lundi 5 février 2024

 

Focus

Gaza «inhabitable», l’impossible enquête de terrain

Gaza est aujourd’hui « inhabitable » selon le Bureau des droits de l’homme des Nations unies. Depuis le 7-Octobre, l’enclave est la cible de bombardements incessants et indiscriminés. Privés d’accès, les observateurs internationaux peinent cependant à connaître l’ampleur exacte de la catastrophe.

Des Palestiniens observent les destructions après une frappe israélienne contre un immeuble résidentiel à Deir al Balah, dans la bande de Gaza, le dimanche 14 janvier 2024.
Des Palestiniens observent les destructions après une frappe israélienne contre un immeuble résidentiel à Deir al Balah, dans la bande de Gaza, le dimanche 14 janvier 2024. AP - Adel Hana

Les mois passent, et les bombardements continuent du nord au sud de la bande de Gaza. Sur le terrain, les observateurs se raréfient, ce qui rend la compréhension de la situation de plus en plus complexe. « Beaucoup de journalistes sont morts, d’autres sont partis. Nous avons de moins en moins d’images et de données pour pouvoir analyser les tirs et bombardements », regrette Emily Tripp directrice d’Airwars. Cette ONG enquête sur les victimes civiles des conflits armés. « Quand vous tuez les gens qui documentent et témoignent des dégâts causés par chaque frappe, vous empêchez aussi la possibilité de dresser un bilan et d’en identifier les auteurs. »

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Airwars à l’habitude de récolter toutes les images et informations possibles pour chaque incident détecté. « Il y a aussi beaucoup d’organisations partenaires qui n’arrivent plus à communiquer avec leurs équipes sur le terrain. Ils ne peuvent donc pas nous aider à recouper les faits et l’analyse est donc très complexe. »

Nous assistons à la destruction d’une société tout entière

Emily Tripp, avance tout de même une comparaison. « Après la bataille de Raqqa [la grande ville syrienne reprise à l’organisation État islamique en 2017.], l’ONU a déclaré que 80% de la ville était inhabitable. La campagne aérienne menée par les États-Unis et ses alliés a duré six mois. Nous savons déjà que les forces israéliennes ont utilisé plus de munitions et avec une plus grande fréquence et un plus grand degré d’imprécision en trois mois sur Gaza, que la coalition internationale en six mois sur Raqqa. »

Le ministère de la Santé du Hamas a déjà comptabilisé plus de 26 700 morts et 65 000 blessés depuis le début de l’opération militaire. « Au-delà de l’impact humain, nous assistons à la destruction d’une société tout entière », selon Emily Tripp. « Des écoles, des canalisations d’eau, des mosquées... Tout est détruit. »

Tous les experts en viennent à la même conclusion. De leur carrière, ils n’ont jamais vu une guerre d’une telle intensité. « Toutes les infrastructures clefs sont touchées, ce qui rend la vie extrêmement difficile, voire impossible dans certaines parties de Gaza », explique Christina Wille, directrice d’Insecurity Insight. Cette association basée en Suisse analyse l’impact de la violence sur la population civile en termes de sécurité alimentaire, de santé et d’éducation. « Dans certains quartiers, même si vous trouvez de la nourriture, vous ne pourrez pas la faire cuire, car il n’y a pas d’eau. »

Gaza City, le 11 octobre 2023.
Gaza City, le 11 octobre 2023. AP - Adel Hana

Des milliers de blessés, plus d’hôpitaux

De la même manière, le manque d’eau, de carburant, d’électricité et dans ce cas précis de médicament affecte le fonctionnement des hôpitaux. « Comment voulez-vous opérer sans équipement, sans lumière ? questionne Christina Wille. Sans électricité, il n’y a pas non plus d’incubateur pour les bébés prématurés. Si un médecin ne peut pas se laver les mains, cela implique de graves problèmes sanitaires. Il y a des conséquences en cascades. »

Les hôpitaux sont, eux aussi, touché par les bombardements. « Certains directement, regrette Christina Wille, d’autres indirectement par des explosions dans les environs ». L’Organisation mondiale de la santé a annoncé la semaine dernière avoir organisé une mission à haut risque pour réapprovisionner en carburant l’hôpital Al-Shifa au nord de Gaza. Dans cet établissement qui était le principal hôpital de la ville de Gaza, il n’y a plus ni maternité ni services pédiatriques. Le principal générateur d’oxygène de l’hôpital a été détruit.

Selon l’OMS, seulement sept des 24 hôpitaux du Nord de Gaza sont toujours ouverts. Ils ne sont que partiellement opérationnels. Même chose dans le Sud de Gaza, où seulement sept hôpitaux sur 12 sont partiellement opérationnels, selon l’agence de l’ONU.

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« Avec la mise hors d’état de fonctionner de l’hôpital Nasser et de l’hôpital Européen de Gaza, il n’y a virtuellement plus de système de santé à Gaza », affirme Guillemette Thomas, coordinatrice médicale de Médecins Sans Frontière en Palestine.

La difficile collecte de preuves

Si des chiffres exacts et vérifiés sont difficiles à obtenir, la désignation formelle de l’auteur des dégâts est également difficile à prouver sans présence sur le terrain pour collecter des preuves. « Quand on peut prouver que les dégâts ont été causés par une frappe aérienne, il est certain que c’est une frappe israélienne, explique Christina Wille, même si elle reconnaît ne pas toujours pouvoir le prouver à l’heure actuelle. La majorité des tirs d’artilleries sont également israéliens puisque le Hamas n’a pas d’artillerie de ce type. »

La chercheuse reconnaît qu’il est possible que certaines actions du Hamas ne soient pas dénoncées par la population de la même manière. Israël a également accusé le groupe aux commandes de la bande de Gaza d’utiliser la supposée protection des hôpitaux pour y cacher leurs armes ou des entrées de tunnels. « Encore une fois, on ne peut pas savoir ce qui relève de la propagande ou de la vérité puisque les observateurs internationaux ne sont pas autorisés à évaluer le terrain. »

Dans son ordonnance, la Cour internationale de justice a rappelé en fin de semaine dernière que « l’opération militaire conduite par Israël après le 7 octobre 2023 a notamment fait des dizaines de milliers de morts et de blessés et causé la destruction d’habitations, d’écoles, d’installations médicales et d’autres infrastructures vitales, ainsi que des déplacements massifs de population. » Israël a aujourd’hui un mois pour rendre compte à la Cour de l’application sur le terrain de mesures de préventions pour empêcher un génocide.

« Mais les Forces israéliennes sont-elles capables d’analyser les dégâts causés par chaque frappe ? » questionne Emily Tripp. « C’est normalement une procédure réalisée après chaque frappe par les armées selon le droit international. Il va donc être important que les Israéliens montrent qu'ils sont bien conscients des pertes causées par leurs actions. »

Wadi Gaza, dans la bande de Gaza, le 28 novembre 2023.
Wadi Gaza, dans la bande de Gaza, le 28 novembre 2023. AFP - MAHMUD HAMS

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