Il s’agit évidemment d’un simple fait divers, comme il en arrive hélas dans le monde entier, en France, en Ukraine comme ailleurs. Mais l’homme en question, un certain Petro Bigoun n’est pas n’importe qui… c’est en effet un cadre du parti néonazi Pravy Sektor, mais aussi une petite célébrité de la télévision ukrainienne, participant d’une émission de TV réalité. L’homme fut aussi inspecteur de police, avocat, homme d’affaires, psychologue et conseiller en management… et lié à une organisation mafieuse puissante. L’on pourrait se croire dans un film, qui dépasserait la réalité, mais véritablement il fut lié à l’un des plus puissants oligarques d’Ukraine, député de la Rada, recherché en Ukraine, et à la tête d’un réseau de raids et expropriations de biens immobiliers. Lui même candidat à la Rada d’Ukraine, il ne put s’asseoir sur un siège de député et termina sa triste carrière en tueur implacable, dépeceur du cadavre de sa nouvelle compagne et désormais, comme il l’avait souhaité, connu dans toute l’Ukraine et bien au-delà. En écrivant son histoire je m’attendais simplement à découvrir une sordide histoire de crime passionnel. J’ai trouvé pire, le tout me conduisant du parti Pravy Sektor, à la mafia et aux politiciens les plus corrompus et surtout à un homme qui aurait dû dès 2017, se trouver derrière les barreaux suite à l’affaire de la tentative d’expropriation d’un centre commercial de Lvov, dont la construction avait tout de même coûté la modeste somme de 42 millions de dollars.
Petro Bigoun un néonazi ordinaire d’Ukraine lié à un système mafieux. Cette violence qui s’est abattue sur l’Ukraine dès le Maïdan, n’a jamais quitté la société ukrainienne. Elle s’exprime par une recrudescence du banditisme, phénomène bien connu des pays en guerre, on se rappelle par exemple des exploits de Pierrot le Fou dans la France d’après-guerre, ou encore des anciens pays de la Yougoslavie. Trafics d’armes et de munitions, rackets, kidnapping, rançons, rapts de biens y compris immobiliers, corruption des élites, des politiciens, de la police, de l’armée, de l’administration, l’Ukraine qui était déjà à un niveau de corruption élevée, a battu tous les records, peut-être du jamais vu en Europe. On parle également de trafics humains, d’enfants notamment, mais aussi de femmes, d’organes, de laboratoires anglo-saxons dont il reste à découvrir tous les tenants et aboutissants de leurs recherches. Alors certes Petro Bigoun est un tueur comme il en existe partout dans le monde, en Russie, aux États-Unis, en Occident. Mais il est intéressant de se plonger dans l’histoire de ce personnage. Petro Bigoun est né en 1985 dans la ville de Doudinka, dans l’oblast de Krasnoïarsk, en Russie, URSS. Il était en fait originaire d’une famille ukrainienne, qui se réinstalla en Ukraine. Il fit des études supérieures dans l’Académie nationale de l’administration publique d’Ukraine, et fréquenta encore d’autres universités à Kiev et Donetsk. Il se lia bientôt aux milieux ultranationalistes et néonazis et fut un chaud partisan du Maïdan. A sa formation, il devînt un membre du parti néonazi Pravy Sektor (hiver 2013-2014). Militant très actif, il participa à de nombreuses manifestations extrémistes, comme ici sur cette photo où on le voit à côté de drapeaux du Parti National-Socialiste d’Ukraine, le parti Svoboda, et devant un portrait du collaborateur de l’Allemagne nazie, Stepan Bandera. Il fut mêlé à un gang qui se livrait à des raids contre des entreprises et biens immobiliers, pratique qui s’est développée énormément depuis le début de la guerre, d’abord dans le Donbass et dans certaines régions d’Ukraine, notamment Dniepropetrovsk, avec l’organisation mafieuse de l’oligarque Igor Kolomoïsky (2014-2016). Ces raids visaient parfois des entreprises russes ou en général des particuliers perçus comme pro-russes, avec l’intention de leur voler leurs biens. La méthode était toujours la même, l’assaut d’hommes cagoulés hypers violents, faisant pression pour obtenir le transfert de propriétés, parfois aussi à des rackets. Mais un autre système de raids s’est développé dans tout le reste du pays, surtout sous la présidence de Ianoukovitch et de Petro Porochenko (2010-2019), beaucoup plus subtil. La méthode était la production de documents falsifiés de propriétés, afin d’obtenir la saisie de différents biens immobiliers, en utilisant des leviers judiciaires, administratifs et policiers tout à fait légaux. Il fut mêlé à l’une de ces tentatives voulant s’emparer d’un centre commercial à Lvov, le Victoria Gardens (2017). Il en devînt soudainement illégalement le directeur et propriétaire, lié à une bande d’escrocs internationaux ukrainiens et turcs. Il était à cette époque un homme de main et prête-nom de l’oligarque et mafieux Youri Ivaniouchienko (1959-).
