Des élections inhabituelles pour le Donbass, par Serguei Mirkine
Voici le témoignage de ce jour de vote dans le Donbass. A l’inverse des habitants d’Odessa et de Kherson considérés comme particulièrement expansifs, des méridionaux, les habitants du Donbass sont des taiseux, un peu comme le sont les mineurs du Pas de Calais. Ils ne se bercent pas de mots et obtenir leur confiance est difficile, la description de cet accès enfin à la citoyenneté russe reflète une profonde vérité pour qui a côtoyé ce monde-là. Nous vous renvoyons à ce texte dans notre livre : “l’homo sovieticus ne fait plus de politique” il décrit déjà ce mode d’être du Donbass. Il n’y a pas que le Donbass, on retrouve partout dans toute l’ex-Union soviétique mais aussi dans les ex-pays du pacte de Varsovie, ce profil, chez ceux qui partout se considèrent comme russes, voire soviétiques cette ténacité sans illusion, rien ni personne n’a pu les faire plier. Ils sont plus ou moins majoritaires, mais dans le Donbass il n’y a pas de doute. L’afflux dans les bureaux de vote ne s’invente pas et la propagande occidentale n’a pas pu ignorer à quel point du côté de Donetsk, ville martyrisée depuis tant d’années le refus de l’Ukraine qui leur a envoyé des bombes et des troupes nazies est profond dans une terre qui n’avait accepté son rattachement à l’Ukraine que sur la demande de Lénine qui souhaitait donner une base ouvrière à cette “marche” (traduction de “Ukraine”) tiraillée entre les influences impériales diverses. (Note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)
https://vz.ru/opinions/2024/3/18/1258683.html
Texte : Serguei Mirkine, journaliste, Donetsk
Le dernier jour de vote coïncidait avec le dernier jour de la
Maslenitsa [la Chandeleur russe, NdT], de sorte que des crêpes ont été
offertes aux électeurs dans de nombreux bureaux de vote de Donetsk. Dans
le bureau de vote où j’ai voté, on ne m’a pas offert de crêpes et, en
général, tout s’est déroulé comme d’habitude : je suis entré, j’ai
obtenu un bulletin de vote en fonction de mon adresse d’inscription,
j’ai voté et je suis parti. Il n’en reste pas moins qu’il s’agissait
d’une élection inhabituelle. La première élection présidentielle russe
dans le Donbass.
Presque toutes les personnes que je connais sont
allées voter, même celles qui ne s’étaient jamais rendues aux urnes. Mon
ami, qui n’a toujours pas de tampon d’enregistrement dans son passeport
russe, n’a pas eu le temps d’en mettre un. Pour voter, il a pris deux
passeports : un passeport russe et un passeport de la DNR – avant que la
République populaire de Donetsk ne fasse partie de la Russie, de
nombreux résidents de la république obtenaient leur passeport auprès des
services de migration de la région de Rostov, qui leur délivraient un
document dépourvu de tampon d’enregistrement. Cela a créé un conflit
juridique : nous sommes devenus citoyens de la Russie, mais comme nous
ne vivions pas sur le territoire russe, nous n’étions pas enregistrés. De jure,
en vertu des accords de Minsk, les LDNR était toujours considérée comme
un territoire ukrainien. Pourquoi cette excursion dans l’histoire
récente ?
Sans le mentionner, il est difficile de comprendre
l’importance de ces élections de mars pour les habitants du Donbas.
Lorsque j’étais enfant, j’ai lu une histoire dans laquelle un garçon
s’était perdu, avait erré pendant de nombreuses années et avait souffert
d’épreuves. Puis sa famille le retrouvait. Mais il a caché de la
nourriture pendant longtemps, car il n’était pas sûr que ses parents le
nourriraient tous les jours. Ce n’est que lorsque sa mère a préparé un
gâteau pour son anniversaire et qu’il a reçu des cadeaux qu’il a compris
qu’il s’agissait de sa famille. Pour beaucoup de gens dans le Donbass,
les élections sont comme cet anniversaire pour le petit garçon, un
gâteau d’anniversaire. Mon ami m’a dit qu’après avoir voté, il s’est
enfin senti citoyen russe à part entière, même s’il a reçu son passeport
en 2020.
On se rend compte de la véritable importance d’une chose
lorsqu’on l’obtient non pas facilement, mais à la suite d’un travail
acharné ou d’une lutte. C’est pourquoi, contrairement à de nombreux
citoyens russes des anciennes régions, qui ont reçu la citoyenneté russe
par droit de naissance, dans le Donbass, nous considérons le passeport
russe non pas comme un acquis, mais comme une valeur. Et la
participation aux élections confirme que vous êtes un citoyen non
seulement au sens juridique, non seulement par votre passeport, mais
aussi par essence. Vous exprimez votre opinion sur l’avenir du pays dont
vous êtes désormais citoyen.
Pour les habitants du Donbass qui ont
voté en faveur de l’indépendance des républiques en mai 2014, espérant
qu’il s’agissait du premier pas vers la réunification avec la Russie,
pour ceux qui ont reçu ces mêmes passeports sans propiska – c’est très
important, c’est l’étape finale pour devenir des citoyens de la Russie.
Le
taux de participation dans la DNR et la LNR a atteint près de 90 %,
dans les régions de Zaporizhzhia et de Kherson, plus de 80 %. Étant
donné qu’il n’y a pas eu et qu’il ne pouvait pas y avoir d’intrigues
dans les élections, que toutes les enquêtes sociologiques ont donné sans
équivoque la victoire à Vladimir Poutine, et avec une large marge sur
ses concurrents, un tel taux de participation est la preuve du soutien
des habitants du Donbass et de la Tauride à la politique du président.
