mercredi 20 mars 2024

 

Guerre en Ukraine : les mensonges économiques du gouvernement, par Jacques Sapir

 Les Crises

Le 12 et le 13 mars, à l’Assemblée Nationale et au Sénat, a eu lieu un débat avec vote « consultatif » au sujet du soutien apporté par le gouvernement français au gouvernement ukrainien dans le cadre de « l’accord de sécurité » qui avait été signé le 16 février précédente entre le Président Emmanuel Macron et son Homologue ukrainien Volodymir Zelenski. Cette procédure, assez hypocrite car le vote était dépourvu d’enjeu, se tenait néanmoins après des déclarations inquiétantes d’Emmanuel Macron, évoquant une éventuelle présence de troupes françaises en Ukraine.

Au-delà de l’enjeu de vote, un vote cependant purement symbolique, il faut revenir sur les discours qui furent tenus à cette occasion par le Premier ministre, M. Gabriel Attal (pour l’Assemblée nationale) et par le Ministre des Affaires étrangères, M. Stéphane Séjourné (au Sénat), avec des propos remplis de mensonges et contre-vérités.

Les mensonges économiques de Gabriel Attal et de Stéphane Séjourné

MM Attal et Séjourné ont menti, l’un devant l’Assemblée National et l’autre devant le Sénat, c’est sur les conséquences économiques de la guerre. Dans son discours, Gabriel Attal dit les choses suivantes : « Une victoire de la Russie, c’est un danger direct pour notre sécurité alimentaire. La Russie et l’Ukraine sont les deux plus grands producteurs de céréales au monde. Si la Russie prenait le contrôle des céréales ukrainiennes, elle serait libre de faire monter les prix comme bon lui semble en réponse à nos sanctions, menaçant directement nos agriculteurs et le pouvoir d’achat des Français »[1].

La France est autosuffisante pour les céréales alimentaires et elle est-même exportatrice. Donc, si la Russie avait réellement le pouvoir de faire monter les prix, cela bénéficierait aux agriculteurs français et le gouvernement pourrait parfaitement capturer par des mesures fiscales cette partie de la rente accumulée par les exportateurs français pour faire baisser les prix dépendants de ces céréales en France. Soit M. Attal ne connait rien aux mécanismes économiques, soit il ment.

Il rajoute sur ce sujet économique : « Nous avons réussi à tenir face au chantage gazier de la Russie, mais si elle se trouvait en position de force après l’avoir emporté sur l’Ukraine, elle serait en mesure de déstabiliser davantage encore le marché avec à la clé des factures d’énergies et des prix à la pompe qui explosent plus encore [2]».

Tout d’abord, rappelons que c’est l’UE (et donc la France) qui dans le cadre des différentes vagues de « sanctions »[3], et non la Russie, qui a voulu imposer un paiement du gaz et du pétrole en Euro tout en imposant à la Russie de ne plus pouvoir rapatrier ses euros sur son territoire. Cela équivalait à consommer sans payer. Naturellement, la Russie a exigé que les gaz et le pétrole soient payés en Rouble. On le voit, il n’y a aucun chantage mais la simple volonté d’un producteur de récupérer son argent. Ensuite, qui a fait sauter le gazoduc Nord-Stream 2 dans une mer parfaitement contrôlée par l’OTAN ? La justice danoise tout comme la justice suédoise ont refusé de répondre…

Sans les gazoducs, le seul moyen d’approvisionnement de l’Europe, et de la France, repose sur le GNL et les méthaniers. Mais, passer du gaz de gazoducs au GNL entraîne un surcoût d’environ 25% à 30%. Là encore, la « volonté » de la Russie n’est pas en cause et son prétendu « chantage » est inexistant. Ce sont des contraintes techniques dans lesquelles les pays de l’UE (et la France) se sont précipités la tête la première qui ont provoqué les hausses de l’énergie. Ajoutons à cela la réglementation européenne sur le marché de l’énergie qui a profondément aggravé les choses pour le consommateur français.

Dernier point proféré par Gabriel Attal, le fait que les hausses des prix des carburant à la pompe seraient le fait de la Russie, ce qui constitue un nouveau mensonge. Les prix de l’essence (et du gazole) n’augmentent pas du fait de la volonté maligne de la Russie. Ils augmentent parce que les prix du pétrole sur le marché mondial augmentent (ils sont à l’heure actuelle au-dessus de 80 dollars le baril) mais ils restent inférieurs au pic historique atteint de fin 2007 à fin 2012 où ils avaient atteint et dépassé les 100 dollars le baril. L’effet prix ressenti par les utilisateurs « à la pompe » comme le dit Gabriel Attal doit en réalité bien plus à la fiscalité française qu’aux prix du pétrole.

Nous avons donc ici mensonge sur mensonge de la part du Premier ministre. Ce qui est particulièrement grave, c’est que ces mensonges ont été proférés à l’Assemblée Nationale. Que penser d’un Premier ministre qui ment ainsi, ouvertement, délibérément, aux législateurs ?

Mais, le Ministre des Affaires Étrangères, M. Stéphane Séjourné, n’a visiblement pas voulu être en reste sur le Premier ministre[4]. Il a exprimé ses « doutes » quant aux résultats de l’économie russe. Ignore-t-il que les résultats pour 2022 et 2023 (-1,2% en 2022 et +3,0% à +3,6% en 2023) ont été validés par une organisation internationale qui s’appelle le FMI[5], et qu’ils correspondent à l’avis de très nombreux économistes ? Sous-entend-il que le FMI serait contrôlé par les russes, voire – horresco referens – pro-Poutine ?

Source: FMI (Janvier 2024) et prévisions long-terme du CEMI-CR451

Ignore-t-il enfin que la comptabilité nationale n’a pas pour but de faire le fier-à-bras dans les relations internationales, mais de fournir des informations vitales pour des décisions économiques tant aux administrations publiques qu’aux entreprises privées ? Que, donc, si le gouvernement russe avait voulu produire de fausses données, et avait réussi à tromper le FMI (chapeau à eux dans ce cas), il aurait dû produire aussi des données non faussées pour ses administrations et pour des milliers d’entreprises, et faire tout cela en secret ?

Même du temps de l’URSS, et dans des conditions bien différentes de contrôle social et politique, le gouvernement soviétique en était incapable. Pour qui doute, je le renvoie à ma thèse d’État (disponible au fichier des thèses tenue par l’Université de Paris-X Nanterre) et au livre qui est tiré de cette dernière[6].

Il nous faut donc conclure que M. le Ministre des Affaires Étrangères a donc, lui aussi, fourni de fausses informations aux sénateurs. Ce faisant, il s’est ridiculisé. Mais, ce faisant, il a aussi méprisé son auditoire et indiqué, implicitement, en quelle considération le gouvernement tenait le Sénat.

Note

 Les surlignages sont de Pedrito

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