L’homme de main du puissant Ivaniouchienko. Ce dernier personnage est originaire du Donbass, de la ville d’Enakievo, où il réalisa d’abord une longue carrière, montant dans l’industrie tous les échelons, du simple ingénieur au poste de directeur (1981-1996). A partir de là, il entama bientôt une carrière politique, candidat non élu à la Rada d’Ukraine dans le Parti des Régions de Ianoukovitch (2007), mais finalement élu quelques années plus tard (2012-2014). Il fut cependant rapidement suspecté, notamment par son extraordinaire enrichissement depuis quelques années, dans le détournement de biens d’autrui, dans un système devenu une véritable organisation mafieuse, puissante, organisée, ayant des connexions partout dans les ministères et les administrations. L’argent coulant à flot, il acheta 50 % des actions d’Azovmash à Marioupol (2011), et possédait des actions dans plusieurs banques ukrainiennes (2014). Sa richesse faisait véritablement scandale quand il siégeait à la Rada (où il ne vînt qu’à 7 séances durant son mandat), au point que des photos d’une de ses villas furent rendues publiques, une bicoque de 8 000 m² sur un domaine de 35 hectares dans le quartier de Koncha-Zaspa à Kiev (février 2014). Le procureur général d’Ukraine lança finalement un mandat d’arrêt contre lui, mais il ne fut pas découvert à son domicile, déjà averti de la venue des policiers (15 décembre 2014). Il prit la fuite et se réfugia bientôt dans une autre de ses propriétés en Suisse, où il se trouve toujours. Les autorités ukrainiennes lancèrent contre lui d’importants poursuites, faisant geler une somme de 72 millions de Francs suisses dans divers comptes se trouvant dans la Confédération Helvétique (mars 2014). Les recherches pour s’emparer de ses fonds, menèrent également en Lettonie, avec le gel de 30 millions de dollars, en Lituanie, avec le gel de 26 millions de dollars et à Monaco. Intouchable et inatteignable, il fit intervenir en sa faveur des députés de la Rada, qui déclarèrent illégales les poursuites lancées contre lui, jusqu’à que la cour suprême d’Ukraine se décide à fermer toutes les procédures pénales ouvertes contre lui (28 février 2017). L’Union européenne clôtura peu après ses propres sanctions contre l’oligarque qui avaient été lancées en 2015. Tous les efforts pour le mettre sous les barreaux furent anéantis en un instant, et l’homme recommença à distance son système de raids contre diverses propriétés privées. Il fut impliqué dans diverses affaires, usant d’hommes de main pour cacher ses raids, mais tout de même suspecté dans l’affaire du Victoria Gardens à Lvov (2017), puis dans les tentatives de vols de deux entreprises à Odessa (dont un autre célèbre centre commercial), qui donna lieu à une procédure pénale, finalement également abandonnée (avril 2019). La Lettonie fit pression pour que le gel des fonds soit levé par l’Ukraine ou que les 30 millions de dollars du mafieux soient versés dans ses caisses (février 2020), ce qui fut bientôt entériné (6 avril, puis validé (18 février 2021). En Suisse, les choses se gâtèrent également après l’opération spéciale russe du 24 février 2022. La Suisse annonça qu’elle se penchait sur la possibilité d’envoyer à l’Ukraine les avoirs gelés du président Ianoukovitch et d’Ivaniouchienko, pour ce dernier estimé à 104 millions de dollars (25 mai 2022). Je cite « ainsi la Suisse soutient l’Ukraine qui fait face à certaines difficultés dans ses efforts pour confisquer ces avoirs. Ces difficultés se sont intensifiées avec le début de la guerre en Ukraine, le Conseil fédéral estime que le début de la procédure de confiscation en Suisse est maintenant possible et opportun ». Sa fortune était estimée à environ 200 millions de dollars avant les saisies, et le personnage ne semble pas avoir manqué de quelque chose jusqu’à présent. Petro Bigoun n’était vous l’aurez compris, qu’un simple prête-nom, afin de poursuivre les opérations de raids de l’oligarque. Ce dernier vînt négocier en Ukraine en grand secret (qui fut éventé), au moins à deux reprises pour rencontrer le Président Porochenko, malgré qu’il fut recherché (et est toujours recherché), en Ukraine.