Les
nouvelles régions ont des trajectoires historiques différentes et la
mentalité de leurs habitants est différente, mais il existe une
compréhension commune de la nécessité de vaincre le régime issu du
Maidan. Tant que la racaille nazie sera à la tête de Kiev, il n’y aura
pas de paix pour les nouvelles régions, tout le monde le comprend. Bien
sûr, certains individus attendent toujours le retour de l’Ukraine. Mais
soit ils devront changer leur vision de la vie, soit ils n’auront pas de
place dans la société.
La vie dans les régions de la ligne de front
est difficile. À Donetsk, quand on sort de chez soi, on n’est jamais sûr
de rentrer et de ne pas être victime d’un missile ukrainien. La
libération d’Avdeevka et des villages proches a certainement facilité la
situation des habitants de la ville, mais elle n’a pas complètement
éliminé le problème du bombardement de la capitale du Donbass. Il est
d’autant plus important que les gens se soient rendus dans les bureaux
de vote, car le vote à distance n’était pas prévu dans le Donbass.
Ils
sont également venus parce qu’ils voient comment la vie change. Par
exemple, les autorités ukrainiennes n’avaient pas pris la peine de
terminer l’hôpital d’urgence dans le quartier de Goluboy depuis plus de
20 ans. La construction du bâtiment de dix étages avait débuté sous
l’Union soviétique, mais sous le régime ukrainien, elle avait été gelée.
Lorsque le Donbass a été rattaché à la Russie, malgré les hostilités,
une construction à grande échelle a commencé dans toute la république.
De nouveaux bâtiments sont construits et ceux qui ont souffert des
bombardements sont réparés. Des quartiers entiers sont en train d’être
construits à Marioupol. Un nouveau centre périnatal a été construit à
Donetsk. Une nouvelle conduite d’eau a été construite et mise en
service, qui approvisionne la DNR en eau provenant du Don [pendant des
années, il n’y avait d’eau courante que quelques heures par semaine, et
l’armée ukrainienne prenait bien soin d’empêcher toute réparation des
conduits; les habitants devaient se rendre à des points de distribution
d’eau, régulièrement bombardés, NdT]. Et tout cela dans des conditions
de guerre. Les gens le voient et les habitants du Donbass ne peuvent pas
être accusés d’ingratitude.
D’une part, ces élections ont confirmé
le droit des habitants des nouvelles régions à participer à
l’élaboration de l’avenir de toute la Russie. Elles leur ont permis de
se sentir citoyens russes à part entière. D’autre part, le taux de
participation élevé montre que les habitants des nouvelles régions
reconnaissent la justesse de la démarche des autorités fédérales.
Un communiste français, observateur à Donetsk, sauve l’honneur
André Fadda m’écrit [à Marianne] de Donetsk :
Je suis présent avec des camarades communistes et antifascistes de plusieurs pays
Le
secrétaire général du DKP de Berlin est avec moi. Je le connais depuis
1984. On était à l’époque au Nicaragua avec les sandinistes.
Je faisais partie de la caravane antifasciste organisée par la Banda Bassotti, groupe de musique italien communiste, et avec des camarades du DKP allemand, des communistes portugais, une palestinienne, des communistes et antifascistes espagnols, un Basque… Nous étions 15 et moi le seul de France.
Cette « brigade » est organisée tous les ans. On ramasse du matériel scolaire pour les orphelinats du Donbass. J’ai assisté à des témoignages très durs sur les massacres des nazis. J’ai rencontré des élus, des citoyens et des combattants. Ainsi que Stanislav Retinsky du PC de Lougansk et Alexey Albou (1), survivant de la Maison des syndicats et ex-élu d’Odessa. Également Oleg Akimov, des syndicats de Lougansk.
Les tirs d’artillerie ont les entend tous les jours. Ce matin, ils
tiraient encore à 7 h. Sans doute, avec les munitions envoyées par
Macron ces derniers jours. La ligne de front est à seulement 6 km d’où
je me trouve. Honte à eux !!
Kiev et ses bataillons nazis ont
menacé, par des tracts et des émissions radios, les électeurs de les
assassiner s’ils participaient au vote.
J’ai pu assister à une
participation massive aux élections. Tant à Donetsk comme à Berdiansk et
ce soir à Melitopol. Les fascistes ont tiré au canon sur des bureaux de
vote dans l’oblast de Zaporozhie. À Berdiansk un commando de saboteurs à
fait exploser un engin. J’ai pu constater les dégâts. Je t’enverrai les
photos.
Malgré cela les gens sont allés voter. Certains m’ont dit
que peu importe le candidat, ils exerçaient le droit de vote pour
manifester leur attachement à la Russie. Des vieux mais aussi des
jeunes.
J’ai été également présent dans des bureaux de vote et j’ai pu constater l’affluence et la tenue d’élections propres et calmes malgré des attaques lancés par les nazis. Plusieurs morts et blessés lors d’attentats et tirs d’artillerie sur les bureaux de vote.
…
André m’envoie une vidéo sur mon téléphone : Marina, enterre ses trois enfants, âgés de 2, 9 et 16 ans, victimes de l’attentat criminel de l’armée ukrainienne vendredi 15 mars 2024 contre le quartier Petrovsky de Donetsk.
Le père de sa plus jeune fille, tuée au combat à l’âge de 34 ans, a également été inhumé dans ce même cimetière en janvier 2023.
Je suis présent avec des camarades communistes et antifascistes de plusieurs pays
Le
secrétaire général du DKP de Berlin est avec moi. Je le connais depuis
1984. On était à l’époque au Nicaragua avec les sandinistes.
(1) Voir l’article https://histoireetsociete.com/2024/03/18/odessa-nous-navons-compris-que-nous-etions-dans-le-faux-que-lorsquils-sont-venus-pour-nous-tuer-par-dmitri-rodionov/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire