’empêcher de me demander ce que Mongénéral en aurait pensé. Le décorum était certes digne de la république gaullienne était là : le bureau solitaire, les couleurs nationales, la devise de la République dans laquelle, par une étrange maladresse, la « fraternité » figurait en caractères deux fois plus petits que les deux autres éléments du triptyque républicain. Seul manquait l’élément essentiel, le président de la République.

A sa place, le fauteuil était occupé par un candidat, débitant un discours de campagne. La rémunération du travail ? Tout le monde sait qu’elle se dégrade depuis dix ans, mais le candidat nous promet qu’en 2024 son gouvernement va prendre des mesures « pour mieux gagner sa vie au travail » et s’assurer que « la dynamique salariale soit au rendez-vous des efforts ». Les « déserts médicaux » ? Ce n’est pas un secret que la situation s’aggrave d’année en année depuis vingt ans, mais promis juré, en 2024 on fera ce qu’il faut. La sécurité ? Les trafics gangrènent les quartiers et les points de deal fleurissent au vu et au su de tout le monde depuis des lustres, mais en 2024 « dix opérations « place nette » seront menées chaque semaine contre le trafic de drogue, dans toutes les catégories de ville ». A l’entendre nous expliquer que l’école va mal, que l’hôpital va mal, que l’industrie va mal, que l’ordre public va mal, mais que désormais on va voir ce qu’on va voir, on a l’impression qu’il a oublié qu’il préside aux destinées de la France depuis six longues années, et qu’il participe à la conduite des affaires de la nation au plus haut niveau depuis une décennie.

Comme le politique n’a plus de projet global, pas de boussole qui donne un sens à son action, sa communication ne peut qu’être réduite aux sacro-saintes « annonces », sorte de liste au père noël que présidents et ministres égrènent à chaque apparition publique, et qui est soigneusement composée pour satisfaire chaque segment de l’opinion sans mécontenter les autres. Liste dont les électeurs que nous sommes écoutons la lecture un peu comme les vaches regardent passer le train, parce que l’expérience a largement montré qu’il ne sort jamais de ses rails, et qu’au bout du compte il suit la même voie, qui dans le cas d’espèce est une voie de garage. Mal réfléchies, ne s’inscrivant dans aucune cohérence, ces annonces restent dans la catégorie du vœu pieux, quand ce n’est pas du recyclage d’annonces précédentes, ou de dépenses déjà prévues et qui sont resservies régulièrement. Cela fait penser à ce pays latino-américain raconté par Gabriel Garcia Marquez où chaque autorité nouvellement élue réclame le privilège d’inaugurer un hôpital. Mais comme d’hôpital, il n’y en a qu’un, le méchant bâtiment est régulièrement « inauguré »… (2)

Le macronisme n’a jamais été un projet. Il était et reste la conjuration des ambitions personnelles des seconds couteaux venus de la droite et de la gauche « de gouvernement » qui, dans un contexte de rejet des partis traditionnels, et soutenus par une bourgeoisie et des classes intermédiaires pressées de faire sauter ce qui reste de l’œuvre du Conseil national de la résistance, ont vu une opportunité de prendre le pouvoir. Avec un discours faussement « moderne », en se prétendant « progressistes », en usant et abusant de ce « en même temps » censé contenter tout le monde, ils ont pu faire illusion pendant quelques années. Mais après six ans au pouvoir, l’heure du bilan n’est pas loin : il montre qu’ils n’ont rien à dire au pays, rien à lui proposer, aucune conviction profonde à faire partager, aucun combat collectif à engager. Macron veut jouer le personnage de De Gaulle, mais pour cela il lui manque ce qui faisait l’essentiel du discours gaullien, une « certaine idée de la France ».

Ce manque de vision explique d’ailleurs pourquoi le macronisme est réduit, depuis ses débuts, à jouer les pompiers. L’action n’est pas guidée par un projet, mais par l’urgence de faire face aux crises et aux accidents au fur et à mesure qu’ils se présentent, en général en jetant quelques milliards dans le trou. Quand les gilets jaunes ont cassé l’Arc de Triomphe, ils ont eu 15 milliards entre subventions et réductions fiscales. Quand ça a commencé à s’agiter sur l’inflation, on a jeté soixante milliards en subventions à l’énergie. Et maintenant, alors que les agriculteurs bloquent les routes, qu’est-ce qu’on leur offre ? Un projet pour une agriculture de demain, qui permettra aux agriculteurs de vivre de leur travail ? Non, bien sur que non. On ne leur propose qu’une liste de mesurettes et quelques centaines de milliers d’euros de prolongation de la détaxe sur le gasoil.

Le seul souci de la macronie, c’est de garder le pouvoir, sa seule problématique, c’est de durer. Macron est prêt à signer la loi sur l’immigration la plus droitière de notre histoire, parce que les voix sont à droite. Si elles étaient à gauche, il serait en train de serrer la main des immigrés clandestins à l’Elysée. Attal, qui en son temps conchiait la ligne anti-communautariste de Manuel Valls qu’il estimait trop « jacobine », marque des points en se faisant passer pour l’ennemi numéro un de l’abaya. Tous deux étaient antinucléaires sous François Hollande, quand il s’agissait de fermer Fessenheim, ils jurent pour le nucléaire aujourd’hui – sans qu’on voie d’ailleurs grande chose bouger.  Vous me direz qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Je vous répondrais qu’il ne s’agit pas ici d’avis, mais de discours. Parce qu’en dehors de quelques vagues opinions, je ne suis pas persuadé que Macron pas plus que Attal n’aient de convictions faites sur ces questions, qu’ils aient un véritable « avis » qui serait susceptible de changer. Ou du moins un avis qui résisterait un tant soit peu aux appétits électoraux. L’exemple de la loi immigration, où le président demande à sa majorité de voter un texte qui jette par-dessus bord tout son discours sur la question pour racoler la droite, et n’hésite ensuite, devant la grogne de ses troupes, à demander au Conseil constitutionnel de le refaire, souligne jusqu’à la caricature l’absence de convictions de la tête de l’exécutif. Un célèbre homme politique avait choisi le slogan « mes idées ? mais ce sont les vôtres ! ». Le couple Macron-Attal lui donne largement raison (3).

