“Attention au relâchement” : l’infantilisation des Français comme stratégie politique.
Alors, on se relâche ? C’est ce qu’ont dit BFM TV, France 2,
mais aussi cette personne interviewée en micro-trottoir qui trouve qu’il
y a trop de monde dans la rue… où elle se trouve. Pour
dresser les gens les uns contre les autres et minorer leur colère, rien
de mieux que de les faire passer pour des gosses intenables : une
tradition politique et médiatique française que le coronavirus a mené au
sommet de son art.
“Les vacances vont dépendre des efforts des Français”, nous tance Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire
d’Etat au tourisme. Nommé en 2017, personne n’a entendu parler de lui
en trois ans, mais il vient tout de même s’adresser à nous comme si nous
n’avions pas plus de neuf ans et demi. Il maîtrise d’ailleurs tellement
bien son sujet qu’il semble ignorer qu’environ la moitié des Français ne partent pas en vacances en temps normal,
notamment à cause de tous les “efforts” salariaux qu’ils ont dû fournir
depuis la crise de 2008. Une information que ne connaissent pas non
plus les petits bourgeois du HuffPost qui titrent, alarmés, “déconfinement : près de la moitié des Français ne partiraient pas en vacances cet été”. C’est fou, presque autant que l’année dernière !
Il n’empêche que ce chantage aux vacances ressemble fort aux
punitions collectives, que certaines et certains d’entre vous ont pu
connaître à l’école : “il y en a qui parlent, donc tout le monde est privé de récré !”.
Au delà du souvenir émouvant, ce procédé a pour effet de diviser les
gens entre les “bons”et les “mauvais” confinés et, surtout, de faire
disparaître la responsabilité des ministres de l’équation. Si vous
entendez bientôt des “à cause de toi, on passera à côté du déconfinement et même de nos vacances”, c’est que l’infantilisation fonctionne à merveille.
Après avoir entendu la prose du secrétaire d’Etat, vous décidez
d’aller chercher votre pain. Mais avez-vous bien rempli votre
autorisation de sortie ? L’avez-vous faite signée par votre parents ?
Vous prenez un flan et trois chouquettes, est-ce bien nécessaire ? Tout
ce sucre, cela constitue t-il un produit de première nécessité ? Un flic pourrait bien aller jeter un œil dans votre besace et vous coller une punition.
Dès le début du mois d’avril, au commencement de notre 3ème
semaine à nous la couler douce, heureusement édifié par France Inter
qui nous apprend comment gérer tout ce temps libre (yoga, podcast,
confection d’anchoïade de truffes au grand marnier, etc), le ministre de
l’économie Bruno Le Maire prévenait : des “efforts seront attendus”. Europe 1 nous expliquait, avec le zèle de l’élève du premier rang qui a bien écouté sa leçon du jour :
“Sans être dit tel quel par le ministre de l’Économie, ça signifie
aussi sûrement qu’il va par exemple leur falloir adapter leur vacances
cet été pour récupérer le temps perdu, et produire ce qu’il faudra
produire.” Les salariés qui estiment produire ou acheminer des
biens non-essentiels, comme ceux d’Amazon, sont priés d’obéir à leur
manager.
Tout le monde devra faire des efforts. Mais aux adultes, que sont les
patrons et les actionnaires, le gouvernement demande poliment :
pouvez-vous ne pas vous verser de dividendes, s’il vous plaît ? Non ?
Bon, tant pis, ce n’est pas grave, vous savez certainement ce que vous
faites.
Nous sommes des enfants irresponsables … depuis le référendum de 2005
Nous autres sommes de grands enfants, mais le confinement ne fait que
mettre en valeur ce qui était déjà le cas, dans la tête de nos
journalistes et de nos politiques, auparavant. Chaque 1er mai, en effet, nous faisons déjà de grandes “chamailleries”,
à jouer au chat avec la police. Jeu de matraque rend patraque, jeu de
grenade tue des vieilles dames. Cela reste bon enfant. Le 1er mai 2018,
le petit Alexandre Benalla a eu son casque, et il a défoncé la tronche
d’un petit manifestant qui était de toute façon un cancre. Macron s’est
donc pris au jeu : “venez me cherchez, nananère !”, a-t-il déclaré face à ses playmobils de l’Assemblée nationale.
Avant le confinement, déjà, nous étions immatures, à penser qu’il y
avait de l’argent magique qui poussait dans les arbres, où que notre
avis politique avait de l’intérêt pour nos dirigeants. La dernière fois
qu’ils nous ont posé une question politique, c’était en 2005, et nous
avions rendu une copie lamentable, souvenez-vous, à refuser d’un “non”
massif leur projet d’Europe encore plus libérale et austéritaire. Trop
xénophobes, pas assez au courant des “impératifs économiques de notre
temps”, dans un monde “de plus en plus complexe”, il était trop
ambitieux de nous demander notre avis, à nous autres.
“Un des leurres de la démocratie consiste à croire que nous
serions tous à même d’émettre un jugement rationnel et pertinent. Or il
apparaît, au terme de notre étude, que l’économie est une faille majeure
dans notre débat démocratique”. C’est ce que concluaient deux chercheurs de la fondation Jean-Jaurès, ce think tank d’adultes socialistes et macronistes, après une interro surprise par téléphone courant 2018.
Sauf que, depuis, nous nous sommes pris pour des élèves de grande
section. Les gilets jaunes nous ont amené à penser que notre avis
pouvait compter, que l’on pouvait dire que c’était injuste de faire
payer moins d’impôts aux riches et que donner 20 milliards de crédit
d’impôts aux entreprises sans contrepartie (le CICE), c’était tout
simplement abusé. Le prof de science éco, Monsieur Macron, est venu
remettre les choses à leur place : “Jojo avec un gilet jaune a le même statut qu’un ministre ou un député!”. Retourne mater Cyril Hanouna et laisse faire les grandes personnes, jojo.
L’incident s’est reproduit avec la réforme des retraites, où des
cheminots, des profs et des salariés de divers secteurs ont voulu, là
encore, donner leur avis. “Certains sont en grève parce qu’ils ne comprennent pas tout, donc c’est notre travail d’expliquer” déclarait alors Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation – c’est dire s’il en connait un rayon côté pédagogie pour enfants (ou pas)
Première partie.
Titre de Pedrito
Première partie.
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