De l’inspecteur de Police à l’homme d’affaires prospère. Le plus cocasse est qu’il fut un temps un enquêteur du Ministère de l’Intérieur, travaillant pour le bureau du procureur de Kiev. Il fut toutefois bientôt mis dehors de la police, pour avoir falsifié des documents (une mauvaise habitude décidément !), notamment de fausses demandes d’accès à des archives et documents confidentiels du Ministère de l’Intérieur. L’affaire déclencha une procédure judiciaire contre lui, par un tribunal de Kiev (2017), qui se solda par un accord tacite, à savoir qu’il reconnaîtrait les faits et plaiderait coupable. Il s’en sortit à bon compte avec libération immédiate mais une peine d’emprisonnement avec sursis et une période probatoire d’une année. La sanction mis évidemment fin à sa carrière d’inspecteur, d’autant qu’il fut également arrêté la même année pour l’affaire du Victoria Gardens de Lvov. La justice trancha finalement en faveur du véritable propriétaire du centre commercial. Là encore ses puissants soutiens en terminèrent vite avec une procédure judiciaire entamée contre lui qui fila bientôt dans une corbeille à papier. Il est important ici de comprendre à quel point un grand nombre de cadre de ces mouvements extrémistes néonazis et ultranationalistes ont prospéré également dans le crime. Ils ont profité au maximum de la corruption, ainsi que des vases communicants qui existent avec les politiques, les ministères, les administrations, et bien sûr la mafia. Après ces revers, il se lança dans la fondation de son cabinet d’avocats, portant son nom. Puis il tenta d’accéder au show business en participant à de nombreux castings d’émission de TV réalité en Ukraine (2018-2019). Après beaucoup de persévérances, il fut enrôlé pour participer à une émission télévisée d’inspiration anglo-saxonne Свадьба вслепую (mariage à l’aveugle). Le concept est de « marier » un homme et une femme qui ne se sont jamais vus, dans un « mariage » télévisé où ils feront ensuite connaissance. Après une lune de miel et quelques péripéties filmées, ils pouvaient décider de continuer ensemble et de vraiment se marier. Il participa à la la 5e saison ukrainienne de l’émission (2019), et selon les médias ukrainiens, il ne fut pas le candidat le plus applaudit et le plus apprécié par le public. A cette occasion il se présenta même comme l’homme idéal. La jeune femme qui lui fut présentée ne désira pas poursuivre avec lui l’aventure… échappant peut-être à une fin horrible, éparpillée en morceau dans le congélateur du prince charmant. Fort de cette petite notoriété, il décida alors de se lancer dans la politique, et se présenta comme candidat sous l’étiquette du Pravy Sektor, à la Rada d’Ukraine (2019), puis plus modestement au Conseil municipal de Kiev (2020). Là encore le succès ne fut pas au rendez-vous. Il poursuivit alors dans le monde des affaires, toujours à la tête de son propre cabinet d’avocats à Kiev, et s’improvisant psychologue, il tenta de devenir influenceur en créant une chaîne YouTube. Il y présentait des vidéos conseils sur les modes de vie saine, la psychologie et des pratiques orientales proches de l’ésotérisme. Il eut cependant bien du mal à se faire jour, n’attirant à lui que quelques milliers d’abonnés. Sa carrière d’homme d’affaires semblait toutefois largement plus prospère, puisqu’il possédait en 2022, pas moins de 5 sociétés, dont l’une en conseil pour la gestion de personnels et le management.
Il découpe en morceau sa concubine et garde au congélateur certains de ses organes. Lorsque qu’il fut arrêté il y a quelques jours pour le meurtre horrible de sa concubine, il déclara l’avoir tué suite à une altercation violente qui tourna au drame. Après l’avoir assassiné dans une villa qu’il possédait à la campagne (mai 2022), il avait démembré le corps, arraché le cœur, découpé la langue, le rein et l’utérus qu’il avait conservé chez lui au congélateur. Il avait disposé le torse dans une valise qu’il avait alors jeté dans un canal, les mains et les pieds dans un sac dont il s’était débarrassé dans un étang, et dispersa les autres parties dans divers endroits. Les macabres débris ayant été retrouvés par des employés communaux, une longue enquête démarra pour tenter d’identifier cette femme (fin mai). Avec les morceaux du corps, la police scientifique dressa un portrait et profil possible de la victime et diffusa l’information de la découverte de ce corps. C’est une de ses amies, qui contacta la police pour indiquer qu’elle avait reconnu notamment une robe de marque parmi les objets présentés. Les morceaux de corps avaient en effet été enveloppés par Bigoun avec d’autres vêtements de la victime, dont cette robe aux motifs très particuliers. Ces informations menèrent alors les enquêteurs tout droit au meurtrier, qui fut bientôt arrêté. Il avait rencontré cette jeune femme il y a peu de temps, après le retour de cette dernière de Pologne, où elle avait préféré se mettre à l’abri (février 2022). Mère d’un jeune garçon, elle était âgée de 39 ans, et se trouvait originaire de la ville de Kramatorsk, dans le Donbass, l’une des dernières villes encore occupées par l’armée ukrainienne. Elle vivait à Kiev et avait informé ses amis qu’elle avait rencontré un homme charmant, s’installant très rapidement avec lui. La perquisition des policiers permis la découverte dans le congélateur de certains de ses organes, ainsi que d’une grenade à fragmentation obtenue très certainement auprès de ses amis du Pravy Sektor. Le trafic d’armes est en effet devenu un sport national en Ukraine, particulièrement parmi les vétérans de l’opération ATO, et bien sûr des ultranationalistes et néonazis ayant servi dans le Donbass. On se souvient en particulier de ce néonazi français, arrêté à la frontière entre l’Ukraine et la Pologne, qui était en possession de 5 kalachnikovs, de 5 000 cartouches, de 125 kg d’explosifs, de 100 détonateurs et deux 2 roquettes antichars (21 mai 2016). Ce néonazi était venu en Ukraine en décembre 2015, prenant des contacts avec les sbires du Pravy Sektor et avait acheté ce stock d’armes à un contact, membre du régiment Azov. France Soir révélait même que ce trafic gigantesque était organisé par le Ministère de la Défense d’Ukraine en personne, à travers la flotte de la société Ukrainian Cargo Airways, directement sous son contrôle. Mais ce trafic échappe souvent même aux trafiquants d’armes du gouvernement ukrainien, comme Christelle Néant l’a dévoilé dans la vente de deux canons Caesar, il y a peu de temps. En attendant la dénazification se poursuit en Ukraine… parfois même certains comme Bigoun s’autodétruisent eux-mêmes, non sans faire encore de nombreux dégâts et victimes.
Laurent Brayard pour le Donbass Insider
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