On dit que si dans les années 1920 l’académie des Beaux-Arts de Vienne avait été moins stricte dans sa procédure d’admission, bien des malheurs auraient été évités au monde. Il est probable que si la Comédie française avait appelé le jeune Emmanuel ou le jeune Gabriel à rejoindre sa troupe, la France se serait bien mieux portée. Beaucoup de commentateurs négligent en effet ce point commun aux trajectoires de notre président et de son premier ministre. Tous deux ont été et sont  des passionnés de théâtre, et celui-ci a joué un rôle important dans leur parcours. C’est vrai pour Macron, qui s’est découvert lui-même et a découvert le seul amour de sa vie dans des cours de théâtre. Cet amour du théâtre ne l’a jamais quitté : c’est une constante de son parcours politique. Depuis 2017, il joue chaque jour une pièce qui s’appelle « moi, président » devant un public de moins en moins nombreux et de moins en moins intéressé. Et en le regardant, on ne peut que rappeler le constat de la pièce d’Eduardo de Filippo qu’il s’était proposé, à 15 ans et avec l’aide de sa professeure de théâtre, de réécrire : « la parfaite vérité, c’est et ce sera toujours la parfaite fiction ».

Gabriel Attal partage avec le président ce détail biographique. Pour lui aussi, le théâtre a joué un rôle fondamental dans sa formation même si, contrairement au président, il n’a pas poussé la chose jusqu’à coucher avec son professeur – quoi que puissent dire les ragots malveillants. On comprend alors pourquoi Macron a choisi Attal. Tous deux agissent comme si la politique était d’abord un spectacle, comme si la mission de l’homme politique était de faire partager une fiction. Peu importe que la couronne soit en laiton, que l’épée soit en bois, pourvu que les gens y croient. Et peu importe que le royaume soit perdu, que le personnage soit mort, puisque le cadavre se relèvera pour rentrer chez lui une fois le rideau tombé. Cela explique peut-être pourquoi notre président donne plus d’importance à la parole qu’à la réalité, pourquoi il est insensible aux désastres et aux malheurs que ses décisions provoquent, pourquoi il semble presque surpris lorsqu’il constate que, contrairement à ce qui arrive lorsqu’on est sur les planches, les paroles ne s’envolent pas lorsque le rideau tombe.

Descartes

(1) C’est d’ailleurs une constante du macronisme que de réduire le rôle du premier ministre. Avec Castex puis Borne, le choix s’était porté sur des hauts fonctionnaires ayant une mentalité préfectorale, c’est-à-dire, aptes à conduire n’importe quelle mission confiée par l’autorité sans états d’âme quelles que fussent leurs convictions personnelles. On pouvait alors parler de « vide » politique, mais au moins était-ce un « vide » techniquement compétent. Avec Attal, on se trouve devant un « vide » qui ne sait faire autre chose que communiquer… sur le vide.  

(2) Comme tous les communicants vous le diront, une bonne campagne s’organise autour d’un leitmotiv. Mitterrand 1981 c’était « la force tranquille », Ségolène Royal 2007 c’était « l’ordre juste ». Macron 2024, ce sera le « réarmement ». Pourquoi pas, après tout. Seulement, parler de « réarmement » implique de caractériser une menace. Or, c’est là le grand absent du discours présidentiel. On est invité à se « réarmer », mais on ne sait pas très bien contre qui, contre quoi. Or, la nature de la menace dicte la forme du réarmement. On ne choisit pas les mêmes armes pour combattre l’islamisme, la finance, le communautarisme ou le déclin économique.

(3) J’entends déjà votre objection, cher lecteur. Prenons la réforme des retraites. N’est-ce pas là un exemple des convictions de notre président ? N’est-ce pas un exemple où il a fait voter par conviction un texte rejeté par une large majorité des électeurs ? La réponse est simple : le texte qui a été voté n’est pas celui que Macron avait défendu. Rappelez-vous : à l’origine, le président voulait une réforme qui instituait un système « à points », ce qui sur le fond n’était pas une mauvaise idée. A la fin, il s’est retrouvé à faire voter une simple mesure d’âge. Un peu l’illustration du principe énoncé par Groucho Marx : « voici mes convictions, mais si elles ne vous plaisent pas, j’en ai d’autres ». Et s’il est resté droit dans ses bottes, ce n’est pas par conviction mais pour deux raisons tactiques : la crainte que reculer sur une réforme emblématique réduise ses marges de manœuvre pour l’avenir, à l’image de ce qui était arrivé à Juppé en 1995 ; et la conviction que le vote mettrait en difficulté le groupe LR…

 

 

Le mot, humble, de Pedrito 

Rien que le titre :  " L'ère du vide " !!!

Magistral !!! 

Merci monsieur Descartes

Si au moins le petit personnage -et sa troupe de guignols- qui règne sur notre pays martyrisé par tant d'incompétences additionnées  pouvait le lire....Et prendre la leçon d'humilité qui leur rendrait raison et sagesse.... 

La pantomime devant la botte de paille restera dans les annales de la Macronie. Et tant d'autres....

On peut toujours rêver.

En attendant: plus les jours passent, plus le désastre submerge le pays.

